Art contemporain
Exposer l’art chinois aux chinois
Le "Ullens Center for Contemporary Art" a ouvert ses portes à Pékin
Loin des campagnes désertées par des millions de travailleurs migrants, les mégapoles chinoises voient foisonner un art contemporain, inventif et polymorphe...et déjà dévoyé par la spéculation. Pour rendre l’art chinois aux chinois, un baron belge sinophile a financé un musée flambant neuf, sous l’œil bienveillant des autorités.
Les milliardaires Bernard Arnault et François Pinault se disputent le titre de plus grand collectionneur d’art du 21°s ; la victoire reviendra au premier qui ouvrira son clone du musée Guggenheim, à Venise ou à Paris. Contre toute attente, le pompon revient à un aristocrate belge, esthète et sinophile, qui non content de dédier son musée d’art contemporain à la Chine, l’a implanté à Pékin.
Un aristo au milieu d’une friche d’artistes
Dans la banlieue de la capitale, l’Ullens Center for Contemporary Art, inauguré en Novembre 2007, présente l’ambition de rassembler la crème de l’art chinois contemporain. Ce lieu est le premier du genre dans l’Empire du Milieu et comptera bientôt les 1 300 œuvres de la collection privée de son propriétaire.
L’UCCA c’est une folie de Guy Ullens, un industriel belge amateur fou d’art chinois, devenu millionnaire de l’agroalimentaire [1]. Avec l’aval des autorités et au prix de 25 millions de dollars, son rêve est sorti en deux ans des ruines d’une gigantesque usine, au cœur de la fameuse friche industrielle de Dashanze 798, dans la banlieue pékinoise du même nom.
Comme ailleurs, l’art contemporain est devenu en Chine une affaire de prestige et de finance. Les prix doublent chaque année ; certaines œuvres se vendent plus de un million d’euros.
Autrefois lieu d’une accumulation de squatt d‘artistes subversifs et souvent talentueux, Dashanze 798 est devenu en quelques années un lieu à la mode, que les amateurs d’art se doivent de visiter avec ostentation. Il est vrai qu’on y trouve souvent son content. On y visite en permanence d’excellentes galeries de photographie, et annuellement un festival consacré à l’art contemporain. L’UCCA s’y dresse désormais, telle une nouvelle factory immaculée, dont l’agencement intérieur n’a rien à envier aux centres d’art contemporain internationaux.
Vingt ans d’art moderne chinois : de la subversion à la spéculation
La première expo, 85 new wave, se veut une rétrospective exhaustive du jeune art contemporain chinois. Un concept très récent dans un pays qui fut soumis jusqu’au début des années 80 au réalisme socialiste. C’est dans ce contexte qu’ont émergé des dissidents, dont beaucoup sont passés par la France. Wang Du ou Zhao Bandi -critiques des médias- le défunt Chen Zhen, ou Yue Minjun et Zhang Xiaogang -plus classiques- font partie des références incontournables des revues d’esthètes conceptuels. Comme ailleurs, l’art contemporain est devenu en Chine plus une affaire de prestige et de finance qu’une affaire d’esthétique. Les prix des œuvres d’art modernes chinoises doublent chaque année ; certaines se vendent plus de un million d’euros (voir notre article sur le marché de l’art contemporain).
La direction artistique du centre refuse catégoriquement cette vision mercantile ; sa devise reste : "Exposer l’art chinois aux Chinois". D’ailleurs, les seuls fonds ne proviendront que de la fortune de Ullens, et du fonctionnement de l’institution. Pourtant, c’est bien une société d’état qui détient les murs du quartier. Cette même société exerçait jusqu’à présent un contrôle officieux des expositions de Dashanze 798 par le biais des renouvellements de bails. Celui de l’UCCA est de sept ans.
Le regard bienveillant des autorités
Les autorités ont compris quels intérêts elles avaient à épauler cette implantation, à quelques mois des JO. Sans verser un sous de subvention, elles bénéficient de l’aura culturelle du lieu, et accèdent à la respectabilité intellectuelle de l’intelligentsia occidentale. Simultanément, elles officialisent leur contrôle sur la friche d’artistes, et parviennent insidieusement à en expulser les organisateurs les plus subversifs. Certains artistes, plus tenaces que désabusés, ont ré-implanté leur lieu de travail à Caochangdi, un autre quartier périphérique de la capitale.
Il reste à espérer que, contrairement à ce qui se produit pour d’autres secteurs économiques, ces mêmes autorités chinoises ne s’accapareront pas les locaux de la fondation au terme du bail, en remerciant le mécène pour ses financements, et sa collection…
Texte et photo : Renaud CERTIN
Pour aller plus loin :
Le site official de Dashanze 798, à Pékin.
La Galerie d’art photographique 798 photo gallery
Le Festival Annuel de l’Art Contemporain de Beijing, organisé par le collectif Thinking Hands, sous la direction de Bérénice Angremy. Beijing Dangdai International Art Festival (DIAF).
Article de Fragil sur le marché de l’art contemporain.
[1] Le baron Ullens a fait fortune dans l’industrie du sucre, mais est aussi actionnaire de Weightwatcher. La fortune de sa famille serait estimée à plus de 3 milliards d’euros.
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