
Rencontre avec Leagues O’Toole
Bienvenue au 25 Wexford Street !
Fin d’après-midi ensoleillée sur Dublin, je m’engouffre dans Wexford Street ; j’ai rendez-vous quelques mètres plus loin, au numéro 25, avec Leagues O’Toole, le programmateur musical de trois salles dublinoises : le Whelan’s, l’Andrew Lane Theatre (L’ALT) et le Village. Niché au 25 Wexford Street, le Whelan’s, doyen de ce trio, est l’un des plus célèbres pubs d’Irlande.
Créé en 1989, le Whelan’s, qui a accueilli entre ses murs un certain Jeff Buckley, est un lieu dédié à la scène internationale et à la promotion de talents locaux. En ce moment, son site web permet d’écouter des perles pop rock telles que Sleep Thieves, The Dudley Corporation ou encore Robotnik. Pour les plus cinéphiles, on a pu le voir dans le film PS : I Love You de Richard LaGravenese. (Sorti en 2007, ce film a notamment réuni Hilary Swank, Gerard Butler et Lisa Kudrow de Friends.) Outre ces raisons et le fait que la Guiness y soit toujours fraîche, le Whelan’s est un lieu incontournable car il fait partie de ces endroits chaleureux où l’on se sent instantanément chez soi, que l’on soit à Dublin juste de passage ou pour une durée plus longue.
Fragil : Parle-moi de ton parcours.
Je suis actuellement en charge de la programmation musicale de trois salles sur Dublin et, en parallèle de cette activité, je travaille pour la société Foggy Notions. C’est un projet qui me tient particulièrement à coeur étant donné qu’avec des amis, nous l’avons mis sur pied afin de promouvoir des artistes qui nous touchent.
J’ai commencé à promouvoir des concerts quand j’étais adolescent. Je créais des fanzines punk rock et après cela, je suis devenu journaliste pendant 15 ans. J’ai écrit pour l’Irish Times, des magazines américains et des magazines en ligne. J’ai également fait de la télévision pendant trois ans en tant que présentateur pour une émission musicale appelée No Disco. Durant cette période, j’ai réalisé un documentaire sur un groupe irlandais des années 70, Planxty. J’aimais beaucoup leur musique et comme je n’avais jamais rien vraiment vu ou lu sur eux, j’ai décidé d’en parler. Ce fut un succès. Après 25 ans de silence, le groupe s’est reformé après avoir vu le documentaire. La suite logique a donc été d’écrire un livre, The Humours of Planxty.
C’est également à ce moment là, que Foggy Notions a vu le jour sous la forme d’un magazine. L’organisation de concerts est arrivée plus tard. Plus qu’un magazine, nous l’avons pensé et réalisé comme un livre que le lecteur conserverait par la suite. Cela coûte cher de réaliser un tel format, nous avons donc décidé d’arrêter la publication et de nous concentrer davantage sur l’organisation de concerts. Ceci dit, nous publierons sans doute à nouveau d’autres versions du magazine Foggy Notions.
Fragil : Tu es le programmateur musical du Whelan’s, de l’ALT et du Village. Peux-tu nous en dire plus sur ces trois lieux ?
Frank Gleeson est à la tête des trois lieux. Il possède le Whelan’s et le Village. Pour ALT, les choses sont un peu différentes étant donné qu’il a récupéré le bail depuis 2007. Avant cette période, l’ALT était un lieu dédié au théâtre.
Le Whelan's existe depuis 20 ans. Il a son histoire et certaines personnes y viennent d'ailleurs depuis 20 ans. C'est un pub qui porte beaucoup d'importance à la musique live et aux compositeurs.
Le Village est davantage destiné à des personnes tendances qui vont s’habiller sur leur 31 pour l’occasion. L’ALT est décoré comme un entrepôt. Il s’adresse à un public adepte de musique électronique et alternative. D’ailleurs, tu es allée voir cette année les concerts de Four Tet et Birdy Nam Nam.
Ceci dit, ce n’est pas une règle, cela dépend vraiment de l’artiste qui officie sur scène. Par exemple, un groupe de rock jouant au Whelan’s va pouvoir plaire au public de l’ALT et inversement.
Fragil : Comment avec ton équipe choisissez-vous les artistes programmés ?
En fait la question est de savoir ce qui se passe à l’extérieur. Je fais ce métier depuis longtemps maintenant et nous travaillons avec beaucoup de promoteurs indépendants et plus importants. Il serait impossible de travailler sans leur aide car rien que pour le Whelan’s ce sont deux concerts qui ont lieu chaque soir de la semaine soit un minimum de 14 concerts par semaine. Et maintenant, avec l’ouverture de la petite salle à l’étage, nous avons des concerts supplémentaires, ce qui représente au total 30 à 60 artistes par semaine toutes salles confondues.
Fragil : En Irlande, la musique est partout. Elle est en live dans les pubs, dans les rues, dans les parcs presque 24h sur 24h… Y a-t-il une aide particulière de la part du gouvernement pour favoriser le développement de ces talents ?
Ici, en Irlande, c’est le conseil artistique qui est à l’initiative des projets musicaux. A vrai dire, c’est un sujet ambigu car leur idée de l’art s’arrêtant à la musique classique et au jazz, il reste très peu de place pour des styles tels que le rock ou le hip hop. Je ne sais pas, c’est un sujet de polémique, mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de soutien de leur part envers les groupes qui n’entrent pas dans leur moule. J’aimerais qu’il y ait plus de soutien de leur part. J’aimerais que leur soutien envers les artistes soit équivalent à celui du Canada. Là-bas, c’est vraiment incroyable, ici la politique c’est plutôt : débrouille toi tout seul.
Fragil : C’était la folie hier dans les pubs car Guiness célébrait ses 250 ans. Comment était-ce au Whelan’s ?
Beaucoup de travail! En fait, si tu prends cet événement dans le contexte de la culture irlandaise contemporaine, c'était comme la fête de la St Patrick.
Guiness est à la tête d’un héritage immense, héritage qui est d’ailleurs très bien exploité dans sa totalité. C’est sans doute le produit et le symbole irlandais le plus célèbre au monde aussi bien positivement que négativement. L’aspect négatif, bien évidemment, est la réputation d’alcooliques des irlandais… Et en fait c’est vrai, les Irlandais, boivent plus que de raison, pas forcément plus que les Anglais ou encore les Australiens.. Bon, je ne sais pas, mais en tout cas, il y a dans ce pays des problèmes d’alcoolémie et d’abus sévères de l’alcool.
C’est un sujet délicat en Irlande parce que nous essayons d’un côté de devenir plus responsable vis-à-vis de ces problèmes d’alcool en essayant notamment de provoquer une prise de conscience concernant l’alcool au volant, les abus à la maison, et tout ce qui résulte de mauvais à cause de l’excès d’alcool. Mais en même temps, notre plus gros exportateur est Guiness, une marque d’alcool. Marque qui est complètement reliée à notre culture, qu’elle soit sportive ou musicale. C’est donc vraiment difficile de s’en couper.
Fragil : Tu parles de l’important héritage de Guiness, mais à son échelle, Whelan’s n’est pas en reste non plus car vous lancez de nouveaux talents et accueillez également des artistes internationaux. Vous avez même eu une légende comme Jeff Buckley. Quel objectif as-tu pour Whelan’s ?
Jeff Buckley n’était pas encore aussi célébre quand il est venu jouer au Whelan’s. Il a joué deux fois ici et je suppose que les gens ont commencé à en parler. Ce qui nous importe vraiment au final, c’est d’accuellir chaque artiste de la même manière. Pour nous, peu importe qui vient jouer, nous souhaitons qu’il parte d’ici avec un bon souvenir du lieu.
La manière dont nous faisons cela est très simple : il n’y a pas une personne au Whelan’s qui ne soit pas passionnée de musique, même les comptables aiment la musique et bien évidemment les barmans qui sont en contact privilégiés avec les groupes sont eux aussi passionnés de musique. Ce que je veux dire, c’est que les musiciens sont pour la plupart complètement ailleurs. Ils sont fous, d’où leur talent d’ailleurs, et il me paraît impensable de ne pas communiquer avec eux afin qu’ils se sentent bien et soient contents d’être là.
En fait, même si pour chaque artiste, musicien, écrivain, ou peu importe ce qu'il fait, l'aboutissement de son travail, c'est d'être écouté, lu, apprécié par un public. Je sais aussi que tout n'est pas rose pour un musicien afin d'y parvenir.
C’est difficile par exemple de faire le tour du monde en van et de dormir par terre alors que la fatigue est bien là. C’est pour cette raison d’ailleurs que je suis heureux de créer ici autant que je peux, une ambiance où ils vont se sentir chez eux.
Et quand ils prépareront leur itinéraire pour revenir en Europe, ils parleront peut-être du Whelan’s à leur agent, car ils se souviendront y avoir passé du bon temps, et apprécieront de revenir et d’y jouer deux voire trois nuits, même s’ils sont devenus plus célèbres. Voilà donc mon objectif, si tant est qu’il y en ait un, à savoir nouer des liens forts avec les artistes, cultiver cela en partageant avec eux des moments inoubliables pendant leur temps passé ici. C’est finalement comme le début de toute relation que l’on souhaite durable.
Fragil : Est-ce que beaucoup d’événements ont été prévus pour célébrer les 20 ans du Whelan’s ?
Oui, bien sûr ! Nous avons prévu des surprises encore jusqu’à la fin de l’année, comme accueillir des artistes qui ont marqué le Whelan’s en y jouant ces 20 dernières années. Mais, la vérité, c’est que 2009 est une année difficile pour tout le monde à cause de la crise. Même si, pour le moment, les choses se passent bien pour nous, on a tous envie que cela dure et que Whelan’s continue à se développer et à accueillir de nouveaux artistes durant les années à venir.
Émilie Bonet
Photos : Le Whelan’s, Émilie Bonet
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