Igishanga
Dans le nu de la vie : le génocide rwandais
Isabelle Lafon ne pouvait trouver meilleure salle que le Studio Théâtre pour présenter son Igishanga. Ce spectacle, créé aux Rencontres à la Cartoucherie de 2002, s’inspire du travail du journaliste Jean Hatzfeld. Ce dernier a séjourné plusieurs mois au Rwanda, sur les collines de Nyamata où il a recueilli les récits des rescapés du génocide.
C’est une petite salle, intime, qui ne peut contenir qu’une cinquantaine de spectateurs serrés les uns contre les autres dans une étrange proximité. Le décor se veut simpliste, dénudé, juste une chaise, écaillée par le temps et « trouvée dans une poubelle » par la comédienne qui justifie son choix par un simple « elle fait très africaine ». C’est sur cette chaise que l’actrice se dirige un livre à la main. Elle s’assoit, chausse ses lunettes et commence la lecture.
« Dans le Nu de la Vie », Jean Hatzfeld
Ce livre, c’est « Dans le Nu de la vie – Récits des marais rwandais » de Jean Hatzfeld. Grand reporter et correspondant de guerre, l’auteur a couvert le conflit yougoslave et le génocide rwandais. De cette dernière épopée est né « Dans le nu de la vie », recueil de témoignages de 14 Tutsis rescapés de l’horreur.
Isabelle Lafon ne laissera pas passer l’occasion de témoigner de ces massacres presque anonymes. La préparation a duré 8 mois, imprégnation du texte mais surtout apprentissage de tous les tics et habitudes de parler, de raconter à l’africaine. « Aidée de Léonard Binama auquel elle avait demandé “de lui apprendre l’accent et la manière de parler des africains” », elle met sur pied une véritable invitation au voyage historique autour d’un thème difficile.
Véritable témoin, tour à tour Sylvie, puis Claudine, Isabelle Lafon raconte et le public ne décroche pas une minute des lèvres de cette « blanche » qui semble devenue Tutsi en moins d’une seconde. Emotion, rire, douleur, tristesse, toutes les émotions se mêlent et créent une ambiance particulière d’échange, de confidences mais surtout de compréhension.
Il y a une écoute insensée. Plus il y a cette écoute et plus on a envie de s’y plonger
Rescapés mais pas affligés
« Il y a une écoute insensée. Plus il y a cette écoute et plus on a envie de s’y plonger. A Nantes, c’est une écoute qui me pousse, je suis coincée ».
Pas d’apitoiement, pas de larmes inutiles ou superflues, pas de pathétique dans cette douleur et ces témoignages là. Juste la recherche d’explications, éternelle quête d’une vérité que l’on ne connaîtra jamais. Isabelle Lafon pose également plusieurs questions liées aux écrits de Jean Hatzfeld : Quelle est la limite ? Jusqu’où est-ce que le devoir d’obéissance prime-t-il sur l’éthique d’une personne ? Jusqu’où êtes-vous capable d’aller par désir de rester en bon terme avec les autorités ?
A la fin du spectacle, le public se sent témoin à son tour, chargé d’une mission de témoignage et de questionnement d’autrui comme il s’est interrogé durant près d’une heure. Isabelle Lafon et Jean Hatzfeld ont largement rempli leur objectif : le relais est passé.
Une pièce intemporelle et nécessaire
Isabelle Lafon joue cette pièce depuis 2002. D’abord au théâtre de la Villette à Paris puis, pour la première fois à Nantes au Studio Théâtre. Les représentations ne se comptent plus mais la comédienne reste motivée par l’éternelle redécouverte du texte et de ses interprétations : « Aujourd’hui, j’ai encore pigé une phrase ».
Cependant, elle avoue ne pas comprendre pourquoi les gens réclament encore son spectacle, comment le public peut encore avoir besoin de se poser ces questions-là : « Ils pourraient rester chez eux, éviter la pluie… Cela fait plusieurs années que je joue ce spectacle. C’est un peu miraculeux, il continue on ne sait pas pourquoi ».
Peut-être grâce au thème historique récurrent ; peut-être grâce à cette recherche de vérité que tout homme connaît un jour ; peut-être aussi grâce au talent de la comédienne et de l’auteur. Ou peut-être tout simplement parce qu’Igishanga traite de sujets propre à tous, à la mémoire collective et qu’en ces temps hasardeux, il devient capital de ne rien oublier.
Propos recueillis par Marie Delhaye
Article : Amélie Féraud et Marie Delhaye
Photos : Fred Khin
Igishanga s’est joué au Studio Théâtre du 4 au 8 décembre 2007 et a été mis en place par le Théâtre Universitaire.
Le site du Théâtre Universitaire
"Dans le Nu de la Vie, récit des Marais Rwandais", Jean Hatzfeld aux éditions Seuil
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