
Ce soir-là un poête...
... Ã la Barakason
Lorque la Barakason réouvre ses portes, c’est en « fanfare  » avec une programmation de choix : La Foire aux Chapeaux, Anda, Lo’jo (en trio) et les Slonovoskibal. Après vingt ans de tournée, la création du Festival du Désert, et des voyages sur tous les continents, Lo’jo revient en trio avec leur dernier album « Ce soir-là  ». Un album fort comme ils savent les faire, avec des mélodies douces-amères, des textes imagés et des voix touchantes...
Un peu impressionnée, je cherche le chanteur charismatique de Lo’jo, Denis Péan... Presque insaisissable, c’est derrière la scène que je le retrouve... Gentiment, il accepte mon interview et me parle très doucement en pesant chaque mot. Très vite, je me prends au jeu, c’est pas grave, on a le temps...
Fragil : Après 20 ans de tournée, quels sont vos plus beaux souvenirs, les plus belles images que vous gardez ?
Denis Péan : J’aime chaque journée qui passe, celles qui sont difficiles et tout ce qui n’est pas réussi...Ce qui dépayse laisse des traces plus fortes. Quelques tournées dans le désert ont été très marquantes, des moments historiques même dans notre vie...
F. : Vous avez tourné sur les cinq continents, quel regard portez-vous sur la scène musicale française actuelle ?
D.P : Euh...Beaucoup de choses ont changé, l’oreille des gens a évolué. Il y a vingt ans, quand j’ai commencé, les gens n’étaient pas si éveillés aux musiques différentes, ils en avaient beaucoup moins l’occasion. Maintenant, on peut écouter beaucoup plus facilement de la musique qui vient d’Afrique, du Maroc, de l’Inde, d’Europe centrale ou de Jamaïque. L’oreille des gens se développe, elle devient plus sensible. Ils sont plus tolérants et écoutent plus facilement des choses différentes. Ils peuvent passer d’un petit récital de poésie et deux heures plus tard aller danser dans une rave, apprécier aussi facilement un moment qu’un autre !
F. : Vous pouvez me parler de vos débuts avec la compagnie Jo Bitume ?
D.P : J’habitais Angers et eux n’avaient pas beaucoup d’activités musicales à l’époque. La ville était assez austère et nous n’avions pas vraiment de lieux pour nous guider, pas vraiment de salles de spectacles, de régie, ni d’agence ni de formation pour les artistes, les techniciens. C’était une petite ville dans laquelle on tournait facilement en rond, on était marginalisé. La compagnie Jo’Bitume en 88 nous a fait la proposition magnifique de partir en tournée avec eux. Nous n’avions jamais bougé de chez nous et on a tout à coup trouvé l’occasion d’un voyage... D’un grand voyage puisque on a tourné partout en Europe avec des moments privilégiés en Pologne. Ce premier grand voyage nous a donné à jamais le goût de voyager. A l’époque, on était en camion, en caravane, on a appris la vie communautaire, professionnelle. On avait encore jamais gagné de l’argent en faisant de la musique. On avait jamais côtoyé un grand public de rue, c’est-à-dire les enfants, les vieux, le VRP qui passe par hasard ici, le baba cool du coin, le réfractaire, la vieille dame, y’avait tout...Jo’ Bitume nous a donné le goût du voyage et leur vie en communauté était plus aboutie que la nôtre ...plus raisonnable....
F : Quelles étaient vos influences musicales ?
D.P : Le groupe était informel, c’était un petit cercle d’amis. Des gens entraient, des gens sortaient. On avait une obsession, c’était de faire notre propre musique, de faire quelque chose qui nous ressemble. Il y a quelques années, il m’est même arrivé de ne plus écouter de musique pour me plonger dans ma propre imagination. C’est un réflexe un peu extrême mais c’est ce que j’ai fait pour trouver les ressources dans moi-même et racler jusqu’au fond de ma petite histoire...
F : Vos textes sont plein d’images, de métaphores, de figures de style... Vous puisez l’inspiration dans vos voyages ? Dans les gens ?
D.P : Je m’entraîne à l’écriture depuis 14 ou 15 ans. C’est ma première passion d’essayer d’écrire parce que c’est un long parcours jusqu’à maintenant... Ecrire, c’est comme apprendre à marcher, on tombe beaucoup avant de pouvoir se tenir debout. Après, appliquer la poésie à la chanson, c’est une autre affaire... Pour ce qui est des images poétiques, des métaphores, des paraboles, le voyage m’a inspiré beaucoup, c’est sûr mais j’ai écrit avant de voyager : la vie des gens, le quotidien, les formules qui naissent de l’absurdité d’une situation ou d’une incompréhension mais j’aime le langage des enfants... Moi-même, je suis resté un pied dans l’enfance, les mots des jeux d’enfants sont extraordinaires, lorsqu’ils se livrent en toute liberté à l’usage des mots... Ce que je retrace aussi, c’est la vie des gens , ce que je connais, ce qu’on me dit, ce qu’on me glisse à l’oreille dans des situations miraculeuses du quotidien... Je prends aussi quelques fois des phrases de poètes. Ce soir, j’ai cité Pedro Abaya qui est un poète gitan qui a une écriture très naïve. Un autre homme, plus complexe, Malcolm de Chazal, un écrivain mauricien, tout à fait marginal et original. J’ai dit aussi une phrase d’Yvan Thomas que j’aime beaucoup, et une poésie en espagnol d’une poétesse cubaine.
Fragil :Tu te nourris beaucoup des écrivains donc ?
D.P : Ouais, de la parole vivante aussi. Après avoir voyagé dans des pays où la langue française est utilisée d’une façon particulière et détournée, particulièrement en Afrique. Les habitants francophones ont un usage du français tout à fait inédit, des assemblages qu’on oserait pas faire qui sont surprenants, merveilleux ou drôles.On est allé plusieurs fois, en Réunion aussi et la langue des créoles nous a attendrie.
Fragil :Vous avez dit « Lo’jo, c’est la même personne mais à des âges différents ». Y a t il des choses que vous avez vues ou faites qui vous ont fait évoluer musicalement ?
D.P : D’avoir rencontré d’autres musiciens déjà, parce que ma culture était légère, un peu pauvre. J’ai appris à aimer la musique avec le rock. J’ai aimé la transe sonore du rock, la dimension psychédélique, la violence du son, le rythme archaïque. J’ai aimé jouer dans un orchestre, être parmi cinquante musiciens, raisonner avec le corps de bassets, le son du contrebasson, avec les timbales... J’ai aimé le jazz, je l’aime encore, un certain jazz qui m’a semblé être une des musiques les plus créatives du siècle dernier dans son engagement sociale, dans sa volonté, sa détermination à survivre contre vents et marées...
Fragil :Peux-tu me parler des Gangbé Brass Band ?
D.P : Ce sont des amis qu’on a rencontré au Bénin, c’était en 96 ou 97 et on les aimé. Ils viennent du Bénin. On a décidé de produire leur premier disque et de les faire venir en Europe, un peu sur nos traces et depuis ils viennent régulièrement.
Fragil : Quelle est la suite maintenant ?
D.P : Cette année, on s’est consacré à finir un disque qui s’appellera « Bazar Savant »et sortira en janvier, un peu plus tard dans d’autres pays.Comme on avait un peu de temps, on a fait le trio et une chanson avec Anda. C’est un petit programme sauvage, parallèle à Lo’jo qui me plaît. On a aussi quatre sessions à l’hôpital d’Angers. Dans les patios même des malades, on fait des petits programmes acoustiques, une demi-heure, étage après étage... On a travaillé l’année dernière avec une classe de CM1, on a crée une petite chanson et un CD. Là, on continue avec des jeunes filles qui chantent des chants africains. Moi, je travaille avec un centre de jeunes inadaptés. Je voulais faire un atelier d’écriture et je me suis aperçu qu’ils étaient illettrés, mais bon, ça m’empêche pas de vouloir faire quelque chose. L’illettrisme, c’est grave mais pas tant que ça dans le fond, il y a d’autres choses que je ne maîtrise pas et qui feront de moi l’illettré de demain donc, ça ne m’inquiète pas...
F : Quelle question ne vous pose-t-on jamais ?
D.P : Je pense pas à ce que j’aimerais qu’on me pose comme question. Y’en a auxquelles j’ai jamais trouvé de réponses. J’ai la musique pour étendard. Expliquer les choses, c’est moins mon domaine... C’est la question de la vie et de la mort... Tout tourne autour de ça...
Propos recueillis par Sabrina Rousseau
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