
Vitellius ou quand l’anachronisme se joue de César.
Le Théâtre du Rictus
Le théâtre du Rictus a présenté « Vitellius  », pendant quatre soirées, au Lieu Unique. Un spectacle inédit en France de l’auteur et scénariste hongrois Andras Forgach, qui reçut pour cette pièce le prix de la critique, en 1992, à Budapest. Une tragi-comédie dotée d’une cruelle ironie et d’un humour féroce qui met en scène des acteurs remarquables et un premier rôle, absolument époustouflant, qui, tout César qu’il est, aurait aimé « par-dessus tout, être un bouffon de la cour  ».
On jongle ici avec clichés et anachronismes pour conter les derniers jours de cet empereur immature et faire de cet emblème irresponsable un chef de cour dépouillé de toute crédibilité... qui arrive même à nous conseiller un mélange de caviar et de miel pour faire disparaître les maux de ventre. Peut-être trouvera-t-on ici le moyen de faire enfin apprécier, aux plus réfractaires, une leçon d’histoire oubliée dans les livres au tout début du collège...
A Laurent Maindon : Une pièce de plus de deux heures, c’est un travail colossal qui a du vous prendre un temps monstre...
C’est difficile à quantifier pour la totalité du travail, par contre en travail réel, en répétition sur le plateau, on a eu 7 semaines pour mettre le spectacle en place. C’était une course de demi-fond. C’était même entre le sprint et le demi-fond. Mais un projet comme ça, il naît bien longtemps à l’avance. C’est une vieille histoire d’il y a douze ans. J’ai rencontré Andras alors qu’il était invité en résidence d’écriture. On a discuté. Il m’a dit qu’il avait écrit des textes en allemand. Je m’y suis intéressé puisque je lis l’allemand. Je lui ai demandé de me les envoyer. J’ai lu, j’ai adoré ce texte de « Vitellius » et puis je lui ai proposé de le traduire. Il m’a donné carte blanche. Et là, 10 ans plus tard, je décide de me donner les moyens financiers de monter la pièce avec la troupe du Théâtre du Rictus - théâtre créé en 1996 par Yann Josso, comédien et moi-même. Et voilà, ça donne ça ! Donc c’est un vieux parcours. Il y a des moments où j’ai oublié « Vitellius » et je l’ai finalement retrouvé au moment où il fallait.
Quel pourcentage du texte de départ a été adapté ? Andras Forgach : Je pense que 70 ou 80% du texte est là, non ?
Laurent Maindon : Plus que ça ! J’ai juste coupé un tout petit texte dans la scène du retour de Sabinus, à la fin de la pièce, mais c’est tout.
A Andras Forgach : Au niveau du texte justement, d’où vous vient votre inspiration ? De lectures d’histoire... ?...
Oui, sûrement. Mais c’est au-delà de cela. J’ai commencé à écrire ce texte au début des années 80, pour le terminer au commencement des années 90. Pendant toute cette période, j’ai pu observer les grands changements dans la société hongroise, mais aussi les politiciens de mon pays, leur manière de jouer avec la rhétorique, de faire sans cesse des pas en arrière pour sauver leurs positions. Tout ça a été une très grande source d’inspiration. Autrement, c’est aussi parce que je me suis reconnu moi-même dans le personnage de Vitellius.
C’est un mélange de ce que vous avez pu observer, et de ce vous êtes vous même ?
Exactement. Enfin, Il y a deux versions de la pièce. La première version était un peu plus historique, plus froide disons, plus rigide. C’est plus tard que j’ai décidé de donner un peu de mon être à ce monstre, alors ce monstre est devenu beaucoup plus vivant et plus intéressant.
En ce qui concerne la mise en scène, vous avez été présent pour donner vos idées ?
La dernière semaine seulement. J’étais très curieux. Je suis un homme du théâtre, je ne suis pas seulement un auteur de théâtre, je travaille beaucoup dans le théâtre, je traduis beaucoup et je suis dramaturge aussi. Alors j’ai vu le théâtre sous différents angles et j’ai pu donner des avis concernant la mise en scène. Pas comme écrivain, mais comme un homme du théâtre qui voit des choses. En tant qu’écrivain je suis très heureux car Laurent a fait pour moi quelque chose de très instructif, quelque chose de « récréatif et instructif » en même temps, comme ils disent pendant l’interlude. J’ai appris beaucoup sur ma pièce. Je suis très heureux de cette interprétation.
Est-ce que l’interprétation scénique est fidèle au texte de départ ? Au niveau des apartés et des mimiques, c’est ce que vous imaginiez ?
Oui, la plupart du temps. C’est très intéressant parce que Laurent a analysé la pièce très profondément, sa philosophie, les rapports entre les personnages...Il a changé beaucoup de choses. De mon côté, j’imaginais autrement certaines figures, mais le rapport qu’il a établi entre elles est tout à fait correct. Quand ça commence à bouger, ça prend une direction que je n’avais pas imaginé mais à laquelle j’ai tout de suite adhéré. Par exemple, pour les peluches : dans ma pièce, ce sont des enfants réels, mais la première fois que j’ai vu cela, je l’ai accepté comme une réalité théâtrale qui donne beaucoup. Pourquoi une peluche - du 20° siècle quand même - ne pourrait-elle pas devenir un enfant de César ?
A Laurent Maindon : Cette idée de peluches d’ailleurs, vous est venue comment ?
Au niveau de la scénographie, on est parti d’infantilisation, de la régression au travers du pouvoir... je passe toutes les étapes qu’on a franchies. A un moment donné on s’est dit « à quoi ressemble cette chambre de Vitellius ? » Et on a commencé à délirer sur le monde de l’enfant, pour finir par zoomer sur un élément, sur ce lego. Après on s’est dit, dans une chambre d’enfant il y a toujours, ou des marionnettes, ou des peluches, donc on a rajouté des peluches. Et a un moment donné, ça m’est apparu comme une évidence : les enfants, c’est une totale création de Vitellius, donc j’en ai fait des peluches. En plus, j’aimais bien l’idée que ce précepteur - que j’imagine être un prof de fac déchu (car je vois bien comment Vitellius peut détester les intellectuels et être dans son populisme) - soit humilié à s’occuper de peluches et à les faire parler. Je trouvais ça bien. C’est un peu l’idée de départ. Et que ce type - qui plus est - se fasse couper la tête, c’est encore pire. Et là, je pense qu’il y a une espèce de contre-pied à l’horreur et l’horreur elle est aussi dans ce grotesque.
A propos de votre interlude ? C’est un peu particulier ; pourquoi ne pas avoir fait un entracte, j’oserais dire « normal » ?
C’est un truc qui peut laisser perplexe effectivement. On avait en tout quasiment 2heures 20 de spectacle, avec un changement de décor obligatoire. Et puis ça me plaisait bien de jouer avec les rideaux, de retrouver ce truc un peu à l’ancienne. Il y a un côté désuet et en même temps très enfantin, comme on ouvre une boîte à musique ou une boîte à images. Du coup, je trouvais ça un peu bête que le changement de décor se fasse à vue, parce qu’on perdait un peu de la magie de la scène. Donc là, très arbitrairement, on s’est dit on va faire un interlude. Je voulais pas que les gens sortent boire une bière - parce que moi-même je n’aime pas ça en tant que spectateur - donc je me suis dit qu’il fallait les garder en haleine en les divertissant, comme ça se faisait dans les années 60 avec les actualités au cinéma, ou les coupures pub... En fait, c’est un peu ça aussi - et on s’est dit que c’était amusant de faire ça sur le thème de la pièce...
...Ca donne un « Question pour un Empereur » avec des questions aussi grotesques que « Je suis celui [...] qui apporta la pistache en occident ; je suis, je suis... ? ... » ...Et pour ceux qui chercheraient encore la réponse à la question - un indice... - c’est le titre du spectacle que vous avez manqué !
Propos recueillis par Manon HERICHER
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