RENTRÉE LITTÉRAIRE 2010
Le Houellebecq nouveau est arrivé !
En septembre, il y a d’un côté la rentrée des classes, et de l’autre la rentrée littéraire : l’événement tant attendu par tous les amoureux de littérature. 701 romans sont ainsi "jetés en pâture" dans les rayons des librairies (contre 659 l’année dernière). Dur, dur de s’y retrouver... mais une chose est sà »re cette année, LE Houellebecq 2010 est un très bon cru, ne le ratez surtout pas.
Alors oui, vous allez me dire, 701 romans et, au lieu de nous faire découvrir un auteur inconnu, un auteur qui mériterait d’avoir sa place dans les classements des meilleurs ventes, un auteur qui ne fait pas la Une des magazines et la tête des gondoles des librairies, on va encore nous parler de ce cher Michel Houellebecq qui fait déjà assez parler de lui. Et bien oui ! Parce que "La carte et le territoire" (aux éditions Flammarion) est, me semble-t-il, son meilleur roman ; dans la lignée de son tout premier, "Extension du domaine de la lutte" publié en 1994 (adapté au cinéma en 1999 par Philippe Harel) mais avec la sagesse acquise au fil des années... Houellebecq a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps, et pour cause ! Apologie du tourisme sexuel, propos racistes et misogynes, ses textes sentaient bon la polémique. Du coup, Houellebecq le provocateur prenait le pas sur Houellebecq l’auteur. Ce dernier est pourtant à découvrir.
Un ton acerbe
C'est sans doute par compassion qu'on suppose chez les personnes âgées une gourmandise particulièrement vive, parce qu'on souhaite se persuader qu'il leur reste au moins ça, alors que dans la plupart des cas les jouissances gustatives s'éteignent irrémédiablement, comme tout le reste. Demeurent les troubles digestifs et le cancer de la prostate
L’écriture Houellebecq, c’est quoi, alors ? Une chose est sûre, on reconnaît sa patte entre mille... Avant tout, c’est un ton acéré. Il porte un regard cru sur la société mais tellement juste qu’on ne peut qu’acquiescer devant sa vision du monde. On lit souvent que Michel l’homme est dépressif, alcoolique, suicidaire... à la lecture de son dernier roman, on se dit que c’est peut-être bien vrai... mais, après tout, cela relève du domaine de l’intime et ce qui nous intéresse, nous lecteur, c’est ce que Houellebecq l’auteur ressort de cet état. Ce dernier fournit le terreau même de son écriture acerbe. Voyez, plutôt : "C’est sans doute par compassion qu’on suppose chez les personnes âgées une gourmandise particulièrement vive, parce qu’on souhaite se persuader qu’il leur reste au moins ça, alors que dans la plupart des cas les jouissances gustatives s’éteignent irrémédiablement, comme tout le reste. Demeurent les troubles digestifs et le cancer de la prostate" (P. 24). "Elle était au fond de cet avis, finit-elle par avouer à son mari : un chien c’était aussi amusant, et même beaucoup plus amusant qu’un enfant, et si elle avait envisagé un moment d’avoir un enfant, c’était surtout par conformisme, un peu aussi pour faire plaisir à sa mère, mais en réalité elle n’aimait pas vraiment les enfants (…) leur égoïsme naturel et systématique (…) leur immoralité foncière qui obligeait à une éducation épuisante et presque toujours infructueuse…" (p. 298). Cinglant, n’est-ce pas ? Mais la littérature n’aurait-elle pas ce rôle-ci ? Déranger les esprits et faire entendre une voix dissonante. Houellebecq a toujours été de ces auteurs-là, sans condescendance pour ses contemporains. Mais là où il pêchait par excès – dans "Plateforme" notamment, avec son passage consacré à l’islam qui fit polémique – ici, il arrive à se détacher de ses formules un peu faciles pour des propos pertinents et une écriture attachante.
La voix des marginaux
Une fois encore le héros de ce dernier roman est ce qu’on pourrait appeler un marginal. Même si la réussite sociale arrive vite, Jed Martin — le personnage principal – reste un asocial, coupé du monde. Pourtant, le monde, il en a une vision assez précise ; artiste peintre et photographe, il gravite dans le monde des arts, haut lieu de toutes les bassesses, hypocrisies et coups tordus caractéristiques du genre humain. Jed Martin laisse partir la femme qu’il aime, se retranche dans son atelier des mois entiers sans voir personne ; Houellebecq met magnifiquement en scène ce personnage atypique qui n’arrive définitivement pas à s’intégrer dans la société (le veut-il réellement d’ailleurs...) Il arrive à cerner comme personne cette frange de la société toujours un peu à l’écart, en marge comme il est habituel de la définir. L’auteur lui-même exilé en Espagne (il vit dans le parc naturel de Cabo de Gata-Nijar après avoir vécu des années en Irlande) sait donc très bien de quoi il parle...
Quand la réalité rejoint la fiction
Houellebecq ne serait pas Houellebecq s’il ne se racontait pas dans ses livres. Et dans ce dernier opus, il y va fort. Tombant le masque, le personnage secondaire, ami de Jed Martin, s’appelle... Michel Houellebecq ! Rien que ça ! Puisqu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, l’écrivain se met en scène ; sans concession pour autant, comme il le ferait pour tout autre personnage. Et c’est là que "La carte et le territoire" réussit un tour de force. Bourrés d’autodérision, les meilleurs chapitres sont ceux où l’écrivain parle de lui... et cela sans complaisance. Quand un auteur arrive à ce point-là à mélanger fiction et réalité – sans pour autant tomber dans l’auto-fiction (comme Christine Angot, par exemple) – à se dévoiler tout en faisant preuve de pudeur, à laisser parler ses émotions et ses peurs mais avec retenue, c’est que le talent littéraire est bien là. Avis aux médisants !
Delphine Blanchard
Pour rappel, une petite bibliographie non exhaustive : • Extension du domaine de la lutte, roman, Maurice Nadeau (1994) • Les Particules élémentaires, roman (prix Novembre) Flammarion (1998) • Lanzarote, récit, Flammarion (2000) • Plateforme, roman, Flammarion (2001) • La Possibilité d’une île, roman (prix Interallié), Fayard (2005) • Ennemis publics, Flammarion Grasset (2008) (correspondance entre Michel Houellebecq et Bernard-Henri Levy)
Dernière minute : Michel Houellebecq a été sélectionné dans la première liste des prétendants au prestigieux Prix Goncourt. Résultat le 8 novembre prochain...
Pour ceux que je n’aurais pas convaincue (et je le regrette par avance !), je vous conseille également la lecture du dernier opus de Robert Bober : "On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux". Il sera en décembre au Lieu Unique pour une rencontre avec ses lecteurs.
Bloc-Notes
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