
Sociale et solidaire, l’économie 3/4
ESS : "La France et l’Italie auraient intérêt à dialoguer, à échanger. Les deux modèles sont intéressants et complémentaires"
Interview d’Andrea Paracchini, journaliste italien
L’émergence de multiples structures (associations, coopératives, mutuelles…) liées au développement durable, à la solidarité internationale, à l’intégration sociale se multiplie. Le développement de filières universitaires, la création d’un ministère de l’ESS en 2012 en témoignent. Comment se place la France par rapport à l’Europe ? État des lieux sur la situation dans l’hexagone, et un regard sur l’Italie.
Pour nombre de personnes, l’économie sociale et solidaire reste un concept assez flou qu’il semble important de redéfinir. Elle trouve ses fondements dans trois principes de base :
Initiatives ayant un objectif d’utilité sociale
Basée sur une gestion démocratique et égalitaire
N’ayant pas pour un objectif premier la lucrativité
L’Union européenne intègre, depuis 2001, les « indicateurs Laeken », définissant la qualité de travail sur multiples critères (égalité homme-femme, épanouissement, qualification et qualité de l’emploi, insertion, flexibilité, santé et sécurité, formation…
Andrea Paracchini, journaliste italien spécialisé dans le développement durable et l’ESS, auteur de l’e-book « La revolution dei colibri » dans lequel il s’est penché sur huit initiatives françaises liées à l’ESS, qu’il serait intéressant d’exporter en Italie. Rédacteur au sein de la revue Altermondes, il a également publié en pour d’autres médias italiens et français tels que Libération, BastaMag, Le Parisien, Le Nouvel Économiste, L’Express… Observant l’ESS sur son territoire et en France depuis quelques années, Andrea Paracchini éclaire Fragil sur la situation en Italie.
Fragil : En Italie, quelle image revêt l’ESS dans l’opinion publique ? Le grand public y est-il largement sensibilisé ?
Le mouvement coopératif avait perdu de sa vitesse et de son pouvoir, mais la crise est l’occasion de réémerger en proposant des modèles plus efficaces que le modèle financier actuel, déconnecté de la réalité
Andrea Paracchini : En Italie, la situation est un peu sclérosée, le mouvement a vieilli, l’innovation a perdu de son pouvoir. Le modèle est quelque peu dévoué, détourné de ses principes d’origine, la situation assez ambigüe avec le pouvoir empêche l’innovation de sortir et entraine la présence de coopératives de façade, qui n’en ont plus que le nom (comme le Crédit Agricole en France). Il existe tout de même des exceptions, comme les GAS ou des initiatives dans le BTP (c’est une coopérative qui a creusé le tunnel Lyon Turin). En France, si le mouvement d’économie sociale a connu des bas, aujourd’hui l’emploi social a de plus en plus de visibilité. Le mouvement coopératif avait perdu de sa vitesse et de son pouvoir, mais la crise est l’occasion de réémerger en proposant des modèles plus efficaces que le modèle financier actuel, déconnecté de la réalité. On s’aperçoit que les coopératives sont plus adaptées, et donc leur image est plus valorisante et on constate une effervescence de ces modèles. La dimension entrepreneuriale de l’ESS est moins marquée « gauchiste hippie », « alternative à tout prix », son périmètre s’est élargi aux entreprises des secteurs marchands et donc, fait moins peur.
Fragil : Que peut-on observer comme similitudes entre l’Italie et la France concernant l’ESS ?
Andrea Paracchini : Un bon nombre de choses sont similaires. Concernant l’économie sociale, la France et l’Italie ont un historique commun, la tradition coopérative est très forte dans les deux pays. Les questions sont communes, les réponses parfois similaires. Chaque pays s’est en partie nourri de l’autre : les sociétés coopératives françaises se sont très largement inspirées du fonctionnement des coopératives italiennes (dites de « type A »), reprises avec des détails qui diffèrent bien sûr.
Fragil : Et comme différences, dans le fonctionnement, la mise en place, l’évolution… ?
La France et l’Italie ont un historique commun, la tradition coopérative est très forte dans les deux pays
Andrea Paracchini : Les sociétés coopératives françaises (SCIC et SCOP) proposent de vraies alternatives parfois très ambitieuses comme ENERCOOP, concernant l’énergie, dans un pays où le nucléaire a une main quasi totale. La France fédère beaucoup d’initiatives au niveau local, et si l’une d’elles fonctionne quelque part, on crée une unité et quelque chose nait groupé sous une étiquette commune.
En Italie, c’est difficile voire impossible, si quelqu’un a une bonne idée dans son coin, personne ne vient le voir pour lui dire qu’il aimerait crée quelque chose de similaire, il la copie, avec des caractéristiques un tout petit peu différentes. Des coopératives d’énergie très puissantes et qui ont un lien fort avec le politique sont en place depuis la fin du XIXème (donc totalement une autre époque) ont obtenu d’inscrire leur modèle dans la loi. Aujourd’hui pour être coopérative énergie en Italie il faut obligatoirement passer par elles et adopter leur modèle, ce qui est un obstacle au développement de mouvements d’une envergure telle qu’ENERCOOP en France.
En Italie, il n’existe pas de « superstructure » qui lie et fédère toutes les actions citoyennes, certaines organisations ont un lien fort avec le politique, d’autres pas. L’esprit italien reste très traditionnel, familial, et garde les stigmates de la division entre coopératives rouges et blanches (ndlr : clivage historique, issues des ligues syndicales italiennes du début du XXème siècle, les coopératives rouges sont jugées « communistes » et les blanches « chrétiennes »). Il est difficile de voir émerger un mouvement ou une initiative d’envergure nationale telle qu’ENERCOOP ou Terre de Liens (collecte l’épargne des Français pour acheter des terres agricoles et les mettre à l’abri de la spéculation en vue de louer ces terres à des baux modérés à des agriculteurs bio/durables).
Fragil : En quoi chaque pays devrait s’inspirer de son voisin ?
Andrea Paracchini : Il existe des initiatives en France qui n’existent pas en Italie qu’il serait intéressant d’exporter, et vice versa. En Italie, il existe les GAS (groupements d’achats solidaires) sur le même principe que les AMAP en France, sauf que les thématiques sont plus vastes : chaussures, vêtements, panneaux solaires… La consommation (avec dialogue direct, circuit court) est abordée de façon plus globale. Le mouvement GAS est le seul mouvement citoyen qui a une couverture nationale. Quelques années plus tard naissent en France les AMAP, qui répondent surtout à un intérêt personnel de manger des produits sains et produits de façon raisonnable, favoriser un circuit court. Le principe fonctionne bien, il serait intéressant d’étendre les possibilités comme en Italie.
La France et l'Italie auraient intérêt à dialoguer, à échanger. Les deux modèles sont intéressants et complémentaires
Autre exemple, en France l’insertion économique est pensée dans une logique de tremplin qui s’adresse à des jeunes en difficultés ou aux chômeurs (autrement dit, des personnes peu éloignées du circuit du travail), c’est un sas qui permet d’ouvrir d’autres portes, celles du marché classique de l’emploi. Le problème c’est qu’en période de crise, on est propulsé vers un marché où il n y a pas d’emploi, donc c’est un retour à la case départ. En Italie, les coopératives sociales sont très tournées vers l’insertion, le fonctionnement est différent. Tant qu’on est dans une situation de difficulté, on reste dans la coopérative. La cible est plus large (handicapés, victimes de troubles mentaux, personnes en détresse de façon générale). Le principe est qu’on peut travailler toute sa vie dans une coopérative sociale en Italie.
Les deux pays auraient intérêt à dialoguer, à échanger. Les deux modèles sont intéressants et complémentaires, et mériteraient d’être développés chez son voisin : le modèle français n’est pas très efficace en temps de crise et l’Italie a besoin de tremplins pour ceux qui sont peu éloignés de l’emploi.
Fragil : À Nantes nait le Solilab, rassemblant un grand nombre d’acteurs de l’ESS nantaise, existent-ils des structures similaires en Italie ?
Andrea Paracchini : En 2008, il y a eu une expérience semblable à Rome nommée « la cité de l’autre économie » qui réunit des acteurs de différents milieux : évènementiel, restauration, information énergie… mais qui ont comme valeurs communes celles de l’économie sociale et solidaire. Un peu comme un « centre commercial de l’ESS » avec des salles en commun de conférence par exemple. L’initiative était étonnement soutenue par la mairie de Rome. C’était un lieu très innovant à ce moment, qui a connu des difficultés, mais qui persiste et s’avère être une dynamique très positive, entre autres pour la visibilité du grand public.
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Que ce soit en Italie ou en France, l’économie sociale et solidaire occupe une place importante. Et pourtant, il y a encore des progrès à faire : en jetant un œil sur les pratiques de nos voisins européens, on s’aperçoit que chacun aurait intérêt à s’y pencher plus attentivement : une résolution déjà en marche, l’Union européenne ayant initié des études sur les pratiques en Europe en vue d’une plus grande homogénéité.
Interviews réalisées par Marie Lebreton
Sources :
Se former à l’économie sociale et solidaire (economie.gouv.fr)
L’économie sociale et solidaire (CNCRES)
Carnet de route de la vie en coopérative sociale dans le nord de l’Italie (.pdf)
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