
20ème Festival du Cinéma Espagnol de Nantes 2010
Leçon de cinéma par Alain Bergala et Victor Erice
Projection en avant-première du documentaire d’Alain Bergala sur le cinéaste Victor Erice
L’histoire du Festival espagnol de Nantes est peuplée d’une multitude de rencontres improbables, d’instants magiques et d’allers-retours merveilleux entre les plaines ibériques et l’hexagone français. C’est pourquoi il était important de faire figurer dans la programmation de cette 20ème édition, le documentaire Paris-Madrid, allers-retours d’Alain Bergala. Un aller-retour de plus dans l’épopée du festival. Un Paris-Madrid en forme de déclaration d’amour au cinéma d’un des maîtres du septième art espagnol : Victor Erice. Projeté en avant-première, ce Paris-Madrid fait constamment écho à la force première du cinéma : être un espace dépourvu de toute frontière. Un monde unique où un critique français peut s’évertuer à transmettre la parole d’un cinéaste espagnol, où un petit garçon terrorisé par le régime franquiste peut s’échapper grâce aux 400 coups d’Antoine Doinel. Sous la caméra intimiste d’Alain Bergala, le cinéma a soudainement ceci de supérieur à la réalité, qu’en cas d’ennui ou de douleur infinie, l’écran noir est toujours là pour consoler.
Alain Bergala, féru du cinéma de ce rêveur solitaire, a voulu offrir aux festivaliers son documentaire inédit sur ce génie du cinéma ibérique qu'est Erice.
Victor Erice a hanté les nombreuses éditions du Festival du cinéma espagnol par la simple présence sur les écrans de ces trois longs-métrages (L’Esprit de le ruche, Le Sud et Le Songe de la lumière). Hélas, l’homme, à la personnalité modeste et réservée, n’a jamais fait un réel acte de présence sur la scène nantaise.
Ainsi Alain Bergala, féru du cinéma de ce rêveur solitaire, a voulu offrir aux festivaliers son documentaire inédit sur ce génie du cinéma ibérique qu’est Erice. Son Paris-Madrid, allers-retours fut réalisé dans le cadre de la mythique collection « Cinéma de notre temps », une collection née dans les années 60, sous la direction d’une des plumes des célèbres Cahiers du Cinéma, André S. Labarthe.
L’ambition de cette imposante entreprise était de rendre hommage aux cinéastes qui ont à jamais marqué leur art. Alain Bergala considérait la présence d’Erice au sein de celle-ci comme « très importante ». Cet admirateur de la première heure, et travailleur acharné du cinéma, est à l’origine d’une récente exposition « Erice-Kiarostami. Correspondances » qui s’est promenée avec succès du Centre de Culture Contemporaine de Barcelone au Centre Pompidou, en passant par la Casa Encendida de Madrid.
Alain Bergala a habilement profité de ce premier contact avec Victor Erice pour lui proposer l’idée d’un documentaire sur lui et son œuvre. Après deux ans d’apprivoisement d’un personnage captivant, les allers-retours Paris-Madrid pouvaient commencer sous la caméra de Bergala accompagnée de la petite caméra DV d’Erice.
Premiers émois cinématographiques
Documentaire sans frontières, Paris-Madrid, allers-retours retrace une discussion entre deux passionnés, qui s’aventurent d’une terre à l’autre pour faire rejaillir les souvenirs enfouis et les premiers émois cinématographiques.
Né en 1940, au lendemain de la guerre civile et en pleine débâcle mondiale, dans un petit village à quelques kilomètres de San Sebastián, Victor Erice voit le jour lors d’une période cruciale. Perdu dans une atmosphère intrigante, celle des années franquistes et des blessures silencieuses du peuple espagnol, le petit garçon doit s’échapper au plus vite de l’ennui et des menaces de l’Histoire. Son échappatoire sera la salle obscure.
Sous l’œil attentif de Bergala, Erice parle du cinéma de son enfance. Le phrasé vif, il fait référence à ce cinéma américain où la vie était belle comme jamais elle ne l’était ici-bas. À 13 ans, la claque cinématographique arrive avec Vittorio de Sica et son Voleur de Bicyclette. Enfin, la vie telle qu’elle était, débarquait sur les écrans. Erice dit avoir compris grâce au néoréalisme italien : « La facilité et la naïveté du cinéma américain qui vit avec cette vision fantasmée de la réalité ».
En 1959, au Festival de San Sebastián, lieu important pour le cinéaste où il put assouvir sa cinéphilie dévorante, le jeune garçon découvre un sentiment nouveau : l’impression d’extraordinaire face à la modernité. Devant lui se jouent les désormais mythiques aventures d’Antoine Doinel, petit parisien prisonnier de l’ennui enfantin, de la bienséance de la société et des mensonges de ses parents dans Les 400 Coups de François Truffaut. « Le premier film de ma vie qui m’a donné envie d’écrire pour le cinéma », confie Erice à la caméra de Bergala.
Dans le Paris d’aujourd’hui, le cinéaste espagnol, accompagné de sa caméra DV, part à la recherche du héros de sa jeunesse interprété par Jean-Pierre Léaud, être solitaire, antisocial et au bord de la révolte. Un petit être grandit par le cinéma qui lui ressemble beaucoup. L’Ipod à la main, Erice fait défiler les scènes cultes et importantes dans sa formation de cinéaste. De L’Espoir de Malraux en passant par À Bout de souffle de Godard, il redécouvre des lieux à jamais vivants dans sa mémoire de cinéphile. Chacune de ces scènes apporte au documentaire de brefs instants vivants qui émanent d’un passé cinématographique inoubliable. Bergala fait déambuler Erice, de Madrid à Paris, à la recherche d’un temps perdu, celui des héros de son adolescence, de ses compagnons de solitude avec qui il combattait son état premier : être orphelin.
Mot inévitable dans son parcours, ce sentiment d'abandon est le socle même de son cinéma. Erice fut orphelin de tout.
Une génération d’orphelins
Lors de ces confessions face caméra, la parole extrêmement élaborée et captivante de Victor Erice revient sans cesse sur un terme clé celui d’ « orphelin ». Mot inévitable dans son parcours, ce sentiment d’abandon est le socle même de son cinéma. Erice fut orphelin de tout. Orphelin de sa culture tout d’abord puisque les artistes et intellectuels ne faisaient pas bon ménage avec le pouvoir de Franco. Orphelin de la cinéphilie de sa génération puisque le créateur phare du cinéma espagnol de l’époque, Luis Buñuel, était exilé au Mexique. Orphelin enfin d’un père présent physiquement mais définitivement absent par sa tourmente permanente du franquisme. Cette génération perdue est allée compenser l’absence de tous (re)pères au cinéma. Celui pour qui « être seul est une condition » définit sans cesse l’histoire du cinéphile comme celle d’un orphelin qui recherche éperdument ses parents.
Dans une Espagne bouleversée par le spectre de Franco, Victor Erice débutera sa carrière de réalisateur avec L’Esprit de la ruche en 1973 (El Espíritu de la colmena), une évocation noire et poétique du monde de l’enfance. Ce premier film, dont Alain Bergala se fait un plaisir malin à insérer quelques extraits dans son documentaire, livre une scène d’ouverture nécessaire pour saisir la complexité de l’œuvre du cinéaste.
Dans un petit village de Castille, quelques jours après la fin de la guerre civile, est projeté le mythique Frankenstein de James Whale. Parmi les spectateurs : la très jeune Ana, 8 ans et des yeux fascinés par les mystères du cinéma qui ne sont autres que ceux de la vie. Le regard d’Ana n’est autre que celui d’Erice gamin dans une Espagne de la censure. Un regard dont il joue encore face aux interrogations de son interlocuteur. Un regard contemplatif sur la possibilité d’un ailleurs, d’un cinéma moderne dont il se réclame à chaque instant. Le cinéma de Renoir, de Rossellini et ses compatriotes, des cinéastes de la Nouvelle Vague. Le cinéma qui l’adopta, lui et sa génération sacrifiée par le temps du silence et du délabrement qui succéda la guerre civile. Un cinéma qui lui donnait enfin l’impression « d’appartenir au monde ».
Victor Erice parle de ce langage nouveau comme celui du crépuscule de notre civilisation. Avec lui, l'écran est devenu un trou noir
Amoureux fou de la modernité cinématographique des années 50 et 60, celle qui rompait avec le cinéma d’antan et son idée dépassée de filmer la vie de manière utopique, Victor Erice parle de ce langage nouveau comme celui « du crépuscule de notre civilisation ». Avec lui, « l’écran est devenu un trou noir » et aligne avec beauté les images et leurs mystères de façon à ce que ce qui n’est pas montré soit aussi important que ce que l’on donne à voir. Prônant une « politique de spectateur », celui qui a passé plus de temps à regarder des films qu’à en faire (trois films seulement en quarante ans de carrière), se révèle être un personnage irrémédiablement moderne. Un homme pudique et réservé parfaitement décrypté, avec retenue et élégance, par un grand spécialiste du septième art. Un cinéaste de notre temps.
Eloïse Trouvat
Extrait du premier film de Victor Erice L’Esprit de la ruche (1973) :
Site Officiel du Festival du cinéma espagnol de Nantes
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