
EXPO PHOTO
Alain Desvergnes : si Mississippi m’était conté
ALAIN DESVERGNES SUR LES TRACES DE FAULKNER : MUSEE DE LA ROCHE SUR YON
Le musée de La Roche-sur-Yon présente l’exposition "Paysages de portraits. Portraits de paysages" jusqu’au 29 janvier 2011. L’occasion de découvrir Alain Desvergnes, photographe au long cours, qui nous plonge dans l’Amérique des années 60, le blues du coton et ségrégation raciale.
On la voit de loin cette affiche dans les rues de la ville : un intérieur modeste, parquet au sol, ambiance sombre, de dos un guitariste assis sur une chaise en paille... On pense à "La couleur pourpre" de Spielberg ou "Mississipi Burning" de Parker. On entend la douce et mélancolique musique blues nous envahir, comme dans les aventures du dernier Blacksad. Pas de doute, Alain Desvergnes sait capter le regard du passant en l’emmenant, par une simple photographie, dans son univers : l’Amérique profonde des années 1960.
Sur les traces de Faulkner
"On voudrait parcourir toutes les rues de toutes les villes où habitent les hommes, regarder dans toutes les chambres obscures du monde. Non pas par curiosité, ni crainte, ni doute, ni désapprobation, mais humblement, doucement, comme on regarde, à la dérobée, un enfant endormi sans le déranger".
Extrait de Moustiques, de William Faulkner, 1927.
C’est en lisant William Faulkner durant son service militaire qu’Alain Desvergnes décide, en 1963, de partir sur les routes. Avec sa compagne, ils découvrent les paysages du Mississippi si bien décrits par l’auteur de Monnaie de singe, Le bruit et de la fureur, L’intrus ou Requiem pour une nonne. Durant trois années, il va parcourir le comté imaginaire de Faulkner : le célèbre Yoknapatawpha. Là où se déroule l’essentiel de son odyssée littéraire, qui correspondrait au comté de La Fayette. Muni de la carte du comté, scrupuleusement dessinée par l’auteur en 1946, Alain Desvergnes part sur les traces de ces personnages romanesques : Temple Drake, Lena Grove ou Benji Compson. Desvergnes part avec un rêve en poche : y rencontrer l’auteur américain. Dès son arrivée dans la contrée mythique, le seul véritable habitant de ce pays imaginaire meurt. Faulkner n’est plus. Qu’à cela ne tienne, Alain Desvergnes va partir sur les traces de son mentor.
Kind of Blues
Le photographe s’immerge dans l’Amérique profonde ; avec son appareil, il prend à cœur de rendre hommage à cette frange modeste de la société américaine, celle dont Faulkner décrivait si bien les mœurs. Celle qui vit de la culture du coton dans le Mississippi. Celle qui trime sous la chaleur. Celle pour qui cohabitation rime avec ségrégation.
"Parlez-moi du Sud. À quoi ça ressemble là-bas. Ce qu’ils font là-bas, pourquoi vivent-ils là-bas. Pourquoi vivent-ils tout court ?"
Cette citation de Faulkner, Desvergnes l’a fait sienne. Ses photographies marquent : visages burinés dans un champ de coton, visages heureux d’enfants malgré la crasse et la misère, visages souriants de jolies têtes blondes au teint d’albâtre dans leurs beaux habits du dimanche...
Pour autant, Desvergnes se garde bien de juger. Il rend compte de ce qu’il voit. C’est en se posant en spectateur que le discours devient percutant.
Durant trois années, il va parcourir le comté imaginaire de l’écrivain, le célèbre Yoknapatawpha, lieu inventé par Faulkner où se déroule l’essentiel de son odyssée littéraire.
Alain Desvergnes est également un découvreur de talent. Au détour de ces rencontres dans les champs de coton, il fait la connaissance d’un ouvrier agricole avec qui il sympathise. Il commence à lui raconter sa vie, lui faire la douce mélodie du blues qu’il aime tant et qu’il joue le soir tombé pour sa compagne, pour ses amis ; pour son plaisir surtout. Le photographe est charmé par son art et convaincu de son talent : il l’immortalise sur de nombreuses photos, parle de ce musicien autour de lui. Il contribue ainsi à faire connaître, au monde entier "Mississippi Fred McDowell" – celui-là même qui a composé la célèbre chanson "You Gotta Move" reprise par les Rolling Stones sur leur album "Sticky Fingers".
Plus qu’un photographe : un passeur
Durant ces trois années Alain Desvergnes explore par la photo l’imaginaire faulknérien. Il devient en parallèle "Lecturer" (l’équivalent de maître de conférences) à l’université du Mississippi pour travailler sur l’œuvre de son maître à penser. Il en sera le passeur auprès de ses étudiants. En 1966, il s’envole pour Ottawa. Il y est professeur associé à l’université où il crée le département d’Arts visuels, une révolution dans le monde de l’enseignement qui ne porte pas encore un regard très appuyé sur l’art photographique. Durant toute sa carrière, Alain Desvergnes contribue à élever cet art au rang qu’il mérite. Il est lui-même détenteur d’une très belle collection de photographies, témoins de ses rencontres professionnelles et artistiques.
En 1979, il rentre en France pour honorer une proposition qui ne se refuse pas : prendre la direction des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, manifestation culturelle qui, aujourd’hui encore, est à la photo ce que le festival d’Avignon est au théâtre. Un grand rendez-vous pour découvrir les talents et retrouver des rétrospectives majeures, comme celle de Ronis en 2009. Pendant toutes ces années à la tête de cette institution, Alain Desvergnes renforce la rencontre entre les photographes et le public. Il lance l’idée des projections dans le théâtre antique.
C’est lui qui donne rendez-vous au monde : Etats-Unis, Japon, Europe de l’est se retrouvent à Arles pour les Rencontres. En 1982, à la demande du ministère de la Culture, il crée l’école nationale de la photographie d’Arles (ENP) qu’il dirigera pendant seize ans. Loin d’être un artiste replié sur lui-même à la création solitaire, Desvergnes s’est mué en passeur, comprenant que l’art passe par le partage, l’échange et la filiation.
Aujourd’hui âgé de 80 ans, il vit paisiblement en Bretagne mais ses photographies circulent dans le monde entier, son enseignement marque encore des générations de photographes accomplis ou en devenir.
Delphine Blanchard
Samedi 15 janvier 2011, un "finissage" est prévu au musée à partir de 16h : rencontre avec Alain Desvergnes, puis photo-concert avec le groupe Lightnin’SoulStars pour une projection de près de 400 photographies sur lesquelles seront joués 12 morceaux originaux correspondant aux 12 thèmes abordés par le photographe.
Photo 1 : "Fred McDowell, Mississippi", 1964
Photo 2 : "Sardis, Mississippi", 1963
Photo 3 : "Natchez, Mississippi" 1965
Photo 4 : "Oxford, Mississippi", 1963
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