
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA ROCHE SUR YON
De l’influence de Paul Newman sur l’écriture de Maylis de Kerangal
Dans quelle mesure le cinéma peut-il influencer la littérature ? Un film peut-il aider un auteur à réfléchir, à travailler, à écrire ? Dans le cadre du festival du film de La Roche, Mediapart a invité Maylis de Kerangal, écrivaine, à parler de son film culte.
Un festival du film, c’est aussi cela : se retrouver dans une petite salle de projection un vendredi soir et découvrir que l’immense acteur Paul Newman a aussi été un réalisateur talentueux. Sorti en 1973, mais très peu vu à l’époque, c’est grâce à une réédition en copie neuve en 2008 que Maylis de Kerangal a pu découvrir "De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites" ("The Effect of gamma rays on Man-in-the-Moon Marigolds" en version originale), un des films les plus marquants de Paul Newman, qui réalisait là son troisième film (le premier, "Rachel, Rachel" ayant reçu le Golden Globe du meilleur réalisateur en 1969). Pour la petite histoire, Paul Newman vit, à cette époque, avec l’actrice Joanne Woodward qui a du mal à trouver des projets intéressants. Il décide alors de lui offrir un rôle à sa juste valeur et achète les droits du livre de Paul Zindel (couronné par le prix Pulitzer). Le tournage en famille (il fait également jouer sa fille) peut alors débuter...
Une chronique sociale naturaliste
Que se cache donc derrière ce film au titre si énigmatique ? Une femme (Béatrice), à l’aube de ses 40 ans, se retrouve seule à éduquer ses deux filles : Ruth (17 ans) l’ado rebelle et Matilda (13 ans) l’enfant sage. Elle se noie dans les petits tracas du quotidien, n’arrive plus à communiquer avec ses enfants, se laisse peu à peu submerger et se réfugie dans l’alcool. Un tableau bien noir donc, mais là où le glauque pourrait l’emporter, Newman a l’intelligence (et le talent) d’y mettre une bonne dose d’humour mais également de disséquer tout cela et d’en tirer une réflexion bien plus utile que le serait le simple constat. "Ce film est saturé d’émotions et de sens. Il me bouleverse toujours autant" confie Maylis de Kerangal à la fin de la projection. Et que ce film-là soit en bonne place dans le panthéon cinématographique de l’écrivaine, on le comprend aisément. Chacun de ses livres peut se voir comme une succession de scènes avec champ, contre champ, travelling... son écriture est cinématographique et ses histoires sont sociales et naturalistes. Il est donc logique que l’univers de Newman lui soit si proche. Tous les deux s’intéressent aux êtres esseulés à la dérive, qui survivent plus qu’ils ne vivent. Leurs œuvres sont les photographies d’une époque, Newman celle des années 70, Maylis de Kerangal celle des années 2000.
L'adolescence est source d'inspiration ; c'est l'âge de la conquête, de la sécession avec la famille.
Le mythe de l’adolescence
"De l’influence..." donne une place importante aux deux jeunes filles et, en cela, rappelle un roman de l’auteur, "Corniche Kennedy" (qui met en scène une bande d’ados) écrit justement en 2008, juste après que Maylis de Kerangal ait découvert le film. Inspirant, alors ? "Certainement. Cette zone de l’adolescence entre 13 et 17 ans me questionnait. En voyant le film de Newman, je me suis dit, oui, c’est vers là qu’il faut que j’aille chercher. L’adolescence est source d’inspiration de toute façon ; c’est l’âge de la conquête, de la sécession avec la famille." C’est aussi l’âge où l’on essaye de se construire, loin des modèles familiaux, à l’image des deux jeunes filles du film. Quand Ruth se lance dans une parodie de sa mère dans un cours de théâtre afin de dédramatiser la situation familiale ; Matilda, quant à elle, se lance dans une expérience scientifique... à base de marguerites et de rayon gamma ! Chacune trouvant là un moyen de survivre au calvaire quotidien. "Ce qui est plaisant dans ce film, c’est de voir que le salut passe par les enfants. Avec cette histoire de marguerites, c’est la vie que cultive la petite face à l’abandon total de la mère" souligne l’auteure. On retiendra alors la réplique finale de la petite Matilda : "Non maman, moi, je ne trouve pas ce monde détestable". Une note d’espoir qui fait du bien et, finalement, le cinéma ne sert-il pas à cela ? Nous donner quelques clés pour comprendre un peu mieux le monde qui nous entoure.
Delphine Blanchard
Note : "Naissance d’un pont" (aux éditions Verticales) est le dernier livre de Maylis de Kerangal paru en septembre dernier. Un livre "inspiré par la figure du héros de cinéma américain" confie-t-elle.
Bloc-Notes
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