En préambule à Tissé Métisse 2008
L’immigration : Une histoire de France méconnue
Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, Porte Dorée, Paris
Dans un contexte français où l’immigration est souvent perçue de façon négative et se résume actuellement aux quotas d’expulsion des sans-papiers, avec ou sans travail, hors des frontières, la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration apporte sa pierre au débat en proposant de mieux comprendre l’histoire de l’immigration en France. Un projet ambitieux et innovant pour un sujet sensible, sur lequel politiques, chercheurs et associations ne sont pas tous sur la même longueur d’onde.
Un projet politique
Ouverte sans beaucoup de bruit médiatique le 10 octobre 2007, la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI) se veut un projet culturel innovant avec une réelle portée politique et symbolique : montrer que l’immigration fait partie intégrante de l’histoire et de la construction de la France. Jacques Toubon, Président du comité d’orientation de la CNHI, définit ainsi la mission de la Cité : "connaître et reconnaître l’histoire de l’immigration en France au cours des deux derniers siècles et, par là, changer le regard contemporain sur l’immigration et contribuer aux politiques d’intégration " [1].
Le projet de la Cité: montrer que l’immigration fait partie intégrante de l’histoire et de la construction de la France
Pour ce faire, elle est dotée d’un musée labellisé musée de France, au même titre que la plupart des grands musées français, avec une collection qu’il a fallu rassembler pour l’occasion. Constituée par des dons et de nombreux prêts, elle sera amenée à évoluer, comme son objet. Ce musée, qui présente une exposition permanente sur 200 ans d’histoire de l’immigration en France, n’est pas le seul outil de la Cité qui propose également des expositions temporaires et ouvrira en 2009 une importante médiathèque sur ce sujet. Complétés par des activités pédagogiques et une programmation culturelle de spectacle vivant, ces différents outils devraient faire de la Cité un lieu vivant de rencontre et de diffusion autour de l’histoire de l’immigration, auquel de nombreuses associations pourront contribuer.
Au prix de bien des efforts
Pour y parvenir, une trentaine d’année de réflexion, de recherches et de démarches ont été nécessaires, rappelle Marie Poinsot, responsable du Département Editions de la CNHI.
La réflexion est née au moment du bicentenaire de la Révolution française, quand des historiens (G. Noiriel, P. Milza, P. Weil etc.), venus pour beaucoup du domaine de recherche consacré au mouvement ouvrier, se sont interrogés sur la place ou plutôt l’absence de place réservée à l’apport de l’immigration dans l’histoire culturelle française. Leur réflexion a rencontré les demandes d’un certain nombre d’associations à la recherche de lieux de mémoire pour rendre compte des histoires de l’immigration, ainsi que celles du mouvement revendicatif des Beurs dans les années 80-90.
Enfin, à force d’appels répétés provenant de ces deux milieux, associatif et universitaire, le politique s’est senti interpellé par le sujet et un rapport sur la faisabilité d’un lieu consacré à l’immigration a été commandé par le gouvernement Jospin en 2000 à Rémi Schwartz, conseiller d’État, et à Driss El Yazami, délégué général de l’association Génériques qui travaillait déjà sur la question des archives et de la mémoire de l’immigration. Relancé par le choc des élections présidentielles de 2002, le projet est soutenu par le gouvernement de J. Chirac qui charge J. Toubon en 2003 d’étudier la forme que pourrait prendre un tel lieu ainsi que son financement. Puis tout va très vite : en juillet 2004, la mise en œuvre du nouvel établissement est décidée ainsi que les moyens nécessaires pour une ouverture prévue courant 2007.
Un lieu en évolution
La particularité de la Cité est donc d’avoir été impulsée par le réseau associatif et les universitaires et de vouloir perpétuer cet apport en se constituant également en réseau. Les membres en sont des entreprises, des collectivités, des universitaires et des associations qui peuvent ainsi contribuer à l’évolution du contenu de la Cité en proposant, par exemple, des sujets d’expositions temporaires.
Les équipes dirigeantes de la Cité rappellent d’ailleurs que ce sont les associations qui, lors de consultations, ont insisté pour que celle-ci abrite bien un musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration et pas seulement un centre de ressources. Celui-ci dispose d’ailleurs d’une muséographie moderne aux supports variés (photos, films, affiches, objets), incluant notamment des œuvres d’art contemporain qui interrogent la question de l’immigration de façon contemporaine, intime et collective à la fois.
Chronologiquement, l’exposition prend en compte l’histoire de l’immigration à partir de 1789, date de création de la nation française moderne et de la notion de citoyenneté, sans fixer de limite finale dans le temps, les collections et expositions devant évoluer avec la situation de l’immigration en France. Autre parti pris, proposer une vision transversale et non communautaire de l’immigration, associée à un découpage thématique des différentes étapes du parcours d’un immigré. A ce jour, elle a déjà accueilli dans ses murs près de 100 000 visiteurs, parmi eux de nombreux scolaires ainsi que des personnes issues de l’immigration qui peuvent y voir avec émotion une part de leur histoire enfin reconnue.
Obstacles à l’horizon
Pour autant, les difficultés auxquelles doit faire face la CNHI sont nombreuses, à commencer par la prise en compte du poids symbolique du lieu choisi pour l’accueillir.
en France, l’immigration est jusque dans la seconde moitié du 20ème siècle majoritairement d’origine européenne
Alors que le rapport de faisabilité proposait de placer la Cité à Marseille, ville à l’histoire intimement liée aux mouvements de populations autour de la Méditerranée, le choix final s’est porté sur Paris, centralisme oblige, et en particulier sur un monument situé dans Paris intra-muros et resté vacant : le Palais de la Porte Dorée, à côté du bois de Vincennes. Une polémique est aussitôt née autour de ce choix car le Palais construit pour l’exposition coloniale de1931 célèbre par son architecture et ses fresques la mission civilisatrice de la France dans ses colonies. Outre le caractère sensible de l’histoire coloniale en France, ce choix ne risque-t-il pas de brouiller le message de la CNHI qui souhaite justement éviter l’amalgame entre immigration et histoire coloniale et qui rappelle qu’en France l’immigration est jusque dans la seconde moitié du 20ème siècle majoritairement d’origine européenne ?
L’exposition temporaire actuelle porte précisément sur ce thème et souhaite présenter l’envers du décor de l’exposition coloniale de 1931. Intitulée : "1931, les Etrangers au temps de l’exposition coloniale", elle illustre déjà dans le titre les risques de confusion présents renforcés par le lieu d’implantation de la Cité : elle ne porte pas sur l’exposition coloniale en tant que telle mais sur la situation de l’immigration à cette époque, et les étrangers dont il est question ne sont pas tant issus des colonies que majoritairement d’origine européenne. Ce que l’exposition montre par ailleurs parfaitement.
Du rôle du politique
Autre difficulté d’importance, le rapport à la situation politique actuelle. Portée par le gouvernement de J. Chirac, la Cité ouvre ses portes alors que N. Sarkozy vient d’être élu et de changer les orientations ministérielles. L’annonce de la création d’un ministère de L’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement provoque dans un premier temps la démission de plusieurs historiens, dont G. Noiriel et Patrick Weil, du Comité d’histoire de la CNHI en signe de protestation. Ils ne désavouent pas pour autant la Cité elle-même dont ils ont soutenu la création et avec laquelle ils continueront de travailler [2]
Quant à l’ouverture de la Cité, elle se passe sans inauguration officielle de la part du gouvernement et des ministères de tutelle, dont celui de l’Immigration. Centrée sur les primo-arrivants et la politique des quotas de reconduite à la frontières des immigrants clandestins, la politique du Ministère de l’Immigration ne semble plus être au changement de mentalité face à l’immigration, ni à la mise en avant des parcours réussis d’intégration à la société française. Dans de telles circonstances, Marie Poinsot souligne aussi la difficulté d’avoir l’attention des médias et de les inciter à parler de l’immigration "de façon constructive". Résultat, encore peu de médias s’intéressent aux activités de la CNHI.
La question de la logique gouvernementale actuelle vis-à-vis de la CNHI d’une part, et de la politique d’intégration d’autre part, ne manque pas de susciter les interrogations du tissu associatif divers et varié qui suit la vie de la Cité. N’existe-t-il pas un décalage flagrant entre le discours de la Cité et celui des autorités vis-à-vis du statut et des parcours de l’immigré dans la société française ? Dans ces conditions, la CNHI pourra-t-elle jouer son rôle dans la transformation de la perception souvent négative que la population a de l’immigration, sans oublier d’aborder les problèmes d’ordre interculturel qu’elle provoque ? On le lui souhaite pourtant car le projet est beau et important et le travail déjà accompli pour le mettre en œuvre non négligeable.
Emilie Le Moal
Photos de la CNHI : Renaud Certin
Rappels
Prochaine exposition temporaire de la CNHI : " Étranger – Fremder en France et en Allemagne du 19e siècle à nos jours" (du 15 décembre 2008 au 15 avril 2009)
Une exposition à venir au Château de Nantes en 2010 : "Nantes et ses Etrangers"
Plus d’infos
La Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration et notamment Questions contemporaines, site qui donne définitions et chiffres sur la question pour partir sur des bases saines
[1] In Hommes et Migrations n°1267 – mai-juin 2007 : La CNHI, une collection en devenir.
[2] Voir l’interview de Gérard Noiriel pour la Vie des Idées .fr.
Bloc-Notes
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