Toto le Momo
Antonin Artaud : Un fou ? Un génie ?
Personnage emblématique du théâtre contemporain, Antonin Artaud ne laisse pas indifférent : Les uns diront qu’il n’était que fou, d’autres clameront que ce fou était génial. Controversé ou adoré, il reste en tout cas au cœur des créations actuelles comme une véritable référence.
Interné durant neuf ans, assommé, drogué, inhibé par des camisoles chimiques, cures de soins entrecoupées d’électrochocs… Ainsi fut traité Antonin Artaud durant ses années en clinique psychiatrique, notamment à Rodez.
« C’est que j’avais passé par 3 ans de mise au secret, 5 mois d’empoisonnement systématique, et 2 ans d’électrochocs saupoudrés de cinquante comas. Un homme n’est plus lui après tout cela. »
C’est que j’avais passé par 3 ans de mise au secret, 5 mois d’empoisonnement systématique, et 2 ans d’électrochocs saupoudrés de cinquante comas. Un homme n’est plus lui après tout cela.
Au sortir de cet enfermement pour « cause arbitraire », il décide de dévoiler enfin au monde, « à la masse », l’ensemble de ses réflexions et de ses accusations. Il convie donc la presse à la conférence du Vieux-Colombier ce 13 janvier 1947, presse qui lui répondra d’ailleurs « qu’il n’est pas assez commercial pour intéresser le grand public ». Mais le public est là justement, neuf cents personnes venues soutenir l’auteur, le comédien, le penseur, neuf cents personnes, prêtes à entendre les mots, les phrases qui transmettront enfin les idées d’Artaud.
« Je ne vais pas faire une conférence élégante et je ne vais pas faire une conférence. Je ne sais pas parler, quand je parle, je bégaye parce qu’on me mange mes mots, je dis qu’on me mange mes mots. »
13 janvier 1947, Vieux-Colombier, le « Fou de Rodez » s’apprête à vivre le moment tant attendu de révéler au monde le fond de sa pensée. Seulement, au bout de cinq minutes, il se rend compte qu’il ne peut pas continuer. Il devient complètement muet, incapable de transmettre ses réflexions les plus profondes qui le rongent, cette « extrême lucidité » qu’il veut démontrer. Il interrompt brutalement la conférence. Cette aphasie passagère le marquera profondément, jusqu’à son décès en mars 1948.
David Ayala, dix ans pour une dette
David Ayala interprète Toto le Momo depuis maintenant dix ans et 245 représentations. Poussée par une demande continuelle des programmateurs et du public, cette adaptation de l’œuvre d’Artaud n’en finit pas de se jouer : Buenos Aires, Alger, ou encore Montréal attendent impatiemment leur tour dans la découverte de ce spectacle à présent bien rôdé. Depuis 1997, l’équipe ne change pas. Le spectacle et le texte non plus, ils évoluent. « Chaque mot trouve une résonance différente en moi aujourd’hui. Je suis passé de la fascination adolescente à la révolte lucide et construite ».
Au début pourtant, l’évidence n’était pas flagrante : David Ayala ne s’intéressait absolument pas à la culture, se destinant à une carrière dans le sport. Un ami lui confie le « Théâtre et son double » : les mots entrent en résonance avec la colère du jeune adolescent de l’époque, le texte le marquera à jamais. Il commence alors à lire les oeuvres d’Artaud, puis d’autres auteurs, d’autres époques, d’autres styles. « Artaud ne m’a pas juste amené à la lecture, il m’a fait découvrir le théâtre tout entier et pour cela, je lui suis redevable. » Le comédien se jure alors d’interpréter un jour un texte d’Artaud, en paiement de cette dette, ce sera « Toto Le Momo ».
Artaud ne m’a pas juste amené à la lecture, il m’a fait découvrir le théâtre tout entier et pour cela, je lui suis redevable
Accompagné de Jacques Bioulès et Lionel Parlier, David Ayala se lance à corps perdu dans cette aventure. . « C’est une pensée qui s’énonce dans un souffle, un mouvement. Ce pourrait être juste le texte mais cette pièce demande une grande implication physique, sensible et vivante. » Aucune recherche de ressemblance physique ou de comportement : « Nous n’attendons pas du public une identification mais une compréhension du texte. C’est une invitation au voyage, à un voyage dans l’univers mental d’Artaud. Même dans la confusion et le délire, Antonin Artaud provoque des forces de vie chez les gens »
Un voyage mouvementé lorsqu’on voit les efforts voire les souffrances physiques subies par le comédien durant la représentation : souplesse, endurance, ténacité… L’expérience corporelle vécue sur scène se ressent jusqu’au plus profond du public. Certains spectateurs iront même jusqu’à témoigner, sous forme de lettre ou de cadeaux, des bouleversements intimes provoqués lors de la représentation.
Une ouverture pour conclure
L’article pourrait se clore sur une appréciation extrêmement positive du travail d’Artaud et de David Ayala, de la cohérence et de l’alchimie de ces deux artistes, de l’intelligence de cette oeuvre qui offre une soirée éprouvante mais positive aux spectateurs ouverts à la réflexion. Une autre conclusion est possible, correspondant plus aux exigences d’un auteur à découvrir ou redécouvrir sans fin. Voici donc une sélection de mots d’Artaud à méditer selon l’une de ses plus fortes volontés :
« ce que j’ai à dire, je veux qu’on l’entende, je veux qu’on m’entende. »
« Nous vivons sous un drôle de régime qui est celui de la truie. Ce qui veut dire de plus en plus cochon et sur tous les registres. »
« Le monde va au chaos, c’est entendu et c’est visible, et je crois que tout le monde est d’accord là-dessus, mais il n’y va pas d’une manière propre et normale. »
« J’ai donc à dire à la société qu’elle est une pute, et une pute salement armée. »
Propos recueillis par Amélie Féraud
Photo DR
David Ayala joue « Toto le Momo » d’après Antonin Artaud jusqu’au vendredi 21 décembre 2007 au Grand T, salle de la Chapelle.
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