
DÉBAT SOLIDARITÉS
Nathan Stern : «  La vraie valeur est dans l’expérience  »
Sommes-nous en train d’assister à une révolution de la consommation ? Celle-ci semble en tout cas se développer de plus en plus autour du partage et des réseaux sociaux : ces pratiques ont été nommées consommation collaborative. Nathan Stern, ingénieur social à Paris, nous explique sa vision du phénomène.
Fragil : Qu’est ce que la consommation collaborative ?
N.S. : C’est un genre catégorique qui permet de rendre compte d’un certain nombre d’initiatives qui ont des traits en communs, qui sont les bénéfices économiques, écologiques et sociaux. La consommation collaborative n’est pas un objet, c’est une idée. Elle s’apparente à une économie du partage, à des plateformes de partage qui donnent des connexions à des gens qui vendent leurs compétences ou leurs biens, ou qui vont à l’étranger dormir chez des gens qu’ils ne connaissent pas par exemple.
Fragil : Depuis combien de temps émerge-t-elle selon vous ?
N.S. : Pour moi on est clairement dans un mouvement qui a commencé avec Ebay, il y a une quinzaine d’années. Ebay s’en tenait aux objets de la vente, donc ici on est pas vraiment dans le cadre de la consommation collaborative mais les objets ont quand même une deuxième, voire une troisième vie. C’est une forme primitive de consommation collaborative puisqu’on partage le bien que l’on a acheté avec des gens quelque part sur la planète. Maintenant nous avons des plateformes spécialisées sur des types de biens, que ce soit des biens matériels ou de la connaissance.
Avant, on faisait confiance aux professionnels, maintenant, on fait confiance à des particuliers sur lesquels on a suffisamment d'informations
Fragil : Quelles en sont les causes et moteurs ?
N.S. : Le développement des réseaux de consommation collaborative est facilité par la mise en place de retours positifs qui donnent confiance : la documentation et notation des profils, les photos, les historiques d’expériences, etc. Avant, on faisait confiance aux professionnels, maintenant, on fait confiance à des particuliers sur lesquels on a suffisamment d’informations. Aujourd’hui on sait encadrer, accompagner une interaction entre deux inconnus. Ce n’est pas vraiment lié à la technique pure, mais plutôt à la technique sociale : ce sont des choses que nous aurions pu faire il y a dix ans mais que l’on avait pas encore découvertes. Techniquement les plateformes de partage sont assez basiques, donc c’est plus une innovation sociale qui est basée sur la régulation de la confiance. On ne savait pas que les gens étaient disposés à faire confiance à des particuliers pour des tâches apparemment professionnelles.
Fragil : L’explosion de ce type de consommation est-elle liée à une certaine envie de solidarité ou est-ce simplement un comportement de crise ?
N.S. : Je ne crois pas que la consommation collaborative soit tirée par la solidarité, vraiment pas. Je crois que les gens aiment bien ce qui est social, ils aiment bien avoir à faire à des personnes plutôt qu’à des marques, et je pense que la crise légitime des comportements qui auraient pu passer pour inappropriés. Les gens ont des compléments de revenu sur des choses qui ne relèvent pas de leur métier et il y a 15-20 ans, cela aurait été perçu un peu comme un déshonneur d’en venir à louer sa voiture. Aujourd’hui c’est plutôt perçu comme malin parce qu’il y a une évolution des valeurs légitimée par le contexte de crise.
Fragil : Vous avez contribué à l’élaboration de plusieurs sites internet (« Voisin-age », « Alter ego » et « Peuplade »), vont-ils dans le sens de la consommation collaborative ?
N.S. : Ce n’est pas de la consommation donc cette expression n’est pas appropriée : la mobilité, la voiture, le partage de biens, etc. relèvent de la consommation, mais le lien avec un voisin ce n’est pas de la consommation. Voisinage n’est pas de la consommation, c’est un mouvement de création de lien, de création de réseaux. Maintenant si on parle du partage, oui évidement, on est dans cette logique du collaboratif.
Fragil : la consommation collaborative, n’est-ce pas un terme un peu compliqué pour simplement évoquer des échanges de services entre particuliers ?
N.S. : C’est surtout très étroit, on parle de consommation collaborative, mais il y a aussi la production collaborative, la création collaborative, la co-création, la vie politique collaborative, la citoyenneté collaborative. La consommation c’est un registre étroit, mais la révolution est sur le collaboratif, sur le partage. C’est une dénomination un peu étroite mais qui a le mérite d’avoir amorcé la prise de conscience sur quelque chose de tout à fait particulier, et maintenant il faut la dépasser.
Fragil : Nous avons testé le site « lamachineduvoisin.fr », qui propose de louer sa machine à laver à d’autres particuliers, cela rentre-t-il dans le cadre de la consommation collaborative ?
la révolution est sur le collaboratif, sur le partage
N.S. : Cela rentre exactement dans le cadre de la consommation collaborative : il y a une ressource qui est mise en partage par celui qui la détient, moyennant un budget dérisoire, moins cher qu’une laverie (NDLR : Après vérification, les prix sont sensiblement les mêmes), au bénéfice du lien social, et qui permet moins de production de machines à laver.
Fragil : Vous avez également travaillé sur un arbre généalogique de la consommation collaborative, quelles en sont les toutes dernières pousses et les prochaines selon vous ?
N.S. : Je pense que ce sera plus lié aux expériences : on va de plus en plus partager ; non pas des biens mais des passions dans le cadre d’expériences. J’ai bon espoir que des gens qui ont une extraordinaire passion vont pouvoir nous proposer des découvertes pour vraiment nous initier et partager leur passion. Et cela dans le champ de la culture, de l’art, et tant d’autres choses. Il y a beaucoup de gens qui ont des choses à partager : la vraie valeur est dans l’expérience.
Valentin Perrois
Crédits photos :
Photo bannière : Vidkili
Photo de colonne : Mairie de Paris
Photo centrale : Anthonin Léonard et Nathan Stern
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses