
UNIVERCINÉ RUSSE 2010 - NANTES
Les Zazous : un film-thérapie contre la mélancolie
Haute en couleur et en musique, la comédie musicale Les Zazous, réalisée par Valéri Todorovski en 2008, a ouvert le bal du Festival du Film Russe de Nantes. C’est avec ferveur et enthousiasme que les personnages nous transportent gaiement dans un film aux décors et aux chorégraphies époustouflantes. Un bon hymne à la joie, dynamique et décalé tout en étant romantique et attachant.
Ils étaient facilement reconnaissables à leur veste à carreaux tombante et à leur parapluie fermé.
Moscou 1955, deux ans après la mort de Staline, en pleine Guerre Froide. Les brigades des jeunesses communistes mènent la vie dure au zazous qu’elles pourchassent avec des ciseaux pour leur couper cheveux et vêtements. Lors d’une poursuite, Mels (Marx-Engels-Lenine-Staline) tombe sous le charme de Polly, une fille de l’autre camp. En vue de la séduire, le jeune Komsomolets exemplaire et rigide va petit à petit se transformer en un de ces rebelles, fans de musique jazz et de mode américaine.
Oui, la Russie a eu ses zazous !
Le phénomène des zazous (stilyagi en russe) est une mode qui était déjà apparue en France dans les années 1940, sous le régime de Vichy. Il s’agissait de jeunes gens s’affublant de vêtements anglais ou américains et affichant leur amour du jazz. Ils étaient facilement reconnaissables à leur veste à carreaux tombante et à leur parapluie fermé qu’il pleuve ou qu’il vente. Ils représentaient des jeunes anticonformistes qui s’opposaient à la rigidité du gouvernement par leur attitude désinvolte et leur capacité à tout tourner en dérision. Par exemple, lorsque les lois raciales de Pétain et des Nazis obligèrent les Juifs à porter l’étoile jaune, un certain nombre de zazous, par défi, s’affichèrent avec une étoile jaune marquée Zazou, Swing ou Goy. Ils furent arrêtés et conduits au camp de Drancy avant d’être relâchés. Une décennie plus tard, le régime communiste de l’URSS voit aussi naître ses rebelles hauts en couleurs arborant une coiffure pompadour pour les hommes et une choucroute relevée pour les jeunes filles. Ils ont leur propre Broadway à Moscou et se retrouvent régulièrement pour swinguer sur du Charlie Parker et du Miles Davis.
« Nous ne sommes ni meilleurs ni pires, nous sommes juste différents ».
Dans le film, le réalisateur met en scène une nette opposition entre la rigueur militaire des communistes et la folie déglinguée des zazous. Une musique endiablée fait face à un rythme militaire froid, des marchés clandestins riches en vêtements bariolés sont dissimulés derrière des magasins de vêtements où tout est identique et symétrique. Les Zazous forme un hymne à la différence et à la liberté, ainsi qu’une ode à la sensualité, aux sentiments et à la vie. On bascule sans cesse entre deux idéaux : le rêve d’une American way of life et le cauchemar des usines staliniennes. Toutefois, le réalisateur n’oublie pas de souligner que l’effet de groupe présent chez les jeunesses communistes n’épargne pas les zazous et que l’anticonformisme se renouvelle à chaque génération.
A l’image de ses personnages désinvoltes, le film tourne en dérision les clichés de la comédie musicale et des films romantiques américains. Tous les décalages et anachronismes sont assumés avec humour et subtilité : des punks, un bébé noir, « un livre de géométrie » et des classiques du rock russes revisités pour le film et qui se mêlent élégamment à une musique jazz ou rap.
Plus qu’une comédie musicale simple et légère, c’est un film qui porte tous les embryons de la révolte et toutes les aspirations à une vie épanouie et entière, un hymne à la jeunesse à la fois lucide et farfelu.
Marine Leduc et Antoine Bernier
Le film a remporté le Prix du Public de cette 19ème édition du Festival du cinéma russe de Nantes.
Plus d’infos
Site du film (en russe)
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