
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA ROCHE SUR YON
Mathieu l’acteur, Amalric le réalisateur : un homme, trois possibilités
Mathieu Amalric, invité d’honneur du festival international du film est venu à La Roche-sur-Yon, à l’invitation de François Bégaudeau, parler de ses films, de ceux des autres, du métier d’acteur (un peu), de celui de réalisateur (beaucoup). Morceaux choisis d’une rencontre avec un comédien qui a toujours voulu être cinéaste...
Allure dégingandée, regard profond, yeux cernés par la fatigue (la veille, il a fait la fête à Paris toute la nuit avec les filles du Cabaret New Burlesque) c’est ainsi que Mathieu Amalric débarque sur la scène du Manège par ce bel après-midi dominical. Affable, volubile et modeste, il ne veut pas donner de conseils, dit ne rien savoir de son métier, assure être tombé dans le cinéma par hasard et trouve surréaliste que le festival lui offre déjà sa première rétrospective. Malgré tout, après deux heures à l’écouter, c’est bel et bien quelques leçons de cinéma qu’il a livré.
Leçon n° 1 : tuer... la mère !
Le premier long-métrage d’Amalric c’est "Mange ta soupe" (réalisé en 1997), l’histoire d’un fils, de passage à Paris pour son travail, qui arrive chez sa mère, critique littéraire, dont la maison regorge de livres. "L’idée de ce film m’est venue en voyant un jour le lit conjugal de mes parents. Mon père avait quitté le domicile depuis quelques temps déjà et ma mère avait donc mis, à sa place habituelle, une pile de livres... comme pour le remplacer ou combler le vide", raconte Mathieu Amalric. On retrouve d’ailleurs cette scène à l’identique dans le film. "Oui, ce premier long-métrage est totalement autobiographique. Je vivais dans un environnement familial très lettré : ma mère était critique littéraire et mon père journaliste. Tout le long du film, le personnage veut se débarrasser de ses livres parce que sa bibliothèque est devenue trop petite. Évidemment qu’à travers cela, ce sont mes parents que je veux "tuer"et notamment ma mère avec qui j’ai toujours eu du mal à communiquer". Un premier film comme une thérapie donc... "Je ne fais pas d’analyse donc les films, ça remplace". Ses parents sont dans le monde des mots, lui sera dans celui des images. Comme une rébellion adolescente. Sauf que la révolte est plus profonde et qu’elle se transforme en vocation. "Le cinéma m’aide à vivre c’est une évidence. Il m’aide à comprendre la vie". Et de rappeler qu’en anglais "to realize" veut dire "se rendre compte" : "je préfère donc le terme réalisateur à celui de cinéaste. J’aime me rendre compte de l’état des choses".
Quand on enlève tout, il reste quoi ? Il reste le cinéma c'est-à-dire des images, du visuel... et de l'amour. Filmer les gens qu'on aime, pour moi, c'est ça le cinéma
Leçon n° 2 : se débarrasser du scénario
En 2002, après avoir privilégié sa carrière d’acteur, Amalric décide de se remettre à la réalisation. Avec un peu de recul, "Mange ta soupe" lui semblait trop écrit, trop théâtral, il décide alors que pour ce second film, il n’y aura pas de scénario. La méthode est radicale : il se poste devant sa bibliothèque... et pioche un livre au hasard. Ça tombe sur "Le stade de Wimbledon" de Daniele Del Giudice : un roman qui raconte la vie d’un écrivain... qui n’écrit rien ! "Parfait pour ce que je voulais faire" confie-t-il. Il filme une femme (sa femme de l’époque, Jeanne Balibar), des lieux (Trieste, Londres) mais pas de fil conducteur, pas d’histoire, pas de scénario. "C’était radical mais j’avais besoin de retourner à la source. On enlève tout, il reste quoi ? Il reste le cinéma c’est-à-dire des images, du visuel... et de l’amour. Filmer les gens qu’on aime, pour moi, c’est ça le cinéma. Je ne pourrais pas filmer des gens qui me sont antipathiques". À l’inverse de Maurice Pialat – par exemple – qui, lui, avait besoin d’être en conflit (avec les techniciens, les acteurs...) pour créer, pour donner de l’intensité, Amalric a besoin d’amour plus que d’un scénario. Une belle raison de faire du cinéma, non ?
Leçon n° 3 : ajouter un grain de folie
"Le coup de la démocratie sur un plateau de tournage, ce sont des conneries. Tout le monde doit donner son avis, avoir son mot à dire... Non ! C’est toi le réalisateur, c’est donc à toi d’emmener les gens dans ton monde. Même de force. C’est une fois que les autres ont compris ton monde qu’ils font leurs propositions, il me semble que ça marche comme ça". Et son monde à Amalric c’est quoi ? C’est ce petit grain de folie qui le caractérise. Les films d’Arnaud Desplechin (réalisateur auquel il est fidèle) laissent transparaître toute l’originalité dont peut faire preuve l’acteur. De "Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle)" à "Un conte de Noël", Amalric c’est l’amant, le fils, l’ami, le mari qui ne se conforme pas aux règles, qui porte un regard lucide sur ce qui l’entoure et qui, donc, dit des choses qui dérangent. Quand il est derrière la caméra, sa folie passe par ses méthodes de travail. Pour son troisième film, "La chose publique", il crée l’accident sur le tournage en remplaçant une actrice par une autre dans une scène-clé (sans prévenir les autres comédiens, évidemment), créant ainsi la quiproquo et laissant ensuite la scène telle quelle au montage. De la même manière, dans son dernier film, "Tournée", plutôt que filmer des danseuses devant une salle vide, il organise une vraie tournée (avec "des vrais gens" pour figurants). "Les scènes dans les hôtels ne sont pas des décors mais les ’vrais’ hôtels dans lesquels nous dormions et vivions tous ensemble" rappelle-t-il. "Ça donne une authenticité et surtout une complicité qui transpire forcément à l’image".
Et maintenant, que faire ?
"J’ai envie de faire des films un peu plus politiques à travers lesquels je puisse m’engager", affirme Mathieu Amalric. On peut voir les prémices de cela dans "Tournée" quand le personnage principal – Joachim – demande, partout où il arrive (supermarchés, stations essence...), d’éteindre la musique. "Dans ces scènes-là, c’est la servilité que je voulais approcher. Pourquoi obéit-on à quelqu’un qui vous demande d’autorité un truc ? De quel droit peut-il faire ça ? À chaque fois, je me disais, oui, je crois bien que ce Joachim-là aurait dénoncé son voisin juif il y a quelques années." Un engagement tout en douceur qui ne demande qu’à exploser et être exploré plus en profondeur. "En 68, c’était noir ou blanc en politique. De nos jours, tout est plutôt gris. On peut comprendre les points de vue de tous, tout se défend, c’est donc plus compliqué. Mais je crois qu’avec cette affaire des sans-papiers, on a de la matière. Ça me révolte tellement, je vais essayer de faire un truc là-dessus", confie Amalric. Un prochain long-métrage vraiment engagé, alors ? "Certainement, mais de manière diffuse. On peut très bien faire passer des choses par le procédé de la comédie. On dénonce tout autant mais c’est moins violent." On attend donc avec impatience de voir ce qu’Amalric, le réalisateur, va ressortir de tout cela et dans quelle direction il va nous emmener. Mathieu, l’acteur, lui, va certainement nous étonner puisqu’il vient de finir un tournage à Paris avec... le grand Martin Scorcese ! Parce que Mathieu Amalric est un acteur à part qui sait passer du cinéma d’auteur à un cinéma plus grand public avec le même talent et la même candeur dans le regard.
Texte et photos : Delphine Blanchard
Filmographie non-exhaustive :
Mathieu l’acteur : "La Sentinelle" (1992) ; "Fin août, début septembre" (1998) ; "Lulu" (2002) ; "Rois et Reine" (2004) ; "La Moustache" (2005) ; "Munich" (2005) ; "Marie Antoinette" (2005) ; "Le Scaphandre et le Papillon" (2006) ; "Un conte de Noël " (2007) ; "Quantum of Solace " (2008) ; "Les Herbes folles" (2009) ; "Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec" (2010)...
Amalric le réalisateur : "Mange ta soupe" (1997) ; "Le Stade de Wimbledon" (2001) ; "La Chose publique" (2003)
Mathieu Amalric, réalisateur et acteur : " Tournée" (2010)
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