
Carnet de soirée
Astropolis 2010 : Hippie-Freak, c’est chic
Aller simple pour deux nuits de techno à Brest
L’electro mondiale prend ses quartiers d’été à Brest durant le festival Astropolis. A Fragil, on parcoure les nuits brestoises pour ramener un carnet de soirée de ce rendez-vous electro de l’été. Récit et décryptage de la musique binaire depuis le port de Brest.
En arrivant, le ciel n’est que de gris. C’est une après-midi un peu morose sur Brest. Alors, on attend la nuit. Le vendredi d’Astropolis à la Carène, non loin des squatts punks et des bateaux militaires, a une affiche prometteuse : le nicotineux SebastiAn, les recherchés Fuck Buttons, Yuksek et We Are Enfant Terrible pour ouvrir la soirée. En arrivant, on se fraye un chemin entre le gigantesque stand de bonbons et le bar à bières pour atteindre la grande salle de la Carène. Les basses font vibrer les portes, et Yuksek fait saturer son micro. Ok. On avait prévu d’arriver pour Fuck Buttons, c’est pas grave, on attend un peu. Le paquet de Dragibus acheté en entrant trouve toute sa justification. Un dragibus noir, le meilleur. Le public saute et fait trembler le ponton métallique depuis lequel je regarde le set, tranquillement. Stupeur (pour moi) et tremblements (pour le public) : les coups de coude de mes voisins plus sensibles à Yuksek menacent la durée de vie de mon paquet de dragibus. Trois quarts d’heure. Yuksek, en a encore pour trois quarts d’heure. Il me reste deux solutions : essayer de me fabriquer des boule quiès avec les bonbons restants ou aller prendre l’air. Le paquet de Dragibus est vide, c’est un signe. Je laisse sur la route les kids survoltés par l’hymne Renault, le fameux Tonight, usé jusqu’à la moelle.
Un dragibus ?
« Jeunes cons ». Rien de méchant bien sûr. Ca vient d’un barbu trentenaire au t-shirt hype mais discret, rencontré dans ma pause en extérieur. C’est à propos des DJs que l’on verra ce soir. « Non mais tu vois, t’es forcément marqué par ce que t’écoutais à vingt, vingt cinq ans ». Lui c’était Jeff Mills qu’il écoutait à vingt, vingt-cinq ans et visiblement, il est un peu moins fan de la scène actuelle. « Aujourd’hui, la plupart, ils se la pètent pour pas grand chose », voilà l’affiche de ce soir qui en prend pour son grade. Ce discours du barbu trentenaire au t-shirt hype (en cherchant un peu, on en connaît tous un) s’entend régulièrement lorsque l’on évoque les principaux courants de l’electro actuelle. En résumé : la techno, c’était mieux avant. Comme le foot, quoi. Bon, en attendant, Yuksek et SebastiAn, c’est clair n’ont rien à voir avec Jeff Mills.
L’un a eu son succès avec « Away from the Sea », album sorti en 2009. L’autre, SebastiAn, est un membre du label Ed Banger, l’équipe crayola-flashy de Pedro Winter, à qui l’on doit Justice, ou plus récemment Uffie. Dans les deux cas, on est face à des productions dancefloor, à coups de basses grasses et de montées en puissance froides comme une nuit à Brest. La tonalité de ce genre de production est facilement identifiable, fait de sons numériques massifs. Ca ne sonne pas très fin, surtout quand les hauts-parleurs menacent de se rendre, comme sur SebastiAn.
Dans les deux cas, on est face à des productions dancefloor, à coups de basses grasses et de montées en puissance froides comme une nuit à Brest.
Face à une débauche de mélodies et de synthétiseurs, on appose un rythme binaire fait de kick et de snares. Dans ce genre de musique électronique, les transitions sont réduites à leur plus simple expression, on préfère le gimmick de la dernière track à la mode. Malgré la dimension tapageuse et tape-à-l’œil qu’insufflent ces Djs à leur set, on assiste souvent à des lives qui se ressemblent, à des playlists qui différent assez peu. Etonnant constat, quand on voit le foisonnement des productions électroniques aujourd’hui. Il y a un an, on entendait le Township Funk de Dj Mujava dans quasiment tous les sets, il y a six mois c’était Positif de Mr Oizo et maintenant, Lemonade d’Erol Alkan et Boys Noize. Cette manie de jouer les mêmes tracks réduit considérablement la diversité d’une soirée, et même le rôle de Dj. Peu de place pour la découverte : on viendrait en festival pour écouter en plus fort ce qui squatte son Ipod depuis quelques mois. Sorte de piste verte de l’electro, ce genre de set ne réserve que très peu de surprises. En soi, il n’est franchement désagréable d’entendre Gossip remixé. Au bout de la troisième fois en deux jours, quand même un peu.
C’est même un peu osé
Que l’on ne s’y trompe pas, Astropolis a eu une bonne sélection. Et quelques très bonnes idées. Afficher les Fuck Buttons entre Yuksek et SebastiAn, c’est même un peu osé. La foule en délire sur la fin du set de Yuksek ne s’est pourtant pas retrouvé dans la musique des Fuck Buttons quelques minutes après. Face à cette noise électronique plus proche de Mogwaï (dont ils ont d’ailleurs fait un remix) que de l’electro, le public semblait désemparé. Peu de kicks, pas de snares. A la place, de grandes envolées répétitives et saturées, qui dégage une franche violence, un peu moins perceptible du bar, c’est sûr. Les anglais de Fuck Buttons ont maintenu en haleine une partie du public avec une noise qui va parfois chercher vers l’IDM dans sa rigueur, mais soutenue par une manière de faire singulière : jamais je n’ai vu autant de synthés et de pédales à effets sur une seule table. C’est un signe. Il en ressort donc cette impression d’être face à un grand ensemble que l’on ne maîtrise jamais complètement : on aime.
Tout cela, c’était en attendant le Manoir de Keroual, où se déroule la clôture du samedi. Fidèle à sa réputation, le festival a programmé une trentaine de DJ sur quatre scènes. Une bonne partie des musiques électroniques sont représentées, avec toute la clique du breakbeat, du club et des technos descendantes de la rave. Hippie-Freak, le slogan de l’année, un bon prétexte pour les fêtards. Pour le moment, dans la petite navette bondée qui nous amène sur le site, l’ambiance est plus proche d’une tribune d’un Nantes-Marseille de 1995. La bière coule à flot et chacun y va de son petit pronostic sur LE set à ne pas manquer. Pour beaucoup, ce sera Paul Kalkbrenner, The Subs ou Busy P alias Pedro Winter. De mon côté, j’ai oublié les dragibus et pas revu le trentenaire barbu au T-shirt hype. 23h, la fête a l’air déjà bien lancée, on est prêt pour la nuit de clôture.
Pas vraiment hippie, pas tout à fait freak
Pas vraiment hippie, pas tout à fait freak, la soirée de clôture c’était surtout un Astropolis de plus. Une nuit entière sous le ciel brestois à écouter des grands noms de la techno. Il fallait aller chercher les quelques originalités, dont Otto Von Schirach, une bizarrerie électronique, ou The Subs pour cette puissance qui vient du rock, mêlée à l’énergie de la rave. Les amateurs de minimale sont restés dans la Cour du Manoir, où du sol on ne voit plus les étoiles mais des boules à facettes. Le français Danton Eeprom était à deux doigts d’en finir avec le public, il a finalement ouvert pour Paul Kalkbrenner. L’allemand a réveillé Astropolis pour un set qui aurait mérité de passer la nuit, comme Sven Väth l’année dernière.
Une nuit entière sous le ciel brestois à écouter des grands noms de la techno.
L’originalité. C’est sans doute ce qui a manqué au manoir de Keroual. Hormis quelques surprises, sans doute trop rares et situées en début de soirée, le festival a surtout proposé une affiche qui manque d’excentricité, dommage pour des freaks. Le festival n’a pas fait office de défricheur capable de proposer un événement pour les amateurs d’electro les plus pointus. Le fait de proposer une sélection trop large sur quatre scènes manque parfois de finesse et de surprises, à l’image de la scène Hip2Drum consacrée à la Drum’n’Bass et ses cousins proches, de la Jungle au Dubstep. C’est aussi que d’autres belles dates de l’electro en France se font plus exigeantes : on a vu l’édition des Nuits Sonores cette année ou même du côté du Nördik Impact, avec la venue de Pierre Henry.
L’Hippie-Freak, c’est surtout dans le public que cela se jouait. Astropolis, c’est aussi ça, voir Brest rempli de festivaliers prendre un café avec les touristes sur le port pendant que d’autres jouent à la pétanque au Mix’n’Boules. Rendez-vous annuel des fêtards d’un peu partout, le festival sait faire dans l’ambiance pendant ces quatre jours dédiés à la techno. Alors, on croise au petit matin un casque de Daft Punk un peu éméché en train de danser avec un catcheur, une peluche de Mr Oizo sur l’épaule. Hippie-Freak, en somme.
Romain Ledroit
Bloc-Notes
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