ENTRETIEN
Docteur Paper : le trait voyageur
Cela ne vous dit peut-être rien mais je suis sà »re que votre regard a déjà croisé une de ses illustrations : un délicat trait noir captivant l’attention sur certaines particularités de villes comme Nantes, Amsterdam, Barcelone mais aussi Gotham City. Détails soignés et typographies rétro des années 1960, Jerôme Baillet aka Docteur Paper a un véritable talent. Arrivé à Nantes il y a 4 ans, il travaille désormais pour le Voyage à Nantes et aménage les vitrines de plusieurs magasins comme les Poulettes ou le restaurant Big Fernand. Fragil l’a rencontré au Lieu Unique pour qu’il nous parle de son voyage.
Fragil : Parle-nous de ton parcours ...
Jérôme Baillet : Illustrateur et graphiste indépendant depuis l’âge de 22 ans, c’est un décorateur parisien qui m’a fait confiance. J’ai sauté sur l’occasion et me suis lancé dans la machine de la créativité. Dans ma vie, j’ai trois passions : l’architecture, la typographie et le voyage. Étant donné la grande concurrence artistique sur le marché parisien, c’est à Nantes que j’ai réussi à me faire une place. Un coup de cœur, car c’est une ville qui est en pleine expansion et qui a soif de création. Le point de départ a été paper toy que j’ai créé à la fac d’Arts plastiques. L’erreur brute au stylo sur le papier qui est un matériel noble a toujours été un rendu que j’ai voulu mettre en avant dans mon travail.
Dans ma vie, j’ai trois passions : l'architecture, la typographie et le voyage
Fragil : Quelles sont tes différentes étapes de création ?
Jérôme Baillet : Ma plus grande inspiration, je la trouve dans mes voyages : à chaque destination, je m’installe et commence à faire des croquis, des photos des endroits qui me plaisent. Je m’intéresse aux bâtiments, à leurs formes et leurs couleurs, tout en y greffant ma vision personnelle. J’emmagasine le plus d’informations possible. Une fois rentré à Nantes, je m’installe sur la table rétroéclairée et essaie de remettre le tout en ordre sur mon format A4. Cela peut paraître petit, mais j’aime travailler sur les détails minutieux. J’ajoute toujours des petites anecdotes et un lettrage qui correspond à la ville. Pour Amsterdam, par exemple, j’ai fait des recherches sur la typographie des Pays-Bas : très droite et germanique. Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte, mais c’est un travail qui demande beaucoup de temps, où la recherche est très importante. Heureusement d’ailleurs, car c’est très enrichissant culturellement. Je m’inspire en visitant des expositions, en lisant des bouquins sur la typographie à travers les âges et l’architecture des pays. Lors de l’élaboration, je n’y arrive pas toujours directement, bien sûr, j’essaie de ne pas abandonner, alors lorsque je bloque sur quelque chose, je mets de côté et me concentre sur un autre projet professionnel ou personnel. Ensuite, je retouche sur Photoshop, soit pour nettoyer une trace de doigt ou de stylo, soit pour changer le bâtiment de place.
Fragil : Quels sont tes projets principaux ?
Jérôme Baillet : Lorsque je suis arrivé à Nantes, j’ai commencé à travailler avec l’agence Decodheure qui m’a fait confiance. Je me suis lancé dans les fresques de la cantine numérique et le Voyage à Nantes, qui m’a beaucoup inspiré. C’est l’occasion de croiser des œuvres d’artistes internationaux ; comme Nymphea de Ange Leccia, mais aussi des associations comme la Villa Ocupada, qui a regroupé 19 artistes pour repeindre 2000 mètres carrés de murs. Je m’occupe beaucoup de vitrines de magasins comme le concept-store Les Poulettes. Je me mets à la place du client et j’essaie de créer un univers qui lui donnera envie de rentrer. Dernièrement, j’ai participé à la quatrième édition de Art to Play, une grande fête qui s’intéresse à la culture geek (culture pop, jeux vidéo et mangas). J’entre dans un registre futuriste en illustrant la ville de Blade Runner à Los Angeles et Gotham City. Dans chacun de ces projets, ce qui m’intéresse, c’est le travail artisanal, le mélange de culture et surtout les rencontres.
Fragil : Être graphiste indépendant, est-ce facile à gérer ?
Jérôme Baillet : Au début, j’ai eu du mal à m’organiser parce que je n’avais pas l’habitude de mettre mon nez dans les papiers administratifs. Ensuite, le problème majeur, c’est que nous ne sommes jamais à l’abri d’une absence de projet et donc de rentrée d’argent. Nous n’avons pas d’autres choix que de se jeter dans la foule et c’est pour moi, une source de motivation. Il faut savoir gérer son temps. Avant, je m’obligeais à avoir un rythme de salarié, mais ce n’est pas parce que tu n’es pas devant ton ordinateur ou ton papier que tu ne vas pas avoir de résultat. Des fois, j’ai l’impression de ne pas assez produire alors du coup je me mets la pression. Or, si tu te concentres trop sur quelque chose, tu finis par péter les plombs. Lorsque je n’aboutis pas à mon but, je bascule sur un autre travail afin de penser à autre chose et de le faire plus sereinement.
Fragil : Est-il indispensable d’être présent sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram ?
Jérôme Baillet : Pour moi, c’est indispensable ! Sans vraiment connaître le réseau social Instagram, j’ai commencé à publier des photos de mes premières illustrations. Dès lors, Little Wokyo, une chaîne de restauration nantaise m’a contacté pour refaire son menu. J’ai aussi été contacté par des personnes de New York et Londres. Je devrais être un peu plus présent, mais je publie moins de choses sur Facebook alors que c’est un très bon moyen pour avoir des contacts dans le milieu. Behance est un site internet qui permet aux graphistes de publier leurs dessins. Même si c’est un bon moyen pour se faire connaître, j’ai un peu d’appréhension, de peur d’être copié.
Ils ne se rendent pas compte que réaliser un logo est un vrai travail qui demande beaucoup de recherches
Fragil : Quels sont les conseils que tu pourrais donner aux graphistes en herbe ?
Jérôme Baillet : Aujourd’hui, il faut savoir se faire reconnaître. Il faut rencontrer les bonnes personnes, celles qui te donnent du travail. Certains clients ont tendance à tirer les prix vers le bas. Ils ne se rendent pas compte que réaliser un logo est un vrai travail qui demande beaucoup de recherches. Si tu n’as pas de logo, tu n’as pas d’entreprise. Je trouve la situation aberrante, ce qui nuit à la créativité et au métier de graphiste. Cela me fait penser au Tumblr graphiste gratuit qui explicite bien notre situation. Bien sûr, lorsque l’on débute, il faut savoir faire des concessions, car si un client vient vers toi, c’est qu’il est possible d’évoluer. En ce qui me concerne, je fais des concessions sur les prix lorsqu’il y a un bon feeling. Une fois que l’on a compris ça, il ne faut pas se laisser faire et oser imposer ses tarifs.
L'art permet de soutenir ou de contester une cause
Fragil : Peux-tu me citer deux artistes qui t’inspirent ?
Jérôme Baillet : Personnellement, je n’ai jamais été inspiré par l’art que l’on te dicte sur les bancs de l’école. Le graffiti et les pochoirs ont été ma première source d’inspiration. Les deux artistes qui m’inspirent le plus sont probablement Banksy et Shepard Fairey aka Obey. Même s’ils sont connus dans le monde entier, je ne pense pas qu’ils se considèrent comme des artistes, car c’est bien plus qu’un métier, c’est une réelle passion. Aujourd’hui, on résume l’art à ce qui est beau, ce qui se trouve dans les galeries. Mais pour moi l’art permet de soutenir ou de contester une cause.
Propos recueillis par Maud Wagnier
Crédits photos : Docteur Paper
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