
CONFÉRENCE DÉBAT
La parole publique dans les médias : mirage ou réalité ?
À l’heure où les chaînes de télévision organisent des (soi-disant) débats entre politiques et "panels" de téléspectateurs, où les radios multiplient les interventions d’auditeurs, où les journaux nationaux ouvrent leurs colonnes aux lecteurs, qu’en est-il vraiment de la parole publique dans les médias ? Réel retour de cette parole citoyenne ou simple illusion que nous donne à croire la parole institutionnelle ?
Dans le cadre du festival "Météores", la radio locale du pays yonnais, Graffiti Urban Radio, a donné carte blanche à Pierre-Yves Bulteau, journaliste et enseignant, pour animer une conférence sur le thème "Les médias et le retour à la parole publique". Pour débattre, trois experts : Pierre Montel de la Fédération des radios associatives des Pays de la Loire (Frap), Benjamin Ferron, doctorant en sciences politiques au Centre de recherches sur l’action politique (CRAP) et David Fontaine, journaliste au Canard enchaîné.
La parole publique, qu’est-ce donc ? C’est cette parole citoyenne accordée à tout un chacun et que l’on met souvent en opposition avec la parole institutionnelle, celle-là même qui est parfois érigée en modèle puisqu’elle proviendrait des élites. En somme, on mettrait dos à dos une parole "profane" contre une parole experte. Pourtant, l’une ne peut aller sans l’autre, formant ensemble l’équilibre dont a besoin une société en bonne santé.
Les médias nationaux : un espace relativement fermé et ségrégatif
La parole est partout nous dit-on et lit-on. Ainsi les plus grands quotidiens nationaux (Libération, Le Monde, Le Figaro) font appel à des "avis d’experts" dans leurs pages ; "experts" appartenant à la société civile qui ne seraient pas du sérail, qui feraient entendre une voix dissonante de celle des journalistes. Ceci dans un souci d’égalité de parole, d’ouverture et de rationalité des échanges. Mais cette apparente impartialité ne cache-t-elle pas un système bien plus pernicieux ? C’est dans cette hypothèse que Benjamin Ferron a étudié les pages consacrées aux "débats publics" dans les trois journaux cités ci-dessus sur la période de l’entre-deux tours des élections de 2002. Sur quinze jours, il a ainsi recensé environ 200 interventions extérieures publiées. L’analyse tirée est assez édifiante selon Benjamin Ferron : "45% des personnes sollicitées font partie du célèbre bottin "Who’s who". Ce qui signifie un niveau de diplôme élevé et un degré de politisation bien supérieur à la moyenne des citoyens. Alors qu’on nous parle d’ouverture, c’est plutôt un rétrécissement dans la gamme d’opinions que l’on constate". C’est ce que Pierre Bourdieu appelle le "narcissisme des petites différences" : on croit donner la parole à ce qu’on pourrait appeler un contre-pouvoir mais ce contre-pouvoir tombe dans une "circulation de l’information circulaire". Mais cela est-il si étonnant ? Les actionnaires majoritaires des grands groupes de presse ont plus ou moins un rapport de connivence avec le pouvoir. N’influencent-ils donc pas un peu la ligne éditoriale ? Dans quelle mesure les journalistes appartenant à ces quotidiens s’auto-censurent pour ne pas froisser les hautes autorités ? En somme la presse nationale est-elle si indépendante qu’elle le dit et peut-être même qu’elle le croit ? Comme le dit l’adage : "On ne mord pas la main qui nous nourrit. Mais il n’est pas pour autant nécessaire de lui lécher les bottes".
On ne mord pas la main qui nous nourrit. Mais il n'est pas pour autant nécessaire de lui lécher les bottes
Les médias dits "alternatifs", une solution ?
À côté de cette presse classique, il existe donc des médias un peu en marge qui essayent de pratiquer une indépendance véritable et de faire office de contre-pouvoir. Au niveau national, c’est le célèbre Canard enchaîné dont David Fontaine rappelle le slogan officiel : "La liberté de la presse s’use quand on n’en abuse pas". Côté slogan de couloir, il confie que c’est plutôt "Le Canard ne doit pas être méchant, il doit être cruel". Ambitieux, non ? Une chose est sûre, il est fidèle à cette maxime. Toujours irrévérencieux, ce journal critique et polémique fait du bien dans le paysage de la presse nationale. Vous ne verrez jamais un de ses journalistes lors des conférences ou voyages de presse organisés par les élus politiques, ni aucune publicité dans ses pages. C’est le prix à payer pour se dire indépendant... vraiment indépendant. David Fontaine est fier de raconter que dans le milieu politique, on appelle Le Canard "le bouffon du roi ou plutôt le garde-fou de la république".
Et ce qu’on nomme les "Canard locaux" ne sont pas en reste. À Nantes, c’est "La lettre à Lulu" ; en Vendée, c’est le "Sans Culotte". Ce qui les caractérise ? De faibles moyens, une courte durée de vie et… des procès en diffamation (et à répétition !) par les notables locaux. Il faut donc une vraie énergie pour se lancer. Mais comme le souligne David Fontaine, "la proximité géographique de ses journalistes avec les acteurs locaux peut les handicaper contrairement à nous qui n’avons que très peu de contacts directs avec nos "cibles" ". Pierre-Yves Bulteau de surenchérir : "Le journaliste local peut-il dire la vérité en étant aussi proche de sa source ?" Question sans véritable réponse... À eux alors de ne pas tomber dans l’auto-censure dans le but de se protéger et donc de dévier de leur but premier, à savoir être le "poil à gratter" de la politique locale.
Internet, un nouveau souffle de liberté ?
À côté de la presse papier, Internet semble donner un nouveau souffle à l’information. Citons, entre autres, Rue 89 ou Mediapart qui donnent de jolis coups de pied dans la fourmilière. Les rédacteurs ne sont pas tous des journalistes professionnels – c’est ce qu’on appelle le "journalisme citoyen" ou "journalisme participatif" – et c’est sûrement pour cela qu’ils semblent "parler" autrement, donner une vision nouvelle de l’information. La parole publique prend alors ici tout son sens : informer mais également contester ou approuver. Internet aurait donc des vertus démocratisantes. Mais attention aux modérateurs des sites Internet qui veillent au grain… et qui tenteraient parfois de produire de l’information partisane voire de la propagande en ne publiant pas certains commentaires d’internautes jugés gênants. Rappelons que produire de l’opinion, de même que faire du "buzz", ce n’est pas produire de l’information. La libre expression a donc aussi ses limites…
La libéralisation des ondes
Presse papier, presse numérique mais également presse radio pour compléter le paysage de l’information. C’est en 1970, pour faire le pendant à l’ORTF, que les premières radios libres voient le jour et c’est en 1980 qu’elles prennent leur essor. Pierre Montel rappelle le "cercle vertueux mis en place par le Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER) qui taxe les grands groupes privés (TF1, RTL…) pour reverser aux 600 radios alternatives qui peuvent ainsi exister en France". 600 radios qui s’étalent sur 1000 fréquences (sur 4000 disponibles en tout). Notons que la radio est le seul média accessible à tous, sans redevance ou abonnement. Mais le passage prochain à la radio numérique terrestre inquiète. Les changements de pratiques d’écoute forcent inéluctablement les radios à se diffuser sur Internet ou via le réseau mobile mais qu’en est-il alors du traçage de l’auditeur ? La parole publique peut-elle toujours être aussi libre quand on sait que la perte de l’anonymat (à l’achat et à l’écoute) est évidente ? Comme le souligne Pierre-Yves Bulteau, "l’appel du 18 juin du général de Gaulle pourrait-il avoir lieu en 2010 ? Comment appeler à résister quand les auditeurs sont fichés ?" Espérons donc que le progrès technologique (la RNT c’est avant tout une meilleure couverture sur le territoire et une meilleure qualité de son) ne remette pas en cause la liberté d’expression si vive dans notre monde occidental.
Delphine Blanchard
Bloc-Notes
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