Usages des réseaux
Twitte-la-mort et le nécro-participatif
Quelques heures après sa démission du gouvernement québécois, Claude Béchard meurt des suites d’un cancer. Bien avant l’annonce officielle, Twitter s’empare de l’actu et un homme, Pierre Côté, propose de réagir en direct sur son site participatif. Web 2.0 ou opportunisme mal placé ?
Mardi soir, 23h47 : Au départ, il y a Twitter. Comme à chaque actualité « chaude ». Des utilisateurs de twitter évoquent le décès possible de Claude Béchard, ministre du gouvernement Charest. de tweet en retweet, d’information en relais d’information, bon nombre d’utilisateurs s’emparent de l’actualité.
23h57 : Malgré la persistance des rumeurs, un démenti arrive sur Twitter. L’équipe de communication nie la mort de Claude Béchard. Il a bien quitté le gouvernement, mais n’est pas mort. On le savait atteint d’un cancer depuis plusieurs mois. Certains twittos continuent d’affirmer que le ministre québécois est bel et bien décédé.
"La réalité en temps réel"
Alors que l’information de la mort se propage malgré le démenti officiel, un twittos, Pierre Côté, va donner une nouvelle dimension à cet événement vécu en direct sur Twitter. Il est l’animateur d’un site, Realtime Réalité. Il y connecte ses comptes de réseautage, de géolocalisation, de sreaming. Le but ? une info instantané sur une page assez moche, à la punchline proche du grotesque : Realtime Réalité, un show transmedia immersif, interactif en direct.
Il est 00h10 à Nantes, 18h10 à Montréal. @PierreCote, sentant le bon coup pour son site participatif, invite les twittos à parler de la mort de Claude Béchard sur son site. Moins de dix minutes après l’arrivée des rumeurs sur la mort du ministre, ce site en fait déjà son actualité, et pour le coup, il est le seul à le proposer.Dans ce laps de temps, @PierreCote jouit d’une exclusivité.
Personne n’avait eu l’idée de faire un chat spécial pour évoquer la mort-non confirmée par voie officielle- d’un ministre.
Le journaliste, tenu par la déontologie et l’importance de s’en tenir au fait, ne peut tenir compte que de la seule rumeur. De l’autre côté, le communicant est chargé de tenir quelques longues minutes jusqu’à la déclaration officielle. Reste qui ? L’internaute sur Twitter, qui voit passer l’info et choisit ce qu’il y a de plus chaud. Il ne reste plus qu’au blogueur, tenu par aucun principe hormis son influence, à alimenter le flux d’information en trustant sur la mort de Béchard.
« Je fais avec ma plate-forme exactement la même chose que tous les médias citoyens/participatifs. »
Mais c’est quoi, « la même chose » ? Dans le cas de cette rencontre sur son dit média, @PierreCote ne propose rien. Pas d’information, pas de vidéos des médias ( et pour cause, il n’y en a pas), rien, hormis son visage dans une petite fenêtre en haut à gauche de l’écran. Les yeux braqués sur l’écran, il répond aux twittos énervés, alimente coup à coup le fil de discussion quasiment désert. Média dans le média, il est à ce moment là une interface de plus qui ne servirait qu’à connecter les internautes entre eux. Manque de chance, il connecte peu, voire pas.
Donc, sur Realtime Réalité, on partage, commente, stream ou répond à ...du vide.
le show et l’interactivité. Les deux mamelles de Realtime Réalité. Leur point commun ? La sur-exposition du blogueur, ici Pierre Côté. D’une actualité qui ne se prête pas au débat - le décès d’un ministre- il en fait matière d’information « citoyenne ». Quel est la plus-value du citoyen dans ce genre de circonstances ? il n’y en a pas, tout du moins, pas d’un point de vue citoyen. D’ailleurs, la réponse vient assez vite de Twitter : « Le monsieur est décédé, ce n’est pas une nouvelle qui demande analyse et ligne ouverte ». Proposer ce chat ne sert pas à aller plus loin dans la réflexion, sans doute plus à faire du bruit ?
La plus-value ne concerne que son branding. Certains utilisateurs, dont des québécois, découvrent à ce moment là le compte de @PierreCote. Il grapille au passage quelques followers. L’information est un prétexte, la mort de Claude Béchard un moyen, qui permet de se mettre en scène. En clair, la dimension participative de son site conduit à son anti-thèse : elle sert son seul intérêt personnel. Un non-sens.
Ca, c’est pour la technique. Les utilisateurs ont aussi été dérangés de voir la mort d’un individu jetée en pâture sur le réseau.
« Twitter est un train sans freins ». Cette citation coincée entre du LOL et le participatif de Côté, fait un peu tâche. Beaucoup s’offusque de la récupération de la mort de Claude Béchard. Il était particulièrement apprécié et reconnu dans son action. Ce serait donc plus odieux de se servir de sa mort. Dérangeant. Imaginons maintenant le cas inverse : un homme politique qui ne jouit pas d’une grande popularité disparaît. Quelles seront les réactions, si elles sont dictées à ce point par les passions et le commentaire ? Aucun raisonnement, aucun recul. Pierre Côté ressortira son Realtime Réalité pour un nouveau chat spécial qui deviendra un crachoir virtuel. Pas beaucoup plus malin.
Il serait faux de dire que Twitter est un train sans freins. D’ailleurs, beaucoup ont condamnés l’initiative de Pierre Côté. Simplement, dans un réseau qui vit de l’instantané, la logique encourage le plus chaud et on applique stricto sensu les règles de proximité. Beaucoup évoquent une moralisation du réseau : on ne voit pas comment, le contrôle ne pouvant se faire qu’a posteriori.
Cela aura occupé Twitter pendant une vingtaine de minutes. A coup d’emportements, de prises de bec et de maximes visant à raisonner le réseau. Comme d’habitude, finalement. Une heure après, une autre information pourtant importante passera au second plan : le communiqué officiel annonçant la mort du ministre Claude Béchard des suites d’un cancer à 41 ans.
Romain Ledroit
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses