
Sociale et solidaire, l’économie 2/4
Altermondes : le premier média en société coopérative d’intérêt collectif
Comment trouver sa place dans le paysage médiatique et un contexte morose en tant que média solidaire ? La revue Altermondes poursuit dans son optique de média humain en transformation l’association en société coopérative. David Eloy, rédacteur en chef de la revue, apporte quelques éclairages sur le fonctionnement d’Altermondes et cette transition en société coopérative.
La revue trimestrielle Altermondes aborde, depuis presque dix ans, des questions liées à la solidarité internationale, et cherche des réponses aux problématiques actuelles dues aux limites de la mondialisation. Logement, nourriture, dignité au travail, déchirures familiales, conditions des femmes, discriminations... Altermondes interroge toutes les formes de précarité et porte un regard critique à l’international sur des thématiques qui ne sont pas systématiquement abordées dans les médias traditionnels, ou pas de la façon dont ils l’entendent.
Altermondes compte actuellement 2000 abonnés, la revue est également disponible en consultation dans le réseau RITIMO en France, Belgique et Suisse.
En 2005, lors de sa création, Altermondes était positionnée sur un secteur de niche, première revue associative avec un caractère de solidarité internationale à prendre place dans le domaine médiatique. Depuis, les initiatives se multiplient, certaines organisations développent un magazine en interne pour communiquer sur leurs actions telles que le secours catholique (avec Messages), le secours populaire (avec Convergences), le CCFD (avec Faim Développement Magazine). Signe que les solidarités internationales rencontrent un lectorat. Quand des organisations de solidarité internationale cherchent à valoriser leurs actions, Altermondes informe, et « conserve son aspect atypique en restant le seul média collectif a volonté de toucher un public large », c’est-à-dire pas seulement les membres adhérents l’association, selon David Eloy, rédacteur en chef d’Altermondes.
Une vision de l’information sortant des sentiers battus
un média doit exister en tant que passeur d’information, [...] qui fait le lien entre le lecteur et la source. Un média, au sens strict du terme
L’aspect de solidarité et de citoyenneté s’inscrit à plusieurs niveaux dans la revue : dans un premier temps « par son contenu reflétant le monde tel que [les acteurs d’Altermondes] ont envie de le montrer, un monde dans lequel il y a des problèmes mais où naissent des initiatives citoyennes pour trouver des solutions ». Un média qui est solidaire également dans le fonctionnement, la façon de faire l’information, « ce sont des journalistes mais aussi des acteurs de la société civile », des correspondants à travers le monde qui travaillent en collaboration avec la rédaction permanente. Pour finir, Altermondes est solidaire jusqu’à « la gouvernance même du média : la structure est pilotée par des journalistes, des associations, des syndicats et ses lecteurs », nous affirme David Eloy.
David Eloy estime qu’« un média doit exister en tant que passeur d’information, avec son identité propre mais qui fait le lien entre le lecteur et la source » et où le journaliste et le média « ne se mettent pas en scène ». Un média, au sens strict du terme. Considérant que « l’information n’est pas la propriété des journalistes » mais que chacun peut en produire, Altermondes s’inscrit dans une logique d’accompagnement, de transmission de connaissances et de compétences : les règles, les techniques qu’il est nécessaire de maitriser pour créer un contenu journalistique pertinent. Puisque chacun « a intérêt que des médias de qualité existent », il semble important que ceux qui le veulent puissent investir le milieu. Dans cette optique, Altermondes forme des jeunes de tous horizons aux pratiques journalistiques, en France, mais également à l’étranger (en particulier dans les pays du Maghreb) comme le présente le numéro Hors-Série n°16 concernant les médias citoyens.
Trouver sa place dans un contexte de crise de la presse
Ce sur quoi David Eloy mise pour continuer d’exister dans le paysage médiatique, c’est un lien fort avec son lectorat. Il le considère comme un soutien, « fidèle et qui se reconnait » dans l’information produite : « aborder l’information différemment en travaillant non seulement pour les gens, mais surtout, avec les gens. Ils sont à la fois les sources et le public ».
Le rapport à l’engagement et au changement positif convainc de plus en plus. On constate une envie de changement, de solutions, de voir les choses bouger
Si certaines observations nous poussent à croire que le « chacun pour soi » en France prend de l’ampleur, David Eloy soutient qu’il faut « lutter pour que l’information qui circule n’entretienne pas le modèle dominant qui joue sur les cordes de la peur, l’austérité, le fatalisme ». Le grand public, sans parler de militer, se sent concerné par ces problématiques et « veut être au courant de ce qui est fait en terme de dynamiques de solidarité, connaître les alternatives pour se positionner et peut-être s’engager ». Dans le contexte de crise économique actuel, la tendance peut être à considérer que les initiatives engagées par les politiques ne répondent pas aux problèmes que les individus subissent (taux de chômage, défiance vis-à-vis du gouvernement et du président). C’est pourquoi certains sont tentés de s’en remettre à eux-mêmes et se tourner vers des fonctionnements dits « alternatifs ». Le rédacteur en chef d’Altermondes confirme : « le rapport à l’engagement et au changement positif convainc de plus en plus. On constate une envie de changement, de solutions, de voir les choses bouger ». Il complète : « chacun a intérêt à entendre des voix dissonantes, les médias ont pour responsabilité de nourrir la réflexion, pas de fournir du prêt-à-penser ».
Créer et proposer un contenu pertinent et surtout différent, par lequel les lecteurs se sentent concernés, autant d’ingrédients qui sont, selon D. Eloy, nécessaires à l’élaboration d’une revue de qualité, qui fonctionne, et c’est ainsi que « le média trouve sa légitimité, son existence ».
La rencontre des valeurs et d’un modèle économique : de l’association à la SCIC
Altermondes poursuit aujourd’hui dans la « singularité » en devenant le seul média français à adopter le statut de société coopérative. Plusieurs raisons ont poussé l’association à prendre la décision d’évoluer en SCIC (société coopérative d’intérêt collectif), nourrissant des convictions propres et justifié par des raisons économiques).
Un média participatif :
Altermondes souhaite toucher un public nouveau et plus large : « ne vivant non pas de subventions mais de ses abonnements et de sa vente, il faut pouvoir développer des stratégies économiques et commerciales pour se faire connaître et que les gens s’abonnent ou achètent les numéros ». C’est ce en quoi le statut d’association est limité : « les investisseurs sont frileux et osent peu collaborer avec des associations. Il est plus aisé de les convaincre et de lever des fonds en tant que société coopérative ». De même pour les syndicats et les journalistes, qui sont plus à l’aise à adhérer à une société coopérative qu’à une association.
chacun a intérêt à ce que des médias indépendants et de qualité existent
Une gouvernance démocratique :
Tout cela traduit entièrement les principes et le mode de fonctionnement d’Altermondes, à savoir une logique de multi partenariat, faire collaborer des acteurs de nature très différente. Se convertir en SCIC était une façon d’évoluer vers un statut plus adapté tout en conservant les valeurs qui leurs sont chères : « un mode de gouvernance coopératif permettant de réunir autour d’un projet commun à la fois des journalistes professionnels, des salariés, des organisations de la société civile, des collectivités territoriales…et les lecteurs ». David Eloy ajoute que « chacun a intérêt à ce que des médias indépendants et de qualité existent » et, en adoptant un statut de SCIC, chacun peut participer, c’est une manière d’aller véritablement plus loin et de « renforcer l’ancrage dans les valeurs portées par l’ESS. »
La campagne pour inciter le public à adhérer à Altermondes en cours ouvre les portes du média sur le plan décisionnel. La pluralité des acteurs apparait ici comme source de neutralité, d’objectivité, mais dans les faits, est-ce réellement possible de maintenir une gouvernance démocratique avec un nombre quasi illimité de contributeurs ? Le Canard Social à Nantes a fait l’expérience d’un média spécialisé dans le domaine social, journal en ligne pour qui la solution de circuit court n’a pas fonctionné. Au mois de septembre, la revue Altermondes sera disponible en kiosque, un pas qui n’est pas toujours évident à franchir. Si certains titres de presse connaissent des difficultés dès le début des années 80, l’ensemble de la presse fait face depuis 15 ans à une crise sans précédent. En France, sur 30 quotidiens nationaux, seulement 7 sont aujourd’hui encore en vente dans les kiosques, et il est légitime de se questionner sur les modèles économiques qui sont viables aujourd’hui : certains comptent sur Internet pour trouver un nouvel élan, plusieurs titres comme des pure player s’appuient sur la cotisation seule de leurs lecteurs, d’autres misent sur une information de qualité et en marge des médias traditionnels.
Marie Lebreton
Crédit photo : Camille Millerand (portrait)
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