FESTIVAL
Sous le soleil de Beauregard
Hérouville Saint-Clair (14) // 5-6-7 juillet
Beauregard, c’est le festival où le public peut s’allonger dans l’herbe pour voir passer sur scène l’une des plus belles affiches de l’été. Fragil y était et vous fait partager ces trois journées d’intense émotion.
Pour sa cinquième édition, le festival Beauregard a renoué avec sa réputation d’ensoleillement et de grande chaleur. Trois jours durant lesquels les deux scènes ont largement dépassé la température extérieure pourtant élevée. De quoi rendre pas peu fier le majestueux château du domaine d’accueillir un tel défilé d’artistes.
Revival ou réchauffé ?
Depuis ses débuts, Beauregard s’est toujours félicité de sortir du placard des artistes qu’on croyait pourtant depuis le temps embaumés dans le formole dans la crypte du château. Que nenni. Après Iggy Pop, ZZ Top et Motörhead, l’édition 2013 nous a déterré d’outre-tombe les Smashing Pumpkins et New Order. Impression somme toute pas si désagréable de voir se manifester sur scène le tube Blue Monday sorti il y a trente ans tout pile. D’une scène à l’autre, le changement d’époque bien que considérable garde une certaine cohérence lorsque retentissent les beats secs et la voix si particulière de Joe Newman, le leader d’Alt-J. A l’heure où la nuit tombe sur Beauregard, le public se retrouve transporté par la folk électro du quartet anglais inspiré par les lectures de Bret Easton Ellis. Et lorsque l’on ressent les premiers frissons c’est uniquement de plaisir, en réponse aux envolées vocales du groupe.
Les cuivres et les cordes de Wax Tailor
Beauregard sait aussi drainer un public large et familial aux multiples générations. Celui-là même venu applaudir le chanteur M, avant de voir officier le Normand et convoité Wax Tailor. Qui, déjà remonté contre les organisateurs de devoir jouer à 2 heures du mat’, a dû s’y reprendre à deux fois avant de pouvoir enfin démarrer son conte hip-hop electro que nous raconte son dernier album, Dusty Rainbow from the Dark. Cela valait pourtant bien la peine d’attendre cette heure si tardive et le voir ainsi jouer sur scène derrière ses platines avec violon, violoncelle et flûte traversière aux côtés des voix de Charlotte Savary et des rappeurs d’ASM et Mattic.
De l’émotion pour Rover à l’emballement pour Gablé
Un mélange expérimental, mais mélodique et abordable, qui a ravi le public de Beauregard dont Kele Okereke, le leader de Bloc Party, ce qui nous fera au moins un point commun avec lui
Après une nuit au final plutôt courte, retour au château où l’on croise dans une conférence de presse un peu molle le chanteur breton, Rover, invité en terres normandes, et qui lui en revanche ne manque pas d’humour. « J’ai des racines bretonnes. Personne n’est parfait... », lâche-t-il sous forme de clin d’œil. La Bretagne, explique-t-il, c’est là où il a trouvé l’inspiration de son album solo après avoir pas mal bourlingué de New York à Beyrouth, qui l’ont aussi inspiré à une époque où il jouait dans un groupe de punk-rock avec son frangin. Le public de Beauregard resta fasciné devant cet artiste à la carrure imposante et à la voix si troublante. (en photo ci-dessus) Et justement en parlant de déchaînement punk, on s’en voudrait de ne pas citer la claque Shake Shake Go avec sa rouquine de chanteuse prise en flagrant délire de défoncer sa batterie. Le ton était donné. Si bien que les locaux de Gablé, originaires de Caen, pourtant un peu fébriles de se retrouver programmés en milieu d’après-midi en ont eu pour leur grade amplement mérité. Gablé, le groupe aux titres de chansons improbables, offre une musique qui l’est tout autant. Un mélange expérimental, mais mélodique et abordable, qui a ravi le public de Beauregard dont Kele Okereke, le leader de Bloc Party, ce qui nous fera au moins un point commun avec lui.
Tout cela nous amène sans crier gare une vague britannique rafraîchissante avec The Maccabees (chanteur ci-dessus) et leur rock mélancolique séduisant laissant un public sous le charme. Avant de céder la place à Jake Bugg que d’aucuns comparent à Johnny Cash étant donné son ADN musical aux sonorités country.
Le village Beauregard
Pendant ce temps-là, la fourmilière s’active à Beauregard. On ne compte plus les aller-retours de caisses immenses remplies d’huîtres normandes des loges du château au catering. Des fûts de bière transportés par chariots élévateurs. Le défilé des voitures officielles qui emmènent les artistes en direction des deux scènes. Ce qui vaudra d’ailleurs à ce pauvre Benjamin Biolay de s’être fait alpaguer à peine arrivé de la scène B pour poser aux côtés d’une quinqua normande. Sans parler de s’enfiler les conférences de presse, les dégustations de rosé, et les réceptions des sponsors privés. La vie de festivalier à Beauregard a parfois des allures de sacerdoce malgré une organisation impeccable.
Ce qui vaudra d'ailleurs à ce pauvre Benjamin Biolay de s'être fait alpaguer à peine arrivé de la scène B pour poser aux côtés d'une quinqua normande
Entre les deux scènes, le festival accueille un vrai petit village local où l’on peut se faire coiffer, maquiller ou se faire poser des mèches. Déguster de succulentes huîtres (il n’y a pas que dans les loges) servies avec du pain de seigle et un verre de blanc. Enregistrer une chanson si ça vous chante dans un vrai studio d’enregistrement. Goûter à des frites de patate douce (un délice trempées dans une mayo pimentée) et à la cuisine jamaïcaine. Se prendre une part de paëlla géante, à moins que vous ne soyez attiré par l’odeur moins exotique des saucisses et des merguez. Les galettes bretonnes sont aussi de la partie. Mais Beauregard sait aussi chouchouter les enfants (l’entrée du festival est gratuite aux moins de 12 ans). Un espace pour tout petits fait office de garderie pendant que les mamans peuvent aller chiner dans les multiples stands de tee-shirts à l’effigie de groupes de rock. Ou bien vers les stands à bijoux orientaux, ou encore à la boutique de sacs et besaces à base de véritables vinyles 33 tours recyclés que confectionne une jeune créatrice caennaise. Beauregard met également l’accent sur la prévention (MST, écologie, audition...) avec des stands d’information et de conseil. On y croise même des lapins à taille humaine (voir ci-dessous) dans une version surréaliste et très poétique d’Alice au pays des merveilles (ce qui sied parfaitement à Beauregard).
Fakear, la découverte à retenir
À l’aube du troisième jour, on se rend compte que finalement Beauregard sera sans pitié. L’ouverture tonitruante de cette journée avec le jeune et très doué Fakear a placé la barre très haut. Plus habitué à jouer à la clôture des festivals en pleine nuit, le Caennais a surpris son monde avec son trip-hop japonisant qui fait songer à Massive Attack. Et si dans deux ans on le retrouvait à Scopitone ? On dit ça, on ne dit rien...
La magie de Balthazar
Les Bretons Juveniles (photo du chanteur ci-dessus) ont quant à eux assuré la relève avec leur pop psyché sucrée entraînante. Fermer les yeux et vous croirez réentendre les Smiths. Une mise en bouche idéale avant que n’entre en scène Balthazar. Ces formidables Flamands pour lesquels on s’enflamme sans réserve avec leurs mélodies entêtantes et la voix de dandy anglais du chanteur (en photo ci-dessous). Le soleil pouvait bien cogner sur le bocage normand, on avait là de quoi se désaltérer.
Skip the humour
Le tournant de la soirée s’est amorcé avec le rock bien énervé de The Hives. Les Suédois n’ont pas failli à leur réputation scénique. Un véritable coup de show emmené par le leader du groupe (en photo ci-dessus) que de qualifier de surexcité serait encore bien loin de la vérité. Pour le coup, Skip The Use (le groupe aux 600 concerts) assurait idéalement l’enchaînement. Bien qu’enrhumé, son chanteur Matt Bastard (en photo ci-dessous) a tenu, en conférence de presse, à remettre quelques pendules à l’heure. Rappelant le dénigrement dont ils avaient fait l’objet par les majors du disque qui refusaient de les signer car catalogués hors format, il a tenu à remercier la presse indépendante présente sur le festival (webzines, radios indépendantes) qui, selon lui, permet aux groupes de rock indé de pouvoir exister en France. Et d’ajouter non sans humour la réponse qu’il a adressée à une journaliste (de Ouest France pour ne pas le nommer) qui lui faisait remarquer qu’il y a des groupes français qui jouent à travers le monde comme Johnny Hallyday (sic !), « je lui ai répondu que Johnny Hallyday remplissait des avions avec des Français pour aller jouer à Las Vegas. Ça coûte un peu cher pour nous. Et qu’il ne suffit pas de chanter en anglais pour pouvoir jouer à l’étranger. »
Fragil à C2C
Au terme de cette 5ème édition, les Nantais de C2C ont assuré la clôture du festival avec une organisation scénique peu habituelle dans leur tournée et qui du coup n’est réservée qu’à quelques dates de concert. Interrogés par Fragil sur l’ampleur du phénomène C2C qui les dépasse un peu, ils ont expliqué leur point de vue sur le sujet (document sonore à écouter en colonne en haut de l’article). À tel point d’ailleurs que les membres du groupe parlent aujourd’hui de retourner à terme chacun dans leur formation d’origine, à savoir Hocus Pocus et Beat Torrent.
John Who ?
Toujours sous la houlette de son mystique châtelain - John - qu’on a vu un peu moins présent cette année (serions-nous à un tournant de comm’ ?), le festival Beauregard qui avait réuni plus de 55 000 visiteurs l’an passé table sur une fréquentation similaire pour cette édition 2013. Le grand mérite de la programmation qu’il est important de signaler tient dans le choix de mettre à l’affiche des artistes locaux comme par exemple Gablé ou Fakear cette année. Par ailleurs, n’oublions pas non plus que ce ne sont pas loin de 800 bénévoles qui font vivre ce festival. Bravo à eux.
Texte et photos : Jérôme Romain
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