
Carrefour de cinéma
A contre-sens : deux roux et un pneu
Gavras et Dupieux : Notre jour viendra & Rubber
« La vie est un océan, mais cela s’arrête sur la plage » disait Dylan. Pour les roux de Notre jour viendra de Romain Gavras, c’est la plage de Calais et le soleil rouge. A des milliers de kilomètres de là , le désert. Une highway et un pneu, c’est Rubber, le film de Quentin Dupieux. Les roux de Gavras portent leur croix sur leur tête pendant que le pneu, vengeur et vicelard, devient serial-killer surréaliste pour refroidir les humains. Deux réalisateurs, deux films et un discours sur l’acceptation de l’Autre. A coups de cric.
On est souvent au bord d’une route. Romain Gavras et Quentin Dupieux choisissent le roadtrip, un film où l’action et le rythme sont dictés par le voyage. Le voyage agit comme révélateur, élément déclencheur d’une résilience à coup de butoir. Pour le jeune Rémy, c’est la loose. Rouquin, profil proche de Christophe Salengro (président de la présipauté grolandaise), il vit de flirt MSN minable, passe des nuits dans les cimetières et son samedi à jouer au foot en rêvant d’Arsenal. Sa rousseur le met à l’écart. Brimé par ses coéquipiers et par sa famille, il rase les murs, enfermé dans ce microcosme qui suinte la napthaline et le picon bière.
Roadtrip initiatique
Alors qu’il doit d’urgence sauver son flirt MSN, son adolescente de sœur est occupée à faire une cam sur l’ordinateur familial. Le ton monte, un coup part. Rémy vient de frapper sa mère. Il s’enfuit. C’est là qu’il rencontre Patrick Alain, psy, qui n’a de roux que la barbe, hirsute. Au bord d’une route, leur histoire commence. Ce psy en jacquard et velours usés va être son pygmalion. Déclencheur d’une revanche qu’il nommerait résilience, ce Patrick un peu paumé, franchement frustré, va entraîner la montée en puissance de Rémy. Du flirt, on s’essaye au sexe, du foot on passe à la chasse (à l’homme). Le tout en Porsche clinquante sur les départementales qui mènent à Calais. Direction l’Irlande. La vie de rêves. Chaque étape du roadtrip des deux roux est une mise à l’épreuve violente et déraillée qui voit Rémy devenir un forcené, auto-proclamé prophète.
Du flirt, on s’essaye au sexe, du foot on passe à la chasse (à l’homme).
Seul au milieu du désert, un pneu prend vie. Premier tour de roue aux allures de gueule de bois, il papillonne avec les cieux avant de retomber lourdement la tête dans le sable. C’est beau. La suite l’est un peu moins : désert de Californie et décharges automobiles. On y démonte les pneus des pick-up rongés par la rouille. Toutes les gommes usées sont ensuite brûlées dans d’imposants charniers. S’en échappent d’épaisses fumées noires, avec un Pedro Winter en chef dépotoir. Voilà de quoi hérisser les picots.
Dans un motel miteux, il devient lui aussi prophète. Pendant qu’une télé locale retransmet une course de Nascar - un massacre de pneus organisé dans une arène- il tue une jeune mexicaine. Toujours le même mode opératoire : une explosion de crâne, typique du film de zombies. Il s’était entraîné à exercer ses pouvoirs de sniper-boucher sur un lapin. Ce pneu se déchaîne face à des bedonnants débiles qui feraient un bon billet sur People of Wal-Mart, blog qui réunit les énormités au sens large vues dans cette grande-surface qui incarne la médiane US. Alors, ce pneu tue, explose, éclate. Avec, en plus, le bénéfice du doute (ou du beauf) : un pneu ça ne tue pas. Un pneu, ça roule. Les apparences sont trompeuses. Cette roue, invention de l’homme, noire comme la fumée des charniers et ronde comme l’infini, se retourne contre son créateur. La révolution est en route.
Vous êtes des animaux
Nous voilà avec deux prophètes, spécialité branquignols. Bras cassés du prêche, ils sont décidés à mettre un coup de pied dans la fourmilière. Il s’agit d’exister par rapport au groupe dominant, aux Autres, à la société. Elle ne génère pourtant, dès l’école primaire pour Rémy, que brimades, souffrances et violences. Et comment se décide-t-il à se faire sa place ? par les brimades, souffrances et violences. Œil pour oeil, dent pour dent. Le psychologue qui l’accompagne lui fait subir son premier test en provoquant des arabes accoudés au zinc. Il y perdra son visage juvénile, gagnera son premier œil au beurre noir. Mais il aura éprouvé la douleur, maintenant vient la vengeance.
Rémy est homosexuel mais le cache. Lors d’un mariage normand auquel il s’est invité en plantant sa voiture dans l’église, il obligera l’oncle et le grand-père de la mariée à s’embrasser. En les menaçant de mort, s’ils oublient la langue. French Kiss à la gâchette. L’audience paniquée et sous la menace d’une arme à feu, s’exécute. Anecdotique mais terrifiante : cette scène cristallise la revanche que désire Rémy. A son tour, il opprime, se sent puissant et vit sa différence en l’exposant aux Autres, en leur faisant subir le même traitement. A leur tour d’en bouffer. C’est bien ce qu’entreprend aussi ce Rubber. Sans pneus, c’est une bonne partie des activités de l’homme qui se retrouvent à la rue. Et pourtant, on les exploite, les use jusqu’à l’essieux sans discernement. Alors, on va tuer le vivant, sans discernement. Lapin ou femme de ménage, ça respire donc ça meurt : Vous êtes des animaux, vous allez crever.
L’allégorie du pneu et du roux
Alors on se fait une place au soleil à coup de pompe. L’allégorie du pneu ou du roux donne à voir un discours brut : différent donc violent. C’est bien la seule voie pour s’en sortir. On filme ce pneu ou ce roux en truffant le discours de référence plus ou moins subtile : le crâne tondu, le charnier de pneu, la trace dans un lit, il y a un monde entre les trois. N’empêche, que le choc se produit : voir ces brasiers avec une distance qui est celle du pneu refroidit. Même effet lorsque l’on regarde une course automobile par le trou du pneu : l’époque des jeux de Rome n’est pas si loin après tout. Le jeu est intelligent. On met de la distance à un sujet sensible, la discrimination, par le choix du sujet discriminé. Et on en profite pour en dire beaucoup plus. Pas évident d’être pertinent et surtout éviter le cliché. Par contre, la Redxploitation ou la Rubberxpoitation on peut y aller franchement sans craindre le déjà-vu.
C’est ainsi qu’est brossé le portrait d’une société malade : pas besoin d’aller chercher bien loin pour voir les rapports évidents entre ce qui nous est projeté à l’écran et l’actualité. La pertinence du discours tient dans le choix du symbole. Surtout que cela n’oublie pas d’être drôle, de montrer tour à tour l’absurde et la fragilité de la lutte. Elle en devient un spectacle. Chez Dupieux, un petit groupe sur un plateau observe la révolte du pneu. On les croirait attendre l’éclipse. Ils sont mis comme spectateurs de la lutte, et sont pourtant concernés en tant qu’humains. Ils se divertissent du meurtre. Dans un flottement absurde que Quentin Dupieux maîtrise, les acteurs s’encouragent à continuer le spectacle tant que des gens le regardent. L’entertainment dans sa splendeur. Qu’en est-il si plus personne ne regarde ? On arrête tout. La lutte du pneu ne tient que par la présence du public, qui n’hésite pas à redemander du crâne explosé quand ça devient un peu long, là. Dérangeant, mais juste.
Alors ces deux réalisateurs, Romain Gavras et Quentin Dupieux, se chargent de faire les entremetteurs à froid de destins de loosers. Au-delà du hasard de tous calendriers, une partie de la frange française du cinéma connu mais dénué de bons sentiments donne deux objets plus fin que les apparences, ce qui fait leur richesse. Les punchlines accrocheuses, elles sont encore mieux dans la droite d’un roux que sur une colonne Maurice.
Romain Ledroit
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