
Francofolies de La Rochelle 2010 (2/2)
Les grands enfants du rock français
La chanson française a son grand pèlerinage annuel : Les Francofolies de La Rochelle. Sous le regard bien veillant de la Tour de Saint Jean d’Acre, qui veille depuis des lustres sur la scène la plus mythique des Francofolies, se sont succédés cette année encore monstres sacrés et futurs talents de la chansons française. Devant nous, en ce premier soir des festivités, une scène diablement rock’n’roll qui nous promettait une nuit d’anthologie. Derrière nous, des fans et des curieux, des adolescents et des vieux, des gamins de dix ans et leurs parents, tous venus écouter ensemble des incontournables ou des artistes émergents. Tous venus entendre un air de chanson française...
Le soleil brille encore sur la scène de Saint Jean d’Acre quand la foule envahit les lieux. Au premier rang des midinettes, la frange rebelle et la peau hâlée, attendent avec une impatiente dévorante les nouvelles coqueluches du rock hexagonal : les BB Brunes. Égarés dans cette foule de jeunes filles en fleurs, quelques amateurs d’un rock français passionné et insoumis né à la fin des années 90 observent sourires aux lèvres les groupies d’Adrien Gallo. Les trentenaires ne se moquent pas, ils savent que la jeunesse est la seule génération raisonnable. Eux n’ont pu oublier la leur, une jeunesse passée au côté de Eiffel et de son rock enragé. Enfin, il y a les autres, tous les autres. Tous ceux qui sont venus entendre les voix (et textes) inoubliables des vieux de la vieille. Des monstres sacrés de la chanson française, les deux derniers « grand Jacques » : Higelin et Dutronc.
Eiffel : Rock fiévreux et engagé
Alors que tout le monde espère en douce voir le retour à la scène de Noir Désir (pour récupérer un peu l’intelligence du rock français d’antan et un peu de sa jeunesse par la même occasion) les spectateurs de Saint Jean d’Acre ont pu retrouver (ou découvrir avec plaisir) : Eiffel, groupe de rock bordelais mené tambour battant par Romain Humeau.
Le quatuor bordelais parle avec exigence de la condition humaine dans tout ce qu'elle peut avoir de « charmant et de dégueulasse ».
Auteur-compositeur fiévreux et talentueux, le leader d’Eiffel ne laisse aucunement de marbre avec les textes d’un quatrième album noir et emporté intitulé À tout moment. Avec une complicité incroyable, qui n’est pas sans rappeler celle de Bertrand Cantat et de son groupe, le quatuor bordelais parle avec exigence de la condition humaine dans tout ce qu’elle peut avoir de « charmant et de dégueulasse ».
Passionné et insoumis, doté d’une voix rauque et d’un rythme qui en impose, Eiffel ouvre le bal de la première soirée de ces Francofolies avec des paroles fracassantes. « À tout moment la rue peut aussi dire non ! » est l’un de ces refrains percutants que le groupe aura semé tout au long de sa prestation dans la tête d’un public ravi de voir enfin un groupe de rock rendre ses lettres de noblesse à un genre musical conçu pour la révolte.
BB Brunes : Initiales charmeuses
Une fois le rock engagé disparu de la scène, les trentenaires amateurs de Eiffel ont laissé place à une vague de demoiselles en fleurs amatrices d’un certain Adrien Gallo. Quand celui-là déboule sur scène avec ses autres comparses des BB Brunes, on ose se souvenir du temps des yéyés et de ses coqueluches du rock d’antan dont les filles de l’époque raffolaient pour leurs paroles aguicheuses et leurs guitares effervescentes.
Look habilement travaillé, cheveux (bien) longs et déhanchements exquis, ces BB Brunes ont révisé leurs classiques. Tempo débridé et mélodie agile, les baby rockers ont bel et bien mûri avec leur nouvel opus Nico Teen Love. Diablement énergétique sur scène, le quatuor prend plaisir à entendre toute une foule fredonner leurs textes mutins et coquins, le tout parfaitement posé sur une guitare agitée et juvénile avec laquelle on se laisse lentement aller à la dérive.
Les hits ravageurs aux vertus rajeunissantes s’enchainent à une vitesse effarante et l’on se surprend soudainement à prendre plaisir à observer une foule de gamines, adolescentes et mères y compris, qui répètent toutes en cœur les instants les plus crispants et excitants de l’adolescence retracés par la prose impeccable des BB Brunes. Un vraie cure de jouvence !
Jacques Higelin : Le Fou chantant
Ce n’est pas la première fois que le grand Jacques Higelin débarque sur la scène de St Jean d’Acre avec sa bande de joyeux musiciens. Mais à 70 ans le retour vif et plein d’entrain (dû à son nouvel opus Coup de Foudre), sa prestation avait bel et bien une saveur particulière. Peut-être même était-elle la prestation la plus émouvante de cette 25ème édition ?
Profitez de cette vie! Révoltez-vous !
Le poète fou, a la réputation de bête de scène, a enchanté son public pendant plus d’une heure. Les thèmes abordés étaient pourtant loin d’être gais. Higelin chanta le rock, le blues, la crise mondiale et sentimentale, les esclaves, l’exploitation de tous les temps, et néanmoins dans le regard des fans avertis, comme dans ceux des non-initiés d’ailleurs, il régnait une lueur d’espoir et d’enthousiasme démesuré. Higelin et sa joyeuse bande de saltimbanques n’étaient là que « pour nous servir », nous modeste public.
Débordant d’énergie et d’altruisme, l’artiste a allumé le feu aux poudres de la révolte qui sommeillait en son public. Terminant son formidable tour de chant par l’indomptable « Champagne », Jacques Higelin assis à son piano, habité par ses propres mots, livra quelques petites consignes de vie à son public avant de quitter la scène. Des consignes bien simples à ne jamais oublier : « Profitez de cette vie ! Révoltez-vous ! ». Comme promis, la nuit rochelaise fut belle sous l’éclairage de sa poésie folle et humaine.
Jacques Dutronc : Le gentleman cambrioleur de la chanson française
Le meilleur fut inévitablement pour la fin... Dans la pénombre la plus complète, assis dans un large fauteuil en cuir, le grand Jacques nous attend. Le public impatient retient son souffle dans la nuit noire, et quand les projecteurs se rallument sur celui dont le « Et moi, et moi et moi » est infiniment célèbre, c’est l’hystérie totale sur Saint Jean d’Acre... et dans tout La Rochelle.
Sur scène, quarante ans après une flopée de tubes, le cynique Dutronc joue à la perfection le formidable piège à filles
L’émotion qui parcoure la foule à cet instant précis s’avère compréhensible. Sous nos yeux joue le charismatique Jacques Dutronc, l’un des derniers survivants de la race des seigneurs de la chanson française. Les Gainsbourg, Ferré et Bashung s’en sont allés, il ne subsiste que lui. Dix-sept ans sans un seul « crack boum hue » à La Rochelle, autrement dit : une éternité. Dutronc a délaissé la chanson pour la douceur du climat corse, alors le public s’est consolé en l’attendant avec son fils, Thomas Dutronc, excellent guitariste et amateur de jazz manouche. Mais cette année, le grand Jacques, doux chenapan à l’humour légendaire, a décidé de payer sa tournée, notamment aux Francofolies.
On enfile le mythique blouson en cuir et les lunettes qui vont avec. On demande un cigare, on reprend l’incontournable sérénade irrésistible des débuts et le tour est joué ! Sur scène, quarante ans après une flopée de tubes, le cynique Dutronc joue à la perfection le formidable piège à filles, le crooner impertinent de ses chansons (en insistant malicieusement bien sur le « J’aime les filles de La Rochelle » !). Mais en ces temps troubles, son étonnant répertoire (où l’on trouve quelques merveilleux noms comme Serge Gainsbourg ou Jacques Lanzmann) dépasse bel et bien l’image du playboy coquin au phrasé bourré d’humour. Sur scène, face à un public de 7 à 77 ans, ce qui crève les yeux c’est le caractère visionnaire de son œuvre.
Après des années de politique où l’ « On nous cache tout ,on nous dit rien » et où « L’Opportuniste » est devenu un personnage bien commun, Dutronc et sa plume fabuleusement acerbe enchantent nos consciences le temps d’un concert inoubliable. Éternellement d’actualité les titres caustiques de ce type, arrivé à la chanson par hasard dans les années 60, sont sans cesse à (ré)écouter et à laisser en héritage à sa douce progéniture.
Eloïse Trouvat
Bloc-Notes
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