
Portrait de Wajdi Mouawad
Wajdi Mouawad : le théâtre comme équation mathématique
Le Sang des Promesses dans toute la France, Ã Nantes du 29 sept. au 17 oct. 2009
Rarement, des dix années qui viennent de s’écouler, un auteur comme Wajdi Mouawad aura connu une ascension aussi fulgurante et une telle consécration, qui a atteint son apogée cet été 2009 à Avignon où il fut nommé Artiste Associé. Il a seulement quarante et un ans. Qui est Wajdi Mouawad ? Comment rendre compte de son parcours incroyable ? Comment l’expliquer ?
Première approche
Né au Liban en octobre 1968, alors que notre révolte française défiait quelques mois plus tôt les barons du pouvoir politique et ébranlait la société dans tous les domaines, Wajdi Mouawad grandit dans ce pays lointain, proche du pays du soleil levant, qu’il quitte à l’âge de huit ans pour cause de guerre civile. Débarquant en France qu’il quittera en 1983, il s’installera avec sa famille au Canada. Il est donc, de fait, d’abord un exilé. Il découvre le théâtre, monte rapidement sa propre compagnie, met en scène les textes de son frère mais s’attaque aussi à des classiques comme Macbeth, Œdipe Roi, Six personnages en quête d’auteur, Les Troyennes. Sa curiosité naturelle le pousse également à monter de jeunes auteurs comme Enda Walsh ou Irvine Welsh.
Il monte, il monte…
Mais très vite, ce sont ses propres textes qu’il va mettre en scène. C’est un succès à chaque représentation, le public s’emballe. Il gravit les marches de la reconnaissance de l’univers littéraire, théâtral et culturel dans le monde entier, lui, cet apatride, au fur et à mesure des années. Il cherche, il fouille, il innove, il impressionne par cette capacité à créer avec soif et de mener de front les rôles d’auteur, de dramaturge, de metteur en scène, d’acteur. Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Il grave son empreinte dans tous les endroits où il passe ; en France en créant « Au carré de l’Hypoténuse » et au Québec « Abé Carré Cé Carré ». Il rencontre alors la notoriété avec son quatuor Le Sang des Promesses, qui rassemble la trilogie Littoral, Incendies et Forêts qu’il qualifie de « théâtre de récit », et le spectacle Ciels.
Autre chose proche de la folie que ni l'intime, ni le privé, ni le social ne parvient à décrire. Poésie.
Au commencement était la poésie
Mais que cherche-t-il exactement ? Qu’est ce qui l’anime ? Si le théâtre lui apporte une planche de salut pour concrétiser ce qu’il dit dans ses textes, il semble que la première pièce qui constitue son puzzle soit la poésie. Poète contemplant les blessures secrètes de l’âme et dont il rend compte sur un plateau. Pour lui, « depuis longtemps on ne croit plus que la poésie puisse parler en faveur des douleurs et des mystères de nos agissements. » Cette citation rend compte du rapport de Wajdi Mouawad au monde qui l’entoure, dans lequel il peine parfois à se reconnaître. Cela, en tout cas, révèle que s’il s’y intéresse moins, une chose est sûre, il le perçoit différemment. La poésie serait-elle plus apte à donner les clefs d’une certaine vérité et de mieux comprendre et percer les mystères des relations sociales, affectives et psychiques entre les êtres ? La poésie est-elle plus forte que le théâtre ? Est-elle pour ce créateur hors pair un moyen d’expression plus adapté et qui parle mieux ? Etrangement, on en arrive à se dire que si le théâtre nous donne à voir des images, la poésie, l’écriture en elle-même laisse libre le spectateur de s’imaginer ce qu’il veut. « Autre chose proche de la folie que ni l’intime, ni le privé ni le social ne parvient à décrire. Poésie. » D’où, de quoi naît l’acte d’écrire ? On y vient. Comme une équation mathématique, le monde intérieur foisonnant de Wajdi Mouawad qu’il faut décrypter est constitué d’une pièce maîtresse qu’on ne peut ni mettre de côté, ni déplacer, car tout s’effondrerait : l’imaginaire.
L'artiste avance vers son oeuvre comme le fauve avance vers sa proie.
Un imaginaire explosif
Pour lui, l’imaginaire se nourrit de tout : « l’imagination n’invente rien. Elle prend simplement ce qui est à portée de la main (…) ». Tout comme pour Baudelaire, qui pensait que « l’imagination est la reine des facultés (…) quasi divine qui perçoit tout d’abord, en dehors des méthodes philosophiques, les rapports intimes et secrets des choses, les correspondances et les analogies », l’imaginaire de Wajdi Mouawad conjugue un nombre infini d’éléments qui, en s’additionnant forment le ciment d’une pensée toute tournée vers l’écriture poétique, qui devient alors possible et évident de porter sur une scène de théâtre. Si pour Jean Cocteau « l’écriture doit être un acte d’amour », l’auteur libanais, lui, explique dans le très beau livret Les Tigres de Wajdi Mouawad, publié par les éditions Joca Seria du théâtre Le Grand T de Nantes, et comportant aussi bien des textes à lui que des artistes proches qui ont travaillé avec lui que LA condition soit que « ces auteurs devaient être engagés dans une relation avec leur écriture, qu’elle soit textuelle ou picturale, qui relèverait du combat et de la sauvagerie. » Pourquoi Les Tigres donc ? Parce que pour l’écrivain, l’artiste avance « vers son œuvre comme le fauve avance vers sa proie. » Et y a-t-il un processus de mise à mort ? A nous d’y réfléchir…
Plus tu tues, plus tu trouves une raison à le faire et c'est une sorte de jouissance
Trouver le sens, une quête
Ce qui est sûr, c’est que ses spectacles sont le miroir de la brutalité de la vie et il va même plus loin en déclarant qu’ils « resteront ancrés dans la politique de la douleur humaine. » Wajdi Mouawad, un poète habité, dont l’imaginaire est hanté par de vieux fantômes qui le poussent sans cesse à proposer une certaine vision du monde et que le théâtre qu’il a découvert en même temps que l’exil lui permet de poser. Si il est doté d’une vraie folie créatrice, il ne perd cependant pas la raison ; au contraire, il veut à tout prix donner un sens aux choses, et il considère qu’ « aller jouer au théâtre procède de la même nécessité de redonner un sens à ce qui n’en a pas. » Et que se passerait-il s’il ne trouvait plus le sens ? Il est manifestement inconcevable qu’il n’y en ait pas, quand bien même on exécute sur le plateau un acte effrayant. Le bourreau sait ce qu’il fait quand il achève sa victime. Il a des arguments. Déchirés par des conflits intérieurs, les personnages de Wajdi Mouawad ont une dimension tragique. « Plus tu tues, plus tu trouves une raison à le faire et c’est une sorte de jouissance. » Il cherche, malgré le nombre de questions qui l’assaillent à « donner un sens aux choses lorsque cela est nécessaire. » Et que se passerait-il s’il ne le trouvait pas ? Il concède alors qu’il deviendrait « aussi vide qu’une cloche brisée. »
Et pour finir…
Puisqu’il faut donner un sens, comment expliquer alors le succès immense de ses pièces et l’ébranlement qu’elles insufflent au spectateur qui vient les voir ? Il s’agirait peut-être avant tout d’un besoin de les entendre. Le théâtre de Wajdi Mouawad n’est pas contemplatif mais organique. Il touche au plus profond de l’être, à l’universel. En premier lieu parce que l’histoire est primordiale. « N’oubliez pas l’histoire » rappelle-t-il à ses comédiens. Il réhabilite une certaine idée du théâtre non seulement de récit mais aussi épique. Il questionne le monde, s’interroge sur les relations entre les êtres jusqu’au sein de leurs propres familles, fait exploser les codes de référence des esprits bien pensants, bouscule la tranquillité du spectateur. Les histoires qu’il invente nous tiennent en haleine, brisant nos certitudes et font éclater nos repères.
Julie Laval`
Photos droits réservés : Jean-Louis Fernandez, Thibaut Baron, Yves Renaud.
Le site de référence sur Wajdi Mouawad
Sources :
Les Tigres De Wajdi Mouawad, éditions Joca Seria, Le Grand T / Nantes.
Le Sang Des Promesses, puzzle, racines et rhizomes, éditions Actes Sud / Leméac.
Calendrier :
Littoral :
Centre National des Arts / Ottawa, du 15 au 19 septembre 2009.
Trilogie : Littoral, Incendies, Forêts, et Ciels :
Le Grand T, Onyx, TU / Nantes du 29 septembre au 17 octobre 2009.
Ciels :
Les Francophonies en Limousin / Limoges du 26 au 28 septembre 2009.
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