"Les trois brigands", film d’animation pour jeune public
Boucle d’Or et les Trois Racailles
Il était une fois une histoire de Tomi Ungerer métamorphosée en film d’animation par la baguette graphique de Hayo Freitag. Moral sans être moraliste, complexe sans être révolutionnaire "Les Trois Brigands" redore sans y paraître le blason du cinéma d’animation.
Il était une fois Tomi Ungerer, graphiste alsacien né en 1931, cosmopolite et polyglotte ; un globe-trotteur insaisissable, qui a commis en près de cinquante ans des dizaines d’opus, pour les tout-petits autant que pour les (très) grandes personnes.
Edité par l’Ecole des Loisirs en 1961, Les Trois Brigands a été un de ses plus grand succès. Métamorphosé en un captivant film d’animation par Hayo Freitag, le conte se pare de nouveaux atours graphiques, narratifs, et psychologiques.
Une histoire pour faire peur
Ungerer prise les histoires de méchant converti au bien. Déjà dans son livre Le Géant de Zéralda (1967), une petite fille impavide parvenait à convertir à la gentillesse -et au végétarisme- un ogre pétri de cruauté. C’est sur une trame comparable que se dévide le fil de l’histoire de Tiffany et des Trois Brigands.
Métamorphosé en un captivant film d’animation, le conte de Tomi Ungerer se pare de nouveaux atours graphiques, narratifs, et psychologiques.
Nos trois brigands perfides règnent sur cette forêt profonde où ne s’aventurent que des voyageurs inconscients. Mal en prend aux diligences : le trio de gangsters funestes les détrousse immanquablement. Au cœur de cette zone de non-droit où même Robin des Bois n’ose plus s’aventurer, les trois croque-mitaines ont élu leur repaire, dans une grotte psychédélique -bien plus onirique qu’effrayante. Au cœur d’un dédale aussi spatial que cérébral, s’entasse leur butin…dont ils ne savent que faire !
La machine à voler se grippe avec l’arrivée d’une orpheline, échappée de la voiture de poste. Tiffany devait être livrée à la terrible ‘tante’, qui tient d’un main de fer un sordide orphelinat. Aussi lumineuse que ces kidnappeurs sont ténébreux, bien plus espiègle qu’ingénue, la Cosette aux allures de Barbie-Girl comprend comment se mettre les trois sicaires dans la poche. A l’autre bout de la forêt, la ‘tante’ vorace reste retranchée dans son centre de détention pour mineurs orphelins, où elle se prélasse dans des montagnes de sucreries. Entre deux meringues, elle bout de rage, de ne pas avoir récupéré la gamine qu’elle voulait soumettre à la récolte de la betterave à sucre. "Crotte de bique !", l’affaire est grave !
Les trois détrousseurs noirs comme des choucas se métamorphosent rapidement au contact de Tiffany. Sous la conduite de leur éducatrice, les racailles forestières apprennent la lecture, la musique, et se muent en bienfaiteurs.
Au prix de quelques péripéties, ils libèreront les orphelins du joug de la Thénardier, et les installeront dans une cité flambant neuf. La vie reprendra ses droits, les orphelins auront de nombreux enfants, et les brigands deviendront les dieux tutélaires d’une société harmonieuse.
Voilà pour l’histoire.
Et le dessin-animé dans tout ça ?
Un dessin-animé classique…et alors ?
Quoique polymorphe, le style graphique de Ungerer reste ancré dans les années 60-70. Hayo Freitag, lui-même quinquagénaire, parvient à s’en défaire sans trahir le livre, en même temps qu’il allonge le récit sur une heure et quart.
Freitag, designer, graphiste d’animation, et spécialiste de la narration par l’image, balaie d’un revers de main l’esthétique du manga, et tourne le dos à la machinerie 3D chère aux studios Pixar ou Dreamworks. Il opte pour des décors aux textures complexes, rehaussées par des teintes de gouache contrastées. Le style n’est pas celui des films de Michel Ocelot : les personnages secondaires, comme le cocher-grenouille, les chevaux ou la ‘tante’ rappelleront aux plus âgés les classiques de Walt Disney.
Les décors se révèlent des éléments narratifs : la forêt, la caverne ou l’orphelinat inspirent tour à tour l’inconnu, la sécurité, l’angoisse. Admirablement recréés en deux dimensions, drapés de teintes crépusculaires ou parés de couleurs chatoyantes, les lieux sont à l’image de la psychologie des personnages. Au cœur de la forêt, des animaux insolites et des objets incongrus se fondent naturellement dans ce décor qui fait explicitement référence à l’animation traditionnelle.
Hayo Freitag balaie d’un revers de main l’esthétique du manga, et tourne le dos à la machinerie 3D.
Le rythme assez lent de la narration refuse le montage accéléré, les zooms et les gros-plans caricaturaux. Grâce à quoi la psychologie des personnages se développe : les caractères des trois taciturnes analphabètes, esquissés dans le livre, se déploient : Grigoux est méchant mais pas inflexible, Rappia est généreux et bonne pâte, Filoux adorable et naïf. Quand l’action reprend ses droits, c’est une musique de fanfare qui ramène tambour battant les spectateurs dans l’histoire. Pour couronner le tout, c’est la voix de Ungerer qui assure la narration.
Un récit moral sans être moraliste
Loin de faire l’apologie du salut par la rédemption, ce conte simple par son discours et riche par sa forme enchante les plus jeunes, et les moins jeunes. En dehors des circuits des grandes productions animées actuelles –le licencieux Shrek, l’insipide Cars, ou le très puritain L’âge de Glace…- le film de Hayo Freitag emprunte un chemin oublié de l’animation pour jeune public. Si il se distingue dans sa forme de Kirikou ou de Azur et Asmar, ce film allemand persiste à creuser le sillon d’un cinéma d’animation qui prend les enfants au sérieux.
Les grands, eux, une fois les douze coups de minuit sonnés, iront explorer les autres facettes de l’œuvre de Tomi Ungerer : ses dessins publicitaires, ses caricatures de presse, ses paysages, ses récits alsatique [1] ou ses dessins érotiques [2]. Mais ça, c’est une autre histoire…
Renaud CERTIN
Le centre Tomi Ungerer : en ligne, des milliers de dessins pour enfants ou pour adultes, et, sur place, une collection inépuisable de jeux et de jouets.
La vie et l’oeuvre de Tomi Ungerer : en français, allemand, et anglais.
Le Katorza, cinéma d’Art et d’Essais nantais.
[1] ‘Alsatique’ : qui traite de l’histoire de l’Alsace, région avec laquelle Tomi Ungerer entretient une relation viscérale
[2] Selon la formule consacrée : "reservés à un public averti".
Bloc-Notes
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