Quand les masques tombent ... le public est lÃ
L’île des esclaves, pièce de Marivaux, a remporté un vif succès après ses représentations au Théâtre Universitaire de Nantes. Eric Massé a réussi à mettre en scène le renversement des rôles maîtres / esclaves et la confrontation de ces deux sociétés que tout oppose. Tout est mis en place pour que le spectateur comprenne l’univers dans lequel il entre et qu’il participe au jeu.
Eric Massé joue avec le mélange des genres comédie/tragédie. Cette pièce que l’on peut qualifier de « divertissement cruel » est écrite comme une comédie mais traite néanmoins de la douleur, de la pauvreté et de l’humiliation. Aucun remord n’est éprouvé à mélanger le tragique et le rire. Les diverses humiliations subies par les maîtres et les esclaves ainsi que l’inversion des rôles provoque malgré la situation le rire, comme un mal nécessaire pour se libérer.
Cette pièce est une expérience que nous invitent à venir partager les acteurs. Le nouveau monde dans lequel évoluent les couples maîtres / esclaves laisse libre court à la dérive et à toutes autres expériences... L’île teste leur limite et les personnages se retrouvent dans un endroit où tout est bouleversé et où chacun doit se battre, souvent par un « humour désespéré », pour pouvoir survivre. Il faut se méfier du cadre à priori séduisant de l’île.
Le nouveau monde dans lequel évoluent les couples maîtres / esclaves, laisse libre court à la dérive et à toutes autres expériences...
Au fur et à mesure de notre avancée dans l’histoire, le public rentre dans une tout autre réalité : un « espace clos coupé du monde extérieur. Des scènes de la comedia, utilisées par les esclaves, vont être mélangées à des scènes empruntées à la tragédie des maîtres. Même les situations les plus grotesques amènent le rire qui sauve la plupart du temps les personnages. Le comique se fait également ressentir lorsque les valets utilisent la langue de leurs maîtres. La manière dont ils s’en emparent afin de mieux la démystifier ne fait que souligner davantage son pouvoir.
Ce mélange des genres nous interroge alors sur la naissance du choc entre utopie et réalité, entre notre monde et celui du XVIII ème siècle. Jusqu’à la fin de la pièce, l’expérience apparaît cruelle mais, comme le dit Eric Massé, « elle peut cependant être salutaire car de la sauvagerie des tentatives de renversement, sont nées des démocraties. Cette régression est parfois nécessaire pour parvenir à l’autonomie ».
Un décor et un jeu d’acteurs moderne
Lorsque le spectateur entre dans la salle, il est accueilli par une abondante fumée représentative du brouillard, qui ne sort de nulle part. Peu à peu elle se dissipe pour laisser place à l’un des personnages : Trivelin. Son apparition fantomatique invite le public à s’intéresser à ses paroles puisque nous ne le distinguons pas. C’est donc dans une atmosphère mystérieuse que débute la pièce.
Sur la scène on ne voit qu’un grand rideau transparent et dans un coin une roue surmontée d’un bâton. Les cages de grillages de verre, remplies de foin, évoque l’univers carcéral et renvoie à l’île, à l’espace clos dans lequel évoluent les personnages. Le détail qui va donner encore plus de puissance à la pièce est la présence animale aux côtés de Trivelin. Cette présence crée « une étrangeté et interroge le public sur la dualité nature/culture ». Elle suggère également que « l’animalité de chaque individu peut refaire surface n’importe quand ».
Mais toute cette mise en scène ne serait possible sans le jeu des comédiens. Parfois violent et physique, le jeu des valets montre la brutalité du traitement qu’ils font subir à leurs maîtres. Les pulsions sadiques des esclaves se défoulant de leurs frustrations et l’attitude effacée des maîtres créent « une atmosphère à la fois d’une grande cruauté et d’une drôlerie de défoulement ».
Le jeu des couleurs est aussi important puisque le metteur en scène s’intéresse à deux couleurs que sont le rouge et le bleu. Au départ, les maîtres sont en rouge et au vue de l’inversion des rôles, ils portent les vêtements bleus de leurs esclaves. Ce jeu de couleurs renvoie au pardon (bleu) et à l’amour (rouge).
Une pièce sous le signe d’un reality show
La participation du spectateur souligne le mélange des genres choisi par Eric Massé mais l’implique dans le jeu des acteurs. C’est « un théâtre en prise directe avec le public » auquel on assiste. Les spectateurs sont intégrés dans « le processus de réflexion et de création » mis en place par le metteur en scène et ses acteurs. On peut alors mettre en parallèle cette mobilisation avec un jeu de télé-réalité. On peut comparer Trivelin à un présentateur d’une émission quelconque d’aujourd’hui. Il va interroger tour à tour les esclaves sur les habitudes de leurs maîtres. La présence d’un micro sur le devant de la scène renforce le côté réel de la situation et montre que les comédiens s’adressent directement au public.
Trivelin les interrompt de temps à autre et se place dans le public pour mener le jeu. Il tient à la fois le rôle d’acteur et de spectateur. Les masque de la bienséance tombent. Les personnages devenus des cobayes goûtent dans le jeu de rôle à la perversité du pouvoir et à la soumission. Cette expérience trouve une forte résonance dans notre société du divertissement et de télé-réalité. Mais comme dans notre monde, après de nombreux déchirements et d’humiliations, les deux couples maître/esclave se réconcilient en faisant chuter ensemble Trivelin.
Un théâtre à double enjeu
Ce qui intéresse aussi Eric Massé dans son théâtre, c’est de mettre en scène les détenus des maisons d’arrêt des villes qui les accueillent. Tous les comédiens leur proposent un atelier de jeu ainsi qu’une représentation de la pièce. On peut alors faire un parallèle entre le mise en scène de sa pièce et le choix de l’île représentative de la prison. Un rapprochement île/ prison est alors envisageable. Ces termes représentent l’enfermement, un espace clos dans lequel les acteurs et les détenus évoluent, la maison d’arrêt étant vue « comme une métaphore de l’île, avec des règles autonomes ». Pour Eric Massé, l’essence de ce projet est d’"amener une circulation de personnes donc d’émotions et d’idées entre un lieu clos et un lieu ouvert qu’est le théâtre ».
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses