
Carnet de festival
Un Saint-Cloud pour la clôture
Rock en Seine : dimanche
Traverser le domaine national de Saint-Cloud dans un camion pour aller écouter la fine fleur du rock par dimanche venteux, défi relevé. Au programme de cette clôture, Arcade Fire, Beirut, Roxy Music ou encore Crystal Castles (entre autres). J’avais prévu donc quelques bons sets. Mais pas la pluie.
Du temps des défilés militaires soviétiques, on assurait le soleil radieux en provoquant la pluie, quelques jours auparavant. Le nitrate d’argent, envoyé au moyen de fusée proche des feux d’artifices, dissipait les ondées. A cette époque, on ne connaissait pas une autre technique, moins chimique (quoique) mais surtout plus radicale : Crystal Castles. Eux, n’ont pas fait disparaître la pluie. Mieux, ils l’ont fait oublier à la foule de festivaliers accrochés aux machines d’Ethan Kath et aux cris d’Alice Glass. Au milieu d’un set épileptique, la pluie s’abat sur la scène de l’Industrie. C’est au début d’Alice Practice, cet hymne punk pour Atari sur le retour qui fait de leur techno une partie multi-joueurs, et surtout beaucoup de bruit. Alice Glass passe le plus clair de son temps à crier et les grands moments du deuxième album, sobrement intitulé Crystal Castles 2, s’enchaînent sans se ressembler.
Un (dé)fouloir non-stop ce set, exécuté avec classe par Glass et Kath
La basse agresse, le synthétiseur est faible et la voix s’époumone du haut des enceintes. On pourrait trouver l’ensemble bringuebalant, il est franchement maîtrisé, sous la capuche noire et derrière la mèche d’Ethan Kath. Froide et hurlante, la musique des Crystal Castles a conquis le public, se laissant aller aux jets de bière et à quelques excitations techno-bourre-pifs. Un (dé)fouloir non-stop ce set, exécuté avec classe par Glass et Kath.
Fer de lance d’une catégorie du Do It Yourself à peine sortie du garage, ils dament le pion à Kap Bambino et aux galas en survêtement des Sexy Sushi. Chaque morceau se retrouve augmenté dans sa version concert : Black Panther, qui ne fait pas partie de la frange énervée des titres du premier album, devient une course-poursuite entre le chant punk d’Alice Glass et la mélodie légère des machines du groupe. Doe Deere, qui annonçait la sortie du deuxième enregistrement des Castles, est trituré, accéléré et jeté au public dans sa forme la plus brute. Un hymne à l’auto-destruction.
Doe Deere en live à Rock En Seine 2010.
Alors que le set des Crystal Castles, va vers le Game Over, la Grande Scène voyait partir Arcade Fire. Le set des canadiens s’est vu amputé de quelques morceaux face aux intempéries. Regret de cette édition, la programmation simultanée des deux groupes empêchait de passer d’une scène à l’autre. Dur. Le groupe emmené par Win Butler n’a pas déçu, au vu des premiers tweets estampillés Rock En Seine : « un moment magique mais j’ai froid », « Je peux maintenant #mourir en #paix #ReS #ArcadeFire » ou le jeu de mots souvent repris « Génial Arcade Water ». La pluie n’excuse pas les jeux de mots moisis.
Et parfois, le tweet est dur
Particulièrement intense pendant Rock En Seine version 2010, le tweet est l’occupation première d’une partie du public. Peu importe le téléphone, pourvu qu’il y ait le tweet. Festival dans le festival, chaque anecdote, chaque chanson est directement commentée par les utilisateurs du réseaux, les twittos. Ca donne quelques rangs de festivaliers tête penchée sur leur écran pour live-tweeter la dernière info. Fébrilement, les pouces composent un message pour donner leur avis sur la météo, le t-shirt du bassiste ou la chanson jouée. Et parfois, le tweet est dur.
Chronologiquement, ça donne : « Beirut rentre en scène et prend une photo du public pour un ami », « Beirut entame son set avec Nantes, génial », « Beirut, c’est un peu mou quand même » « J’écoute Beirut du bar et c’est mieux comme ça ». Au-delà du tweet, Beirut n’a pas franchement assuré son set. Partant avec un capital sympathie assez rare, la bande de Zach Condon était assez loin de la poésie du Gulag Orkestar ou des deux derniers EP. En formation instrumentale, il aurait été d’ailleurs intéressant de voir My night with the prostitute from Marseille, immanquable sur leur enregistrement live. A Rock En Seine, pas de trace de l’échappée électronique de March of the zapotec and realpeople holland, qui porte pourtant de belles idées et dénote franchement de la fanfare pompompom.
Alors oui, Beirut, c’est beau. Mais lassant.
Au lieu de ça, on se contente de quelques belles envolées du Mount Wroclai à Nantes. Le reste est soufflé sans emphase par un Zach Condon visiblement fatigué, qui donne l’impression de ne pas trouver ses repères sur une scène trop grande pour lui. Le visage juvénile et les yeux dans le vague en direct sur deux écrans géants, cela ne pardonne pas. L’allure de chef de cérémonie inspiré devient celle de l’éxécuteur un peu lassé. Beaucoup de moments sont dédiés aux cuivres et au ukulélé, ce qui rapproche encore un peu plus le méconnu Bark Cat Bark des mélodies et des rythmes ternaires de Beirut. Alors oui, Beirut, c’est beau. Mais lassant. La déception n’enlève rien à cette poésie de vieux loup de mer qu’il rêve d’être, mais l’exercice du live se révèle périlleux, sans magie.
« on va foutre un sacré bordel »
Au passage, j’ai perdu les kids sûrement crevés après le set foutraque mais gentil des I Am un Chien. Poseurs à outrance et ultra-slim déchiré proprement au niveau du genou : « on va foutre un sacré bordel ». Dans les faits, c’est un peu nerveux. José Reis Fontao de Stuck in the sound et un MC tout de vert vêtu hormis un jean un peu vague assure le spectacle. Ca sautille beaucoup entre guitare shoegaze, electro aux relents justiciens et hip-hop UK from les Yvelines. Avant tout un nom, ces I Am un Chien font dans l’instantané et dans le tapageur. Sobrement efficace, si on enlève les trois couches de décorum. A peu près tout l’inverse donc, du Roxy Music.
La bande emmenée par la mèche anglaise, Bryan Ferry, était programmée pour le début de soirée sur la scène de la Cascade. Roxy Music, un mythe de glamour et de paillettes. Concernant leur venue, pas de surprises. Dans le rock, une reformation, c’est comme aller voir sa grand-mère quand on est enfant : cela ne dure pas longtemps mais ça rapporte gros. On ne se fait pas (trop) d’illusions sur ce qui a donné envie à Roxy de retrouver la scène. Il n’empêche qu’une fois devant, aucune envie d’un set troisième-âge.
Une version live de Remake/Remodel lors de la tournée de reformation.
Une introduction en feux d’artifices. Le jouissif Remake/Remodel débarque Roxy presque quarante ans après le premier album. La voix de Bryan Ferry s’emballe, le saxophone d’Andy Mackay virevolte au-dessus des guitares. Là, on tient quelque chose. Fini les paillettes, la formation d’époque est maintenant en costumes trois pièces impeccable, ce qui contraste avec la folie seventies projetée en simultanée sur deux écrans géants. Ferry, n’est sur le devant de la scène que lorsque le chant l’appelle : le reste du temps, il regarde des rideaux Roxy Music, embrasse les fans, dans l’ombre. Une dédicace inconsciente à Eno, autre habitué de l’ombre avec Roxy. A plusieurs reprises, il quittera carrément la scène pour laisser s’engouffrer les parties solistes de saxophone ou de guitare.
Roxy Music, malgré quelques rides, est devenue une dame, qui a rangé les froufrous et les tops à paillettes.
Ladytron ne tarde pas à emboîter le pas sur la nuit, l’interprétation est encore une fois juste. La musique de Roxy se déhanche dans une combinaison cuir qui épouse ses formes assumées, une réponse glamour aux mouvements lents de la cire des Astro Lights projetées sur grand écran. Les mélodies fumeuses glissent sur la peau de cette quadra au sex-appeal intact, une fille du rock sans âge. On cède même à quelques chants de Siren, suave et charnel, sans pour autant accepter le dernier verre, en refusant poliment un second rappel, du pied. Jeaulous guy de John Lennon. Roxy Music, malgré quelques rides, est devenue une dame, qui a rangé les froufrous et les tops à paillettes. Reste une classe, intacte.
Pop tagada
« Je vais fermer ma goule et vous faire danser commes des oufs ».
Lancée en début de concert par la chanteuse des Ting Tings dans un français hésitant, la promesse a été tenue. Quand ce n’est pas la vieille garde bien conservée du rock que l’on retrouve sur scène, ce sont leurs héritiers qui s’envoient en l’air à coups de bonnes références. The Ting Tings, racoleur et accrocheur, lance un « Psychokiller, qu’est ce que c’est » sur un break de leur hit Shut up and let me go. Les australiens offriront un set bien ficelé, où les chansons du We started nothing concurrencent les fraises tagadas géantes du stand confiserie. Sucrée et légère, leur pop n’invente pas mais est suffisamment efficace pour emballer les festivaliers pourtant repus après le bon set des Black Angels. Poseurs malgré eux, les texans Black Angels, c’est la nuit en plein jour. Le psychédélisme du Brian Jonestown Massacre traverse l’esprit. La guitare est lourde, tranchante, elle se faufile dans les échos pour passer la main au chant d’Alex Mass, aérien. En ressort un bon set, sans folie, mais on imagine que ce n’est pas dans leurs habitudes.
Ca suffira sans doute au dimanche de Rock En Seine pour se placer dans le peloton de tête des réunions rock de Fance. Malgré des sets relativement courts, l’affiche oscillait entre bonne surprise et revival de choix, une recette qui a fait ses preuves cette année : trois soirs à guichet fermé.
Romain Ledroit
Bloc-Notes
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