
Dossier sur le genre 9/15
«  Les règles de base de la galanterie ont évolué  »
Interview du docteur Abdel Halim Boudoukha
La galanterie signifie-t-elle encore quelque chose en 2014 ? Fragil est allé poser la question du côté de l’université de Nantes. Dr. Abdel Halim Boudoukha, maître de conférences en psychologie clinique et pathologique, nous offre son analyse. Interview.
Fragil : Comment définissez-vous la galanterie d’un point de vue psychologique ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : On a tendance à penser la galanterie comme un rapport de domination de l’homme sur la femme. La galanterie étant la manière dont l’homme doit se conduire avec le sexe dit faible. Bien entendu, ce rapport de domination-soumission n’a de sens que dans une société donnée à un moment donné. Si on reste dans le cadre de la société française, la galanterie comme concept apparaît dès le XVe siècle - on pense à la figure du gentilhomme - et va se développer sur ce schéma jusqu’au XXe. On définit alors la galanterie comme un ensemble de règles que l’homme doit adopter vis-à-vis de la femme.
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Fragil : Concrètement, ça donne quoi ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : On permet à la femme la jouissance d’un passage, on lui permet de s’assoir à une place privilégiée, on va engager la conversation de manière moins familière avec elle, etc. Tout un ensemble de règles qui découlent de l’idée d’une supposée faiblesse, notamment sur le plan physique, de la femme.
"La galanterie est aussi un moyen de cadrer le désir sexuel de l’homme vis-à-vis de la femme"
Fragil : Qu’est-ce qui explique l’apparition de la galanterie ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : À partir du XVe, les rapports homme/femme sont plus présents dans une société où il y a de moins en moins de cloisonnement. Initialement, les liens entre les deux sexes sont pour l’essentiel conjugaux et familiaux. Puis progressivement vont se développer des liens interpersonnels. La galanterie est un moyen de légaliser et de réguler un rapport qui se construit. C’est aussi un moyen de cadrer le désir sexuel de l’homme vis-à-vis de la femme.
Fragil : Vous dites que ce schéma se prolonge jusqu’au XXe siècle…
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Oui, car jusque-là, au regard du droit, la société considère la femme comme un être inférieur. On peut schématiquement placer la césure après la Seconde Guerre Mondiale avec l’accès à la citoyenneté, la libération de la femme, l’apparition des mouvements féministes... Cette évolution ne va pas gommer les inégalités, mais elle induit petit à petit un rapport différent. D’un point de vue psychologique, on passe d’un rapport de domination pure à un rapport de différenciation. La femme est toujours différenciée parce que biologiquement différente, mais la domination s’atténue.
Fragil : Quel sens donné alors à la galanterie à travers ce nouveau rapport ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Justement, la galanterie pose question, car elle est héritée d’un positionnent supérieur/inférieur. Mais aujourd’hui, on peut avoir d’autres significations. La différenciation qu’induit la galanterie est-elle forcément une différenciation de supériorité/infériorité, ou est-ce une différenciation qui vient signifier que deux éléments ne partagent pas les mêmes caractéristiques ? Sans pour autant que l’un des sexes soit forcément meilleur ou plus fort que l’autre.
Fragil : Selon vous, il y aurait donc une nouvelle forme de galanterie ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Ce sont les règles de base de la galanterie qui ont évolué. Aujourd’hui, on n’est plus censé être dans un rapport de domination de par le nouveau message qu’envoie la société. Mais cela ne nous empêche pas d’interroger les pratiques de galanterie. Derrière la galanterie peuvent se cacher plein de choses. Ce peut être par exemple un moyen d’attirer l’attention, une forme de séduction. D’autres pratiques sortent du cadre de la galanterie pour entrer dans le champ de la politesse. Exemple : si un jeune homme cède sa place à une femme âgée dans le bus, on n’est plus dans de la galanterie. Mais qu’en est-il si l’homme est âgé ? L’acte est le même, mais là c’est l’âge qui entre en compte.
Fragil : Après tout, ne peut-on pas considérer la galanterie aujourd’hui simplement comme une forme de politesse ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : On pourrait la définir comme un ensemble de règles de politesse dans les rapports interpersonnels entre homme et femme. Car la finalité reste le rapport homme/femme.
Fragil : La galanterie comme vecteur de séduction, comment ça marche ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que la galanterie a toujours été organisée selon un jeu de séduction. Simplement avant, c’était une séduction de domination - on va indiquer que la femme est plus faible -, alors qu’aujourd’hui c’est davantage une séduction de différenciation - on va au contraire la valoriser -. Dans la pensée d’un homme aujourd’hui, le fait d’être attentif et prévenant vis-à-vis d’une femme, c’est lui montrer qu’elle a une importance. C’est lui signifier le ressenti, l’attraction qu’on peut avoir pour elle. »
Fragil : Est-ce que ce n’est pas un peu trop schématique, un peu simple, que de dire « avec l’émancipation de la femme, on passe de la domination à la différenciation, voire la séduction » ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Il n’y a pas de dichotomie ferme. Mais il y a un fait : considérer la femme comme un sexe faible est devenu contradictoire avec une société qui établit qu’hommes et femmes sont égaux.
Fragil : Sur le papier…
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Oui, mais aussi en termes de droits. Ce n’est pas que sur le papier. Cela influe sur la psychologie des rapports. Le droit, qui vient légiférer et donner une lecture des rapports homme/femme, est clair sur cette question-là. Ce qui n’était pas le cas il y a un siècle où la société envoyait comme message que les femmes étaient inférieures.
Comment intégrer la question du Genre dans ce rapport homme/femme, constitutif de la galanterie ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : La question du Genre vient inscrire une complexité supplémentaire. Ce n’est pas parce qu’on a un sexe biologique qu’on est convenant avec ce sexe. On peut être un homme physiologiquement et se sentir femme sur le plan psychique. Et inversement. Cela va créer forcément des méandres dans les rapports homme/femme comme définis par la société, et donc dans la galanterie. Le schéma de la différenciation est alors bouleversé. Mais il peut l’être sans qu’on aborde cette question du Genre. Une femme considérant qu’elle est l’égal d’un homme sur le plan du droit peut très bien refuser toute forme de différenciation dans ces rapports avec l’autre sexe.
Qu’est-ce qui fait qu’en 2014, la galanterie existe toujours ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : La transmission, l’habitude. À la différence qu’avant, c’est la société qui transmettait cette notion de galanterie axée sur la domination. Aujourd’hui, on est plus dans le cadre d’un héritage parental alors que la société, elle, nous parle d’égalité des sexes . Le rapport avec l’autre sexe et la signification de la galanterie vont directement découler du modèle parental. C’est aussi ce qui explique la diversification des sens que l’on donne aujourd’hui à la galanterie.
"La galanterie n’est plus une manière de signifier à la femme qu’elle fragile, mais plutôt à l’homme qu’il est encore fort"
La pratique de la galanterie est-elle donc plus individualisée aujourd’hui ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Oui. Elle suit l’évolution de notre société en ce sens qu’elle sert plus à valoriser une personne précise. Certaines femmes vont demander encore aujourd’hui qu’on soit plus galant avec elle. L’idée, derrière, c’est : quelle attention peut-on porter à moi ? Dans une société individualiste, ce peut être une manière narcissique de se valoriser. Mais dans ce cadre, la galanterie est moins une valorisation des femmes que de la personne en tant que telle. Une valorisation du « moi ». C’est l’individu qui s’exprime et non la catégorie.
La galanterie aurait donc fini de véhiculer le cliché sexe fort/sexe faible ?
Dr. Abdel Halim Boudoukha : Non, pas forcément. On peut toujours s’interroger sur la galanterie comme vecteur d’une image virile. La réflexion, même si elle est plus individualiste, plus narcissique, peut tout de même renvoyer à ces clichés. On peut imaginer que la galanterie n’est plus une manière de signifier à la femme qu’elle fragile, mais plutôt à l’homme qu’il est encore fort.
Propos recueillis par Pierre-Adrien Roux
Illustrations : Georgina Belin
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