Dossier Fragil : Brésil 2015 (4/5)
Vidigal : l’autre image des favelas
Avec une vue imprenable sur la plage d’Ipanema, le quartier du Vidigal à Rio de Janeiro est devenu un lieu touristique incontournable pour ceux qui veulent connaître les favelas au Brésil. Selon les agents immobiliers locaux, la carte postale est si impressionnante que David Beckham, Madonna ou encore Kanye West auraient acheté des maisons là -bas. Derrière ce tourisme d’un nouveau genre, quelle réalité se cache au sein de la communauté de Vidigal ? Fragil a mené l’enquête.
Le classique bossa nova Garota de Ipanema vient tout de suite en tête quand on pense à la célèbre plage de Rio de Janeiro. C’est avec cette vue implacable du soleil réfléchi sur l’océan que les habitants de la communauté du Vidigal se réveillent chaque matin. La favela installée là-bas était une des premières à recevoir, en 2012, une Unité de Police Pacificatrice (UPP). Un projet de l’État de Rio pour en finir avec des groupes criminels qui contrôlaient le territoire.
Situé au sud de Rio, dans un secteur plutôt aisé de la ville, le Vidigal reçoit aujourd’hui des touristes étrangers et brésiliens. Il est devenu LE lieu des fêtes privées aux entrées très disputées. La colline du Morro dos Dois Irmãos surplombe le quartier. Un tourisme axé nature s’y est développé attirant en moyenne 300 personnes par week-end. Ces activités apportent de nouveaux revenus aux habitants mais ne résolvent pas les problèmes structurels, créant même de nouveaux défis.
Ce n'est pas encore l'idéal en terme de sécurité publique, mais notre façon de vivre a changé, nous avons plus de libertés et d'estime de soi
Pour comprendre un peu mieux ce qu’il se joue au Vidigal, Fragil a interviewé André Gosi, un des huit directeurs de l’association des habitants du quartier. Quelqu’un qui, comme il le dit lui-même, a vu la colline se transformer, passant d’un grand espace vert à une agglomération de cabanes. Sa famille fait partie de la communauté depuis 70 ans et aujourd’hui, à l’âge de 53 ans, il est responsable des projets sociaux et culturels au sein du groupe. Il a créé, par exemple, le projet d’un marché artisanal bimensuel et travaille dans les écoles avec des spécialistes pour rapprocher parents et étudiants.
Fragil : Rio de Janeiro concentre environ de 52 millions d’habitants sur plus de mille favelas. En quoi la favela du Vidigal se différencie-t-elle des autres ?
André Gosi : « Au cours des années 1980, le Vidigal a reçu beaucoup d’exilés politiques et d’artistes. Des projets comme Nós do Morro (groupe de théâtre qui propulse des acteurs au niveau national, NDLR) ont été créés par des personnes qui ne sont pas d’ici initialement, mais qui sont restées. Il y a toujours eu une sorte d’harmonie entre les gens. C’est vrai que c’est plus difficile dans d’autres communautés où la pauvreté est plus importante. Ici l’association des habitants est dynamique. Nous sommes huit directeurs, tous des anciens habitants élus par plus de 2000 personnes. »
Fragil : Qu’est-ce qu’a changé la pacification ?
André Gosi : « Aujourd’hui, ce n’est pas encore l’idéal en terme de sécurité publique, il y a beaucoup de choses à faire. Mais notre façon de vivre a changé, nous avons plus de libertés et d’estime de soi. Les gens sont plus heureux. Avant, il y avait trop de violence et comme le gouvernement était totalement absent, le trafic avait tout occupé. Et malheureusement, il a coûté la vie de beaucoup de jeunes. Mais attention : aujourd’hui, la violence existe encore, elle est juste allé un peu plus loin. »
Fragil : Quels sont les liens entre l’Unité de Police Pacificatrice et la population ?
« La bonne chose avec l’UPP est que nous pouvons mettre en place des dialogues entre eux et la communauté. Il n’y a pas longtemps, nous avons fait une réunion parce qu’ils étaient trop autoritaires avec les jeunes lors des contrôles. Les habitants sont venus à l’association pour en parler avec eux. Je trouve que c’est une bonne manière d’avoir une relation intelligente avec les jeunes, parce que s’ils restent de leur côté, tout cela ne servira à rien. C’est une façon de les socialiser pour qu’ils puissent avoir plus de contact avec tout le monde, et améliorer ainsi le dialogue et la sécurité. »
Fragil : Qu’est-ce qu’il manque encore à la communauté ?
André Gosi : « Beaucoup, beaucoup de choses ! Il faut que le gouvernement fasse tout, mais avec le problème Petrobras, ils ne vont rien faire du tout. Il faut des investissements dans le domaine social, dans la santé et l’éducation. Les installations sanitaires, par exemple, restent un gros problème ici. Nous avons créé ici une cellule de médiation de conflits parce que l’habitat reste aussi très problématique. Il y a beaucoup de problèmes de promiscuité, de voisinage... Donc nous mettons ici à disposition un avocat, un assistant social et un psychologue. »
Fragil : Comment les habitants réagissent-ils au tourisme qui s’est développé au Vidigal ?
André Gosi : « Tout le monde y gagne avec le tourisme. Ce mouvement favorise les petits commerces, les motos taxis et les Kombis qui font le transport entre le bas et le haut de la colline. Avec les fêtes, la haute société de Rio de Janeiro vient vers le haut de la colline et la population a vu cela comme une opportunité. Elle en tire un revenu et les familles peuvent mettre leurs enfants dans une meilleure école et même payer une mutuelle. »
Nous pensons que dans 20 ans, 30 % de toute la partie haute du Vigidal sera vendue. C'est la gentrification, l'embourgeoisement urbain
Fragil : Ce tourisme a-t-il aussi des conséquences négatives ?
André Gosi : « Les choses sont devenues trop chères du côté de Leblon et Ipanema (quartiers voisins du Vidigal, NDLR) et le touriste a compris que c’est moins cher ici. Mais nous avons quand même eu une hausse du prix des loyers ici, ce qui a forcé certains habitants à déménager. Maintenant il y a beaucoup de demandes pour acheter des maisons ici. Nous pensons que dans 20 ans, 30 % de toute la partie haute du Vigidal sera vendue. C’est la gentrification, l’embourgeoisement urbain. Et là, on a du faire des réunions avec les habitants pour leur expliquer l’importance de négocier un juste prix pour avoir une bonne qualité de vie. »
Fragil : Combien coûtent les maisons, en moyenne ?
André Gosi : « En moyenne entre 400 et 500 000 reais (116 - 145 000 euros). Il y a des maisons qui atteignent 800 000 reais (232 000 euros) et plus. Il y a peu d’étrangers qui achètent, la plupart sont des Brésiliens. Les étrangers qui viennent ici restent quelques mois et après ils repartent. »
Fragil : A la fin d’avril, le conseiller municipal Célio Lupparelli (DEM, Démocrates) a présenté un projet de loi pour prohiber les visites guidées dans des communautés en affirmant que c’est un « tourisme dégradant qui transforme la misère en spectacle ». Qu’est-ce que vous pensez de cela ?
Les guides rassurent le touriste. On ne peut pas aller tout seul dans un lieu qui a été considéré et est encore considéré comme violent
André Gosi : « Je ne sais pas si c’est un spectacle... Je trouve que c’est une vision radicale parce que quand les touristes viennent ici ils pensent que ce n’est pas si pauvre que ce qu’ils imaginaient. Beaucoup d’entre eux sont agréablement surpris. Le tourisme est fondamental ici. Les guides rassurent le touriste. On ne peut pas aller tout seul dans un lieu qui a été considéré et est encore considéré comme violent. Il y a par exemple le Complexo do Alemão. Moi, qui habite ici, je ne vais pas tout seul dans certaines parties du quartier. Pour cela il faut être accompagné des habitants qui connaissent le lieu et qui sont connus. »
Juliana J. Garzon
La semaine prochaine, dernier volet de notre dossier Brésil 2015 avec un regard croisé franco-brésilien. Retrouvez Juliana J. Garzon sur Twitter : @jugarzon.
A lire aussi :
- Brésil 2015 (1/5) : "La vie politique brésilienne n’a jamais été si imprévisible"
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses