
Blues minimaliste
Jonathan Kane, la renaissance d’un bluesman
Entretien avec Jonathan Kane, janvier 2008
Il était une fois Jonathan Kane, batteur volcanique à l’aise aussi bien dans le monde du rock industriel – il est le co-fondateur du mythique groupe Swans – que dans celui de la musique contemporaine – il collabore régulièrement avec Rhys Chatham et La Monte Young – et celui du blues. Jonathan Kane est batteur, mais aussi compositeur. Depuis 2005, il cisèle des pièces répétitives au feeling définitivement blues, toutes sorties sur le label de musique expérimentale Table of the Elements. Retour sur ces récents enregistrements.
Tout commence en 2005. Jeff Hunt, directeur de Table of the Elements, demande aux artistes de son label d’interpréter et d’enregistrer une pièce de leur choix en vue d’une compilation. Un seul impératif : qu’elle ait été écrite par un grand compositeur du XXe siècle. Jonathan Kane choisit Guitar Trio de Rhys Chatham. “J’ai toujours adoré jouer Guitar Trio avec Rhys, mais pour mon arrangement, j’ai dû le ralentir et le faire swinguer. C’est devenu un blues féroce. Quand j’ai vu à quel point ça marchait, j’ai tout de suite commencé à écrire ma propre musique pour ensemble de guitares électriques, de ma propre perspective de bluesman.”
Des racines qui plongent dans les eaux boueuses du Mississippi…
Associer les principes du minimalisme et ceux du blues pour en faire surgir une musique à la fois formellement rigoureuse et terriblement festive ? Pour Jonathan Kane, c’est une évidence : “Je crois que je le faisais bien avant que je sache ce qu’était le minimalisme. Je viens du blues. Enfant, je participais à des jam sessions qui duraient vraiment, vraiment longtemps. Pas seulement des solos sans fins, mais aussi le groove… profond et long.” Et d’ajouter : “Écoute Mississippi Fred McDowell, Son House, John Lee Hooker. Ces artistes jouent souvent des pièces consistant en un simple accord bourdonnant et en un riff hypnotique, répétitif. Minimaliste, non ?”
C’est grâce à un retour au blues pur et dur que le projet de la composition des pièces de February a pu émerger dans l’esprit du compositeur, qui s’était peu à peu éloigné de son amour de jeunesse pour se consacrer à d’autres genres. “Après avoir joué de la musique minimaliste, de l’industriel, du rock expérimental, de l’improvisation, du free, du noise, du jazz et à peu près tout le reste pendant des dizaines d’années, mon frère et moi avons reformé notre premier groupe, le Kane Bros. Blues Band. Ce faisant, j’ai redécouvert mon amour inconditionnel et mon besoin de jouer… du blues. […] Le Kane Bros. Blues Band m’a donné l’inspiration spirituelle pour retourner au feeling musical qui m’attire. Bien sûr, une fois cela établi, j’ai dû repousser les frontières de mon univers musical, le blues, et c’est ce que je continue de faire, mais le Kane Bros. Blues Band m’aide toujours à garder les pieds sur terre.”
… et dans les froids hivers new-yorkais
February, opus de cinq pièces instrumentales, déploie les possibilités musicales offertes par le blues d’une manière originale. Imaginez Terry Riley qui se serait emparé d’un riff de Muddy Waters et l’aurait inlassablement répété, décomposé et recomposé en un kaléidoscope explosif, soutenu par une basse volubile et une batterie ardente, et vous ne serez pas loin d’imaginer ce qu’est la musique de Jonathan Kane.
Mais à propos, pourquoi “February” ? “Il y a plusieurs raisons. D’abord, et c’est la raison la plus simple, j’ai terminé l’enregistrement en février 2005. Ensuite, cette musique, c’est du blues et, il faut l’admettre, février est le mois le plus froid, le plus sombre, le plus rude et “bleu” de tous. Pourtant, je l’aime, j’aime l’hiver. Je suis très productif à cette période de l’année. Ce qui m’amène à mon dernier point… il m’est arrivé de mauvaises choses, en février. À tel point que j’appréhendais l’arrivée de ce mois. Composer cette musique était une expérience cathartique, un moyen de reconquérir ce mois et de le célébrer. Et voilà. Pour moi, février représente le meilleur et le pire de ce que la vie a à offrir, mais finalement, c’est bon, c’est positif.”
Imaginez Terry Riley qui se serait emparé d’un riff de Muddy Waters et l’aurait inlassablement répété, décomposé et recomposé en un kaléidoscope explosif.
Février au mois de mai
Depuis, Jonathan Kane a continué d’explorer la voie ouverte par February avec I Looked at the Sun, qui propose une version détonante du classique de Mississippi Fred McDowell, et plus récemment, avec une interprétation de The Little Drummer Boy. Un classique de Noël revu et corrigé d’une manière délicieusement décalée et efficace. “J’ai commencé à jouer cette mélodie sur ma guitare il y a deux ans, pendant les vacances de Noël, et j’ai pensé que cela ferait une jolie chanson de Noël minimaliste. Et puis, l’année dernière, Jeff Hunt a demandé à tous les artistes de Table of the Elements d’enregistrer une chanson pour une compilation de Noël. J’ai parié sur The Little Drummer Boy. Apparemment, j’ai été le seul à proposer quelque chose, alors Jeff l’a sorti en single.”
Un nouvel album est prévu pour la fin de cette année : “Ce sera un LP. J’ai tout un tas de nouvelles choses à propos desquelles je suis très enthousiaste. Je creuse encore plus profondément le sillon de mes trois premiers disques, mais il y aura quelques surprises, quelques nouveaux éléments introduits. Je ne veux pas en dire trop, j’espère qu’il sortira à l’automne 2008.” En attendant, Jonathan Kane et son groupe baptisé… February seront en tournée en Europe au printemps 2008. À ne pas manquer.
Sophie Pécaud
Photo : Bridget Barrett
À écouter :
February, Table of the Elements, Radium, 2005.
I Looked at the Sun, Table of the Elements, Radium, 2006.
The Little Drummer Boy, Table of the Elements, Radium, 2007.
Et aussi :
La Monte Young & The Forever Bad Blues Band, Just Stompin’ : Live at the Kitchen, Rhino Records, 1993.
Kane Bros. Blues Band, Mythco Records, 2006.
Interview de Jonathan Kane sur Well Rounded Radio
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