Festival Soy 2007
Rhys Chatham : “Nothing but a party… and nothing but rock !”
Rhys Chatham, Festival Soy, Nantes, 29 octobre 2007
En 2004, Rhys Chatham investissait le lieu unique avec An Angel Moves Too Fast To See. Le 29 octobre dernier, le compositeur new-yorkais était de retour à Nantes, en tête d’affiche du festival Soy, pour présenter Guitar Trio, la toute première de ses pièces pour guitares électriques. Après la majesté d’une symphonie pour 100 guitares électriques, la furie de six guitares punk.
La musique de Rhys Chatham s’abreuve à deux sources. Celle de l’avant-garde minimaliste d’abord, le compositeur faisant partie d’une tradition consacrée qui va de La Monte Young à Tony Conrad et de Terry Riley à Charlemagne Palestine, en passant par les plus médiatiques Philip Glass et Steve Reich. Celle du rock des Ramones ensuite : c’est un concert du groupe au CBGB’s qui permit à Rhys Chatham, alors âgé de 25 ans et meilleur connaisseur de Boulez que de la vibrante scène rock de sa ville natale, de “trouver sa propre voix”, celle d’un pionnier désormais cité comme initiateur du courant rock noise et influence majeure de groupes de rock expérimental tels que Band of Susans, Swans ou Sonic Youth.
“À l’époque, je composais de la musique minimaliste dans la veine de celle de La Monte Young. Et puis je suis allé à un concert des Ramones au CBGB’s, et ça a changé ma vie. Je sentais qu’il existait un lien entre cette musique et la mienne. C’est à ce moment-là que j’ai emprunté la Fender d’un ami et que je me suis lancé dans le rock. Je pensais que si Steve [Reich] pouvait travailler avec la musique africaine, et Phil [Glass] avec le jazz, je pourrais travailler avec le rock. Pourquoi pas ?”
Un minimalisme fondé sur l’usage des harmoniques…
Le résultat de ces recherches : Guitar Trio, toute première pièce à faire fusionner les principes du minimalisme et ceux du rock. D’abord expérimentée dans diverses configurations – l’une d’elle, Tone Death, inclut un saxophone –, la pièce se stabilise en 1977 sous sa forme actuelle. Son instrumentation : de deux à six guitares électriques, basse électrique et batterie – Rhys Chatham restant quelque peu indécis quant à sa définition du “trio”.
Guitar Trio repose sur un principe extrêmement simple, dont les effets sont extrêmement riches : la répétition. Les guitaristes s’attachent à répéter obstinément la même note, puis les deux mêmes accords pendant près de 20 minutes. Leur but : en extraire toute la substance harmonique. Comme le rappelle Rhys Chatham, une note n’est en effet jamais “pure”, mais contient, outre sa fréquence fondamentale, une infinité d’autres fréquences dont certaines sont plus audibles que d’autres, selon l’instrument que l’on a sous les mains et la manière dont on en joue.
De l’unité peut ainsi surgir la diversité. De l’unisson, la mélodie. Évoquant l’une des premières représentations de Guitar Trio au Max’s Kansas City, Rhys Chatham se rappelle : “Des gens venaient jusqu’à la table de mixage pour demander à notre ingénieur où nous cachions nos chanteurs. Les harmoniques que nous jouions résonnaient avec une telle clarté que le public pensait qu’il entendait des voix.” [1]
'Guitar Trio' repose sur un principe extrêmement simple, dont les effets sont extrêmement riches
Le déploiment harmonique est l’effet principal de l’usage de la répétition. Ce n’est pas le seul. Pour Rhys Chatham, répéter sans cesse le même accord à un volume sonore effroyablement élevé, avec le soutien d’une batterie soliste qui pénètre et structure la masse sonore de l’intérieur, est aussi le moyen de créer chez son auditoire – et, accessoirement, chez ses musiciens – un état de transe quasi chamanique.
… et l’énergie brute du rock !
L’originalité de Guitar Trio consiste à avoir transposé des principes purement minimalistes – répétition, jeu sur les harmoniques – dans le domaine du rock, et de les avoir subordonnés à son instrumentation, ses techniques de jeu et son attitude. Guitar Trio n’est donc pas l’une de ces pièces que seuls des amateurs éclairés de musique contemporaine peuvent apprécier. Elle ne repose pas tant sur un intérêt théorique que sur l’impact viscéral produit par une brochette d’authentiques rockers jouant très, très fort et très, très vite –la représentation se termine sur une orgie de trémolos et un certain nombre de cordes de guitare cassées…
L’impact est d’autant plus fort que Rhys Chatham ne travaille jamais qu’avec la fine fleur de la scène rock locale. Les trois-quarts de Sonic Youth à Brooklyn, des membres de Tortoise à Chicago, de Godspeed You ! Black Emperor à Montréal. Pas question pour le compositeur de se contenter d’un de ces gags musicaux que sont les tentatives très ircamiennes de Tod Machover ou de Pierre Henry – le modèle du genre restant l’inénarrable Messe pour le temps présent de 1967. Question de respect pour le genre.
Rhys Chatham ne travaille jamais qu’avec la fine fleur de la scène rock locale. Les trois-quarts de Sonic Youth à Brooklyn, des membres de Tortoise à Chicago, de Godspeed You! Black Emperor à Montréal
“Quand j’ai composé Guitar Trio, il était important pour moi de ne pas être un “infiltrateur” de la scène rock. Il est facile pour un compositeur classique – Tod Machover, par exemple – d’écrire une pièce “citant” le rock et de la jouer dans un contexte classique. Il était important pour moi de jouer cette musique – à laquelle j’avais tout donné, mon histoire de compositeur classique aussi bien que mon histoire de musicien de rock – pour un public de rock, dans un contexte rock, avec des musiciens de rock.”
De trois à 400 guitares et retour
Depuis 1977, Rhys Chatham est allégrement passé de trois guitares à six (Die Donnergötter, 1984-85), puis à 100 (An Angel Moves Too Fast to See, 1989). Il a fait culminer son œuvre pour guitares électrique sur la butte Montmartre avec les 400 guitares de Crimson Grail, monumentale et délicate pièce commandée par la Ville de Paris pour la Nuit Blanche 2005.
L’année dernière, le compositeur a eu une nouvelle révélation. Cette fois, ce n’était pas le punk des Ramones, mais le drone doom metal de Sleep : “Récemment, alors que j’étais en tournée, j’ai entendu ce groupe, Sleep, et leur album Dopesmoker, qui m’a laissé sans voix. Je me suis dit : “Mince, c’est ma musique !” Résultat : Rhys Chatham est revenu aux fondamentaux – trois guitares, basse et batterie – et a repris la route avec son nouveau groupe, Essentialist. Son projet : réduire le métal à ses éléments essentiels ; le reconstruire ; transcender sa signification initiale. À découvrir l’année prochaine en Europe.
Sophie Pécaud
Photos : Renaud Certin
À écouter :
Die Donnergötter, Table of the Elements, Radium, 2006.
An Angel Moves Too Fast to See, Table of the Elements, Radium, 2006.
A Crimson Grail, Table of the Elements, Radium, 2007.
[1] Rhys Chatham, Composer’s Notebook 1990. Toward A Musical Agenda For The 1990s, Table of the Elements, Atlanta, 1990.
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