
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA ROCHE SUR YON
Abel Ferrara, réalisateur “destroy” et insaisissable
Figure majeure du cinéma américain, Abel Ferrara était l’un des invités de prestige du festival international du film de La Roche-sur-Yon pour une rétrospective de ses quatre derniers films, jusqu’à ce jour inédits sur les écrans français.
Fidèle à son image de cinéaste "destroy", c’est le cheveu hirsute et le jean chiffonné que l’immense Abel Ferrara arrive sur la grande scène du Manège pour une présentation de ses quatre films projetés pendant le festival. Il est 11h ce samedi-là, Abel Ferrara vient de traverser la ville pour se rendre de son hôtel à la salle de projection et c’est donc tout naturellement qu’il commence par parler des manifestants qu’il vient de croiser : "je soutiens la grève, même si ce n’est pas mon pays. Un jour, tu dis aux gens qu’ils vont être à la retraite à 60 ans. Puis tu leur dis finalement que ce sera 62 ans. C’est comme leur dire que tu vas être en prison pendant deux ans".
À 59 ans, bien loin de prendre sa retraite, Ferrara a toujours la fougue, ne tenant pas une minute en place, il prend le micro des mains d’Emmanuel Burdeau (critique aux Cahiers du Cinéma et chargé de la compétition internationale du festival) qui l’interroge, lui redonne, lui reprend, s’accroupit pour refaire son lacet, lâche des "fuck" toutes les deux minutes... et parle de tout... sauf de ses films ! Celui dont les rumeurs disent qu’il carbure à la bière (30 à 50 par jour) est, bel et bien, un phénomène – de foire, parfois, et cela toujours à ses dépens – mais surtout un monstre sacré.
Victime du système
C’est peut-être à cause de son caractère bien trop trempé que Ferrara est obligé désormais d’évoluer en marge du système. Son dernier film vu en salle c’est "Mary" sorti en 2005.
Depuis ? "Il n’a pas arrêté de travailler, mais il est sorti des rails : nouvelles méthodes, incursions documentaires, découverte du numérique. Il était déjà insaisissable, il l’est devenu encore plus. Il a quitté la scène. Si sa personnalité complexe n’y est sans doute pas étrangère, cette absence nous semble surtout représentative d’une situation au sein de laquelle l’accès à la salle devient de plus en plus difficile, même pour des cinéastes de premier plan : Ferrara, on le sait, n’est pas un cas unique aujourd’hui. C’est pourquoi nous avons tenu à montrer ces quatre films ensemble" explique Emmanuel Burdeau.
Et ces quatre films là, ce sont : "Go go tales" (2007), "Chelsea on the rocks" (2008), "Napoli, Napoli, Napoli" (2009), "Mulberry St" (2009). Des réalisations à part dans le paysage cinématographique, surfant entre fiction et documentaire. De quoi troubler encore un peu plus les distributeurs frileux à prendre quelques risques.
Celui dont les rumeurs disent qu'il carbure à la bière (30 à 50 par jour) est, bel et bien, un phénomène – de foire, parfois, et cela toujours à ses dépens – mais surtout un monstre sacré.
"Chelsea on the rocks"
Le film qui représente, à mon avis, le mieux les deux facettes de Ferrara : d’un côté, l’homme cultivé, lettré, côtoyant le monde des arts ; de l’autre, le fêtard, le débauché, le borderline, c’est "Chelsea on the rocks", mi-docu mi-fiction, en noir et blanc, sur le célèbre hôtel new-yorkais, Le Chelsea. Un film pour lequel Ferrara va séjourner dans l’hôtel pendant des mois et aller à la rencontre de ceux qui font ou ont fait de cet hôtel de luxe un endroit à part.
Dans les années 80, le Chelsea c’est le havre de la vie de bohème à New-York, le lieu de toutes les débauches, l’endroit phare où il fallait être quand on était un artiste. Ils sont nombreux à y être passés, de Andy Warhol à Jackson Pollock, de Henri Miller à Milos Forman.
On retiendra cette réplique culte : "Ici, ça crie dans tous les sens et tout le temps. Mais on ne sait jamais si c’est à cause du sexe ou de la drogue". Images d’archives, interviews des "locataires" actuels (le Chelsea a 15 appartements loués à l’année), montée et descente de l’escalier central pour visiter les lieux – tout cela filmé caméra à l’épaule – donnent une dimension fantomatique à ce long-métrage. Ferrara nous ouvre les portes de ce lieu mythique et mystérieux et nous emmène dans son monde avec brio.
En sortant de la projection, la seule envie qui reste, c’est d’aller à New-York se poster devant la porte-tambour du Chelsea. C’est là la grande force d’Abel Ferrara : faire d’un lieu élitiste et quelque peu effrayant, un film accessible à tous et captivant.
C’est bien dommage que les distributeurs n’aient pas vu, ici, toute la portée du cinéma de Ferrara (le film a pourtant été présenté à Cannes en mai dernier) et ne donnent pas à tous la possibilité de voir ses films, certes inclassables, dérangeants et déroutants, mais surtout de beaux "objets" cinématographiques qui donnent un souffle de liberté au cinéma contemporain.
Texte et photos : Delphine Blanchard
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