Le Procès de Franz Kafka
Rencontre avec Régis Lang
La Compagnie du Troisième Å’il a été créée en 1985 par Régis Lang, producteur du « Procès » et Bruno Netter, comédien non-voyant. Ce dernier s’est intéressé aux différences entre les gens, « aux différences entre un comédien très grand et un autre très petit, entre le regard intérieur que peut avoir une personne non voyante et le point de vue d’une personne voyante, ou la façon particulière de parler d’ une personne sourde » comme nous explique Régis Lang. Et progressivement, les deux hommes ont décidé de travailler avec différents amis, qui étaient soit non voyant, soit sourd, ou IMC... « C’est notre particularité ».
« Le handicap n’est intéressant théâtralement que s’il permet d’avoir une autre façon d’appréhender la réalité des choses. Ca amène des reliefs complètement différents à la théâtralité et c’est ce qui a intéressé Philippe Adrien, le metteur en scène, pour Le Procès. La volonté de mixer des comédiens handicapés et des comédiens ordinaires, c’est un choix qui a été fait justement pour travailler sur cette différence, sur la richesse de la différence », poursuit Regis Lang.
Sept semaines pour monter le spectacle et des journées de répétition de 11heures du matin à 01h00 les trois dernières semaines, avec une petite demi-heure pour déjeuner. Une énergie mise à l’épreuve de la réussite, pour rendre compte, du mieux possible, de l’univers kafkaïen. « Là, la question est de se servir de la différence pour augmenter la bizarrerie de Kakfa. Le handicap, sans forcément le mettre en avant, s’inscrit naturellement dans son oeuvre »...
... Kakfa, c’est qui, c’est quoi ?
« Kafka c’est un auteur qui était insomniaque, et qui, de ce fait, écrivait souvent à la limite de la conscience et de l’inconscience. Et puis il écrit à la période où Freud est en train de sortir toutes ses théories, donc on est dans tout ce qui touche aux prémices de la psychanalyse. C’est les fantasmes, l’inconscient... L’univers kafkaïen, c’est des personnages qui se retrouvent enlisés dans un système, dans des relations qui ne peuvent aboutir ; ils sont là pour faire une chose et ils en font une autre, sans comprendre pourquoi ils n’arrivent pas à faire la première... C’est l’oppression, aussi bien sociale, que l’oppression de sa propre inconscience... Ce qui m’étonne toujours c’est que depuis 90 ans, à toutes les périodes, les spectateurs ou les lecteurs y ont trouvé un sens différent. Ce qui rend le roman intemporel, c’est que Franz Kafka était visionnaire quelque part. Je pense au fascisme : à un moment, dans le greffe du tribunal, Monsieur K découvre qu’ils ont tous le même insigne... donc ça préfigure en quelque sorte le nazisme... C’est ça qui rend Le Procès très intéressant, et l’œuvre de Kafka en général, c’est que l’on peut en avoir différentes lectures et y trouver son compte ».
Justement, pensez-vous que cette pièce soit abordable pour les personnes qui n’ont pas lu le livre ?
« L’écriture de Kafka, quoi qu’il en soit, est constituée de la non compréhension. Ce n’est qu’une suite de scènes qui ne finissent pas. Il n’y a jamais de fin. Ca se termine toujours en queue de poisson. Même la dernière scène vient un petit peu comme un cheveu sur la soupe. Je crois que c’est le fait même de Kafka. Quel sens ? On ne sait pas. Et quand on lit le roman on n’en sait pas plus. On ne sait pas pourquoi il est arrêté. On ne sait pas ce qu’on lui reproche... C’est à la limite de l’absurde. Et au bout d’un moment, on en vient même à se demander si Joseph K ne se fait pas son propre procès. Si on regarde bien, est-ce que ce n’est pas lui qui juge les autres ? En fait, il passe son temps à juger tout le monde, et il se fait un procès à lui-même en même temps. C’est la bizarrerie de Kafka ».
En ce qui concerne votre adaptation...
« Beaucoup de scènes peuvent être coupées dans une mise en scène. Mais Philippe Adrien, qui a fait l’adaptation, s’est attaché à être extrêmement fidèle au contenu du roman. Moi, dans le bouquin je trouve que c’est très lourd, très pesant. C’est une spirale infernale, dont on a très vite envie de sortir. Dans Kafka, en général, si on se réfère à ses différents éléments, c’est toujours sale, oppressant... Et justement, nous, ce qu’on a essayé de faire ressortir, c’est plus l’aspect BD avec ces personnages qui n’ont pas un jeu réaliste comme Titorelli ou le fouetteur. Il y a même des gens qui nous reprochent de trop tirer vers la caricature, ou en tous cas, vers une chose qui dépasse le naturalisme. Puisque tout d’un coup c’est plus vraiment “kafkaïen”. En même temps, ces personnages un peu décalés ont une raison d’être : à la première lecture le metteur en scène s’est dit que finalement, ce personnage de Joseph K, c’était Tintin : il se prend des coups mais il continue, il va toujours tout droit, essayant de trouver des réponses à ses questions. C’est de là qu’est partie l’idée d’axer un petit peu sur la BD, sur des personnages pas tout à fait réalistes ».
Et pourtant, l’angoisse qui s’en dégage semble tout à fait réaliste.
« C’est vrai que c’est très oppressant parce qu’on est dans le fantasme. Et le rapport à la femme, en particulier, est extrêmement curieux. Au niveau de la séduction, du fantasme et de la libido, Joseph K va vers la femme, mais il ne va jamais au bout de la chose, il faut pratiquement que ce soit Léni qui le viole pour qu’il reste... Et puis, les femmes misent à part, c’est sûr qu’à force de se prendre des claques, arrive un moment où il n’arrive plus à s’en sortir. Il va voir l’avocat qui est en fait un avocat véreux. Ensuite, il va voir Titorelli qui est encore plus pourri... Tous les gens vers qui il se tourne pour recevoir de l’aide ne font rien pour lui, et donc rien ne bouge. Plus ça va, plus il s’enfonce, et au final il sombre dans une certaine folie. Mais c’est vrai que c’est une adaptation et une vision toute personnelle de Kafka, celle de Philippe Adrien ».
Pourquoi des personnages habillés tout en noir ?
« Il y a eu beaucoup de références aux dessins de Schulz d’un côté, sinon, c’est aussi parce que Kafka dessinait ; Et il dessinait toujours des ombres en noir, dans des positions curieuses. D’autre part, il y avait une problématique : l’acteur principal est aveugle, on est sur un plateau extrêmement dangereux, donc il fallait absolument que l’on trouve une solution technique pour que la circulation soit fluide. Ces hommes en noir servent aussi à ça... Mais ils sont également des références... au double de Kafka, à son inconscient, à sa conscience... »
Pourquoi avoir choisi de traiter la pièce sous cet aspect, avec des personnages à la fois décalés et une engluante oppression non dissimulée ?
« Pour ma part, ce qui m’intéresse c’est quand les gens sortent en étant un petit peu déboussolés. Et si je les revois 4 ou 5 jours après, ils me disent “c’est incroyable, je suis complètement omnubilé par le spectacle, je l’ai dans la tête...”. J’aime savoir que ce spectacle a une raison d’être. Laquelle, je n’en sais rien, mais au moins ce n’est pas du théâtre digestif. »
D’autres projets en vue de théâtre « non - digestif » ?
« Du 4 au 8 avril, à la MPT de Montplaisir à Angers : Tibi, un spectacle de Jean Verdun. C’est une pièce sur le quart-monde. Une pièce qui a été écrite juste avant le 11 septembre, qui a été créée aux Etats-Unis et qui a eu un grand retentissement. Une pièce qui répond un petit peu au “pourquoi il y a une telle agressivité par rapport au monde occidental ?”. Ca pose les questions, et ça donne quelques réponses. La scène se déroule dans un bidonville où un maître de cérémonie - authentiquement typique -, pour arriver à survivre, vend ses enterrements à des tour-opérateurs. C’est assez étonnant car le spectateur est très sollicité, mis à nu devant un miroir... »
Art. Manon HERICHER. Propos recueillis par Charlotte HOUANG et Manon HERICHER.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses