
Plan B....explosif !
Créée à Toulouse en 1999 sous l’impulsion de deux cerveaux inventifs en ébullition, la compagnie 111 a élu domicile au T.U., pour la 135ème représentation de « Plan B ». Un an de travail sur la conception, 6 mois de répétition, une collaboration intime avec le metteur en scène new-yorkais Phil Soltanoff, et voilà ce petit bijou, deuxième volet d’une trilogie sur l’espace.
Le premier tableau s’articulait autour de l’espace tridimensionnel et décortiquait un volume. Là, face à la stabilité mobile d’un plan, les possibilités qu’offrent une sphère à deux dimensions sont minutieusement disséquées. La dernière partie du triptyque, à venir, portera, de fait, sur l’espace à une dimension, avec un travail sur la ligne... Mais que pourront encore inventer ces as de la scène pour accrocher aussi pleinement l’attention d’un public - pour qui la fonction cathartique de base du théâtre prend ici tout son sens ?
Une féerie à consommer sans modération, qui fait l’unanimité, aux quatre coins du monde, des petits et des grands de 7 à 77 ans. Une démonstration génialissime qui impose, d’une seule voix, une preuve percutante : la vie n’est autre qu’un jeu d’enfant !
Un savant mélange de naïveté enchanteresse et de prouesses techniques qui mêle arts du cirque et jeux de mimes avec une originalité détonante de couleurs et de rires, teintée d’un féroce humour. A coups de scratch, d’acrobaties contorsionnées, sur un fond de mélodie futuriste, on réapprend à danser le oula-oup et on admire, avec des yeux d’enfants ébahis, comment réussir à faire de la musique avec des balles blanches insignifiantes et pour le moins singulières. Tout ça revêtu de costards cravates “BCBG”, avec pour unique espoir de s’envoler loin, tout là haut... un peu plus près des étoiles... Pour essayer de comprendre cette métamorphose rocambolesque d’un monde ordinaire, voici quelques uns des secrets que nous a confié Aurélien Bory, concepteur, scénographe et acteur du spectacle.
Point de vue
Il nous explique : « L’individu est plongé dans un espace, et on aime à croire que notre comportement est complètement influencé par cet espace, par notre espace de vie (bus, hall de gare, pièce confinée...). L’espace nous dicte quoi faire et on s’adapte, comme on s’adapte aux gens. Ca, c’est le matériau de base de ce spectacle : s’adapter à l’espace et aux relations. L’idée originelle de plan B, et de notre travail d’une manière générale, c’est de s’emparer d’un sujet : là, le plan ; et de le traiter d’une façon très exhaustive, à savoir : s’en servir d’une manière complète, d’en proposer une exploration intégrale. C’est pour ça que l’on travaille avec les trois états du plan : horizontal, vertical, incliné. Il ne peut y en avoir d’autres. C’est là tout le spectacle : trois rapports à la gravité complètement différents : soit la gravité pleine avec la verticalité, soit l’absence de gravité avec le plan à l’horizontal, soit la gravité modifiée ou réduite avec l’inclinaison. Ce sont trois perceptions de l’espace, de cet espace du plan, complètement différentes, et avec ça, dans mon travail particulier de conception, j’ai du trouver des sources d’inspirations pour créer de la matière. Au final c’est un spectacle qui regorge de références, surtout au niveau du cinéma. C’est évidemment très difficile de parler du plan sans parler du cinéma : un plan de cinéma... Donc, par exemple, quand la caméra filme le plan horizontal du dessus, j’ai découvert que ça avait été fait par Méliès, un des pères des trucages cinématographiques, en 1902 dans la femme volante, un court métrage de 40 minutes. A la différence que là, dans le spectacle, on montre la fabrication du trucage. Mais ça n’enlève rien à la magie, au contraire, je pense même que ça ajoute un peu de poésie. D’autre part, quand le mur tombe de toute sa hauteur, d’une seule masse, et que l’on a l’impression, qu’il va me tomber dessus, ça s’inspire d’une scène de Buster Keaton dans Steamboat Bill Junior.
Mais l’idée du plan, en elle-même, c’est vraiment un processus de création qui repose sur la conviction que l’objet n’est pas le même en fonction du point de vue. A savoir que quand on monte le plan incliné de 30 à 80 degrés, c’est plus du tout le même objet. C’est plus le même rapport pour les acteurs dans la mesure où le rapport à la gravité est modifié ; et quand il passe à l’horizontal, c’est encore complètement autre chose. Ce rapport des points de vue m’a toujours fasciné : comment peut-on regarder un même objet et en avoir des perceptions totalement différentes ? ; comment on peut regarder une même chose sous des angles différents et traiter ces points de vue ?... »
Un homme soumis en vaut 4
... « C’est ce qui donne cette histoire un peu fragmentée. Plan B c’est à la fois un poème - c’est à dire que ça fonctionne par scènes, des scènes fragmentées qui s’enchaînent et qui donnent une couleur un petit peu différente à chaque fois : on joue beaucoup sur les sensations, sur la réception du spectateur - et une histoire globale, mais qui n’a pas qu’une seule lecture. Le plan a été traité dans le sujet en tant que projet. Quand on choisi un sujet, on aime bien savoir ce qu’il est formellement, donc là, un plan géométrique, mais aussi métaphoriquement. Et quand on dit avoir un plan, ça signifie avoir un projet. Parti de là, on a situé le mot plan dans le milieu professionnel : un plan de travail, un plan de carrière... C’est pour ça que ces hommes sont 4 businessmen : ils ont un projet dans lequel ils s’investissent, qu’on leur impose même, puisqu’ils doivent toujours s’adapter à ce plan incliné, inclinable. Dans la problématique, Plan B se situe entre le projet et les rêves : qu’est-ce qui relie encore dans nos vies nos projets et nos rêves ? Le rêve de voler par exemple, le rêve d’être invincible, le rêve de toucher le ciel, mais aussi le rêve que bon nombre de gens ont d’avoir une maison à soi, un “chez-soi”... L’imaginaire du spectateur est beaucoup investi. Ces quatre personnages plongés dans le plan essaient d’apprivoiser cet espace. A la fois ils le subissent et ils essaient de le dompter. Mais une fois cet espace apprivoisé, le plan change à nouveau et tout ce qu’ils ont appris jusque là n’a servi à rien : il faut tout recommencer. On montre par là la capacité d’adaptation de l’homme, mais aussi sa grandeur et sa dérision : cette espèce de soumission face à des choses qui le dépassent. Et quand on est dépassé par ces choses, mais que d’un autre côté, on a des rêves, alors on monte un projet. Et un projet c’est justement ça : le rêve cogné à la réalité. Et bien Plan B c’est tout ça : ce dialogue entre un projet, un plan, ici : le plan B, et la réalité. Mais un dialogue dans le sens figuré puisque le spectacle est muet. Pas un mot, pas un son de bouche, seuls des mimes, des attitudes, des soupirs... qui font comprendre un état d’esprit. On avait envie, dans un souci d’universalité, de pouvoir faire passer des choses par d’autres moyens de communication que la parole. On a beaucoup joué à l’étranger et c’est très agréable de pouvoir être compris par tous, d’avoir ce côté un peu “international”, de pouvoir faire rire des gens sans parler leur langue, de voir que, finalement, il n’y a pas beaucoup de différences entre les nations. Et à partir du moment où il n’y a plus de langage, on se doit de guider l’attention sur autre chose : le corps, les gestes... Un petit peu comme quand on regarde une scène de loin : on s’imagine souvent ce que les gens sont en train de se dire. Il y avait cette idée de fabriquer et de définir du théâtre par d’autres moyens que le théâtre de texte plus conventionnel, un peu comme l’avait fait Oskar Schlemmer, chorégraphe du Bauhaus, dans les années 20 en Allemagne, en définissant le théâtre comme “art de l’espace”. »
Quand l’humour devient une religion
« Mon travail a été de définir le sujet et les moyens mis en œuvre pour en parler : la conception ; et de définir l’espace : la scénographie. Et pour ça j’ai choisi de traiter le sujet du plan de telle sorte qu’il soit mobile, complètement manipulable par l’acteur. Le mouvement du décor, c’est le point central du spectacle, puisque c’est ce qui en défini la dramaturgie. C’est cette scénographie qui a été le point de départ du sujet, notre élément de base. Mais après, le but du spectacle c’est un peu d’échapper à une catégorie, que l’on ne sache pas trop ce que c’est. Tous les acteurs ont une formation de cirque, mais derrière cette étiquette d’acteur de cirque, y’a aussi l’idée de l’acteur polyvalent qui peut tout faire. Chez nous le jonglage et l’acrobatie sont considérés comme des extensions des moyens de l’acteur. Il ne s’agit pas vraiment d’une performance en soi, le sujet n’est ni l’acrobatie ni le jonglage, ce sont simplement des outils qu’on utilise, et que l’on trouvait d’autant plus intéressants puisqu’il s’agit ici d’appréhender l’espace. Et puis j’aime bien aller jusqu’aux limites d’un domaine, et dans la mesure ou un plan B - ou C, ou D, peu importe comment on l’appelle - c’est aussi souvent une solution de rechanges, rien n’est figé : on laisse place aux ratés, à l’aléatoire notamment dans le jonglage. Parce que le plan B, c’est aussi un plan de rechange par rapport à ces aléas... comment passer au-delà de ces actions avec obstacles, pour rendre un peu plus dérisoire la chose. C’est un peu tout ça notre idée de départ.
Ensuite, après avoir dessiné les grandes lignes et choisi le fil conducteur, on a réuni une équipe avec Olivier Allenda, avec qui j’ai fondé la compagnie. Et Phil est entré en scène. J’avais fait un stage de théâtre avec lui en 1998. Moi en tant que stagiaire - acteur et lui en tant que metteur en scène. C’est là que j’ai découvert son travail et j’y ai vu beaucoup de points communs avec mes préoccupations et mes centres d’intérêt. Donc quand j’ai commencé la conception de Plan B, j’ai tout de suite pensé à lui proposer une collaboration. Son travail à lui s’est déroulé en deux temps : il a d’abord regardé la matière qui naissait de la recherche, de nos idées, de nos propositions. Il a attendu qu’on laisse mûrir tout ça et que l’on fasse le tri et ensuite il a proposé des associations. De là, le sens naissait. On voyait, avec la même matière de départ, la pièce prendre vie d’une manière plus concrète. Il s’est chargé de la mise en scène à proprement parlé : il nous a conduit du projet à la concrétisation.
Ce travail, c’est donc une collaboration avec lui, mais aussi avec toute une équipe : le créateur lumière, l’ingénieur son, les comédiens... C’est un principe de travail auquel on tient beaucoup, et qu’on arrive à conserver parce que l’équipe est complètement en phase. On a tous une très haute opinion de l’humour. On considère que l’humour est un vecteur fabuleux, capable d’ouvrir les cœurs. C’est une intelligence par rapport à la réalité, et c’est un petit peu notre art de vivre. Du coup, on est tous sur la même longueur d’ondes, on emprunte le même chemin, donc on arrive facilement à discuter, collaborer et coordonner nos idées. Ca fait 2 ans et 3 mois qu’on joue le spectacle et on n’en a pas encore marre. A chaque fois, on l’aborde comme si c’était la première fois. Le jour où notre jeu deviendra mécanique, ça voudra dire que ce n’est plus possible de le jouer. »
Manon HERICHER. Propos recueillis par Charlotte HOUANG et Manon HERICHER.
Ne ratez pas leur prochain spectacle : "Plus ou moins l’infini". « Un univers qui se situe à la frontière des genres et qui se défini par cette collaboration artistique d’une équipe entière, par la réunion de nos différentes individualités en une collectivité ».
Bloc-Notes
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