
Les trois bonnes raisons de Cathy
Adaptation d’une nouvelle de Pessoa
« J’aime les mots, j’aime les écrivains, je suis une passionnée de littérature. Je ne sais pas écrire, donc j’interprète, j’écris à travers les autres en quelque sorte. C’est plutôt bien, en fait, j’ai envie de faire partager ce que j’aime, de faire découvrir aux autres les textes, les auteurs qui me touchent  ». Voilà ce que me confie Cathy Poisson, interprète et metteur en scène de la nouvelle « Bureau de Tabac  » de Fernando Pessoa. Sur la petite scène du Studio Théâtre, le texte du poète portugais prend vie. Quelle plus belle mise en appétit qu’un récital violoncelle - guitare avec Gwendoline Demont et Gustave Chainon avec leur duo « faut qu’on parle  » extrait du répertoire « la clarté propice des étoiles  »...
Trois bonnes raisons de choisir Pessoa et d’y allier musique et danse...
Une histoire d’amour
Le texte de Pessoa ça fait 15 ans qu’il est dans mon tiroir. C’est vraiment un texte que j’adore, un coup de foudre, qui parle de l’être humain, de la création...Avec les soucis qu’on a eu en tant qu’intermittents du spectacle, et les soucis qu’on a eu en tant qu’artistes, je me suis dis que c’était le bon moment pour le ressortir du tiroir et essayer d’en faire quelque chose. Pessoa a créé des personnages avec des biographies différentes, des histoires différentes, et des styles d’écriture différents, donc je trouvais que c’était bien d’être à trois pour illustrer trois visions de l’être : le corps ; l’esprit, l’intellect, le cérébral ; et l’âme. Le violoncelle (avec Gwendoline) parle à l’âme, au cœur, il travaille sur la sensibilité - en tant que musique, mais aussi parce que dans le violoncelle, il y a une partie qui, au niveau technique, s’appelle l’âme. La danse, avec Sophie parle du corps, de la difficulté d’avoir un corps, qui fait mal des fois...et moi j’étudie le texte, je le fais parler, et je travaille donc sur l’intellect. J’ai décidé d’allier le texte, la musique et la danse parce que je ne voulais pas que ce soit seulement « intello », je voulais aussi que ce soit imagé.
Donner un sens à sa vie
« Je ne suis rien, je ne serai jamais rien », cette pensée est en tout être humain. C’est glauque, mais la vie est glauque : on sait qu’on commence, mais on sait aussi que ça se termine, donc autant prendre son parti et dire : oui je ne suis rien, en avoir conscience de façon très acerbe, et justement pouvoir s’en servir au niveau créatif. Et en même temps c’est inutile. Mais est-ce que le plus intéressant n’est pas justement l’inutilité qui donne la créativité ? Le personnage de Pessoa, c’est quelqu’un qui n’a pas vécu sa vie, il ne s’est pas frotté aux autres : le 15 mars 1917 - je crois - il a eu une révélation : il a alors créé plein d’hétéronymes - Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis...et tant d’autres - qu’il faisait correspondre entre eux, et qu’il critiquait ensuite, au niveau de leur style, alors que c’était lui qui avait écrit tous ces textes... il s’auto critiquait. Avant que l’on apprenne que, finalement, tous ces hétéronymes ne correspondaient qu’à une seule et même personne, il n’était rien d’autre qu’un scribouillard dans un bureau comptable sur le port de Lisbonne où il faisait de la traduction. A sa mort, on a découvert chez lui une malle avec 20 000 textes, et c’est là que l’on a réalisé qu’il était, lui seul, l’auteur de tous ces articles. Cet homme n’a pas vécu sa vie : il n’a pas vraiment eu d’histoire d’amour... il n’a vécu qu’au travers de diverses personnes, sans jamais être vraiment lui-même.
Un regain d’espoir
C’est dur de rentrer dans Pessoa, mais c’est profond. Ce n’est pas glauque pour être glauque. C’est glauque pour dire la dureté de la vie. Et moi j’ai voulu en faire de la lumière. Le personnage de Pessoa, dans cette nouvelle, connaît le patron du bureau de tabac d’en face, et c’est ça qui le fait revenir à la réalité, qui lui permet de respirer, d’exister. Il connaît cet homme, donc il existe : c’est par le regard de l’autre qu’on existe. Là, je crois à l’humain : on n’est pas tout seul et c’est vraiment dans la rencontre qu’on prend vie. C’est pour ça que j’ai voulu que l’on se rencontre sur scène. Et c’est pour la même raison que Sophie danse pendant que je récite le texte. Elle met un peu de vie, tout comme Gwendoline, de mouvement, et provoque des sourires avec ces mimiques... « Je ne suis rien » on a tous intérêt à très vite s’en rendre compte, même si on a des ego très forts. Et quand on dit « je ne suis rien, je ne serai jamais rien, je ne peux vouloir être rien, à part ça je porte en moi tous les rêves du monde », c’est d’une humilité déconcertante. C’est un constat dur, très universel, mais c’est notre réalité. On ne peut pas s’empêcher de penser à la mort. Mais on n’est pas obligé de penser notre mort constamment... elle viendra quand elle voudra, et en attendant, « Carpe Diem ». « Qu’est-ce que faire des vers sinon confesser que la vie ne suffit pas ? » Fernando Pessoa.
Contact : Association Lucarne 02.40.29.78.02 / 06.81.17.15.30
Manon Hericher
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