
DÉBAT SOLIDARITÉS
Philippe Moati : «  la consommation collaborative est appelée à se développer  »
Aujourd’hui, consommer ne suffit plus. Des formes de consommation présentées comme alternatives se multiplient, mettant en avant le côté relationnel : les experts les ont nommées « consommation collaborative  ». Philippe Moati, professeur d’économie à l’université Paris-Diderot et co-directeur de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), nous explique les raisons de ces nouvelles pratiques.
Fragil : Qu’est ce que la consommation collaborative ?
Philippe Moati : Ce sont des formes de consommation alternative qui échappent, aujourd’hui en tous cas, aux circuits marchands ordinaires et qui impliquent en général une mise en réseau des consommateurs. Nous pouvons élargir un peu, et considérer que ce sont les formes de consommation qui sortent des formes marchandes ordinaires. Par exemple, on peut considérer que les AMAP rentrent dans la consommation collaborative même si ce n’est pas une transaction directe entre particuliers, car il y a bien une collaboration entre des particuliers pour conclure un accord avec un agriculteur.
Fragil : Selon vous, depuis combien de temps et à cause de quoi se développe la consommation collaborative ?
P.M. : Ces pratiques sont extrêmement anciennes, quasiment depuis que l’humanité est là. Ce n’est pas nouveau. Ce qui est sans doute nouveau c’est l’ampleur du phénomène, on a le sentiment que c’est en développement. Je dis bien le sentiment car nous n’avons pas d’appareil statistique qui permette de le mesurer sur le long terme. Pourquoi cela se développe ? Parce que nous avons trois facteurs qui se combinent. Le facteur technologique est très important : très souvent ces formes de consommation supposent l’usage d’une plateforme informatique, qui permet de mettre en réseau les consommateurs. Avant l’informatique, la mise en réseau se faisait autrement, souvent sur la base de la proximité géographique, ce qui limitait fortement le phénomène. L’informatique a grandement facilité la mise en réseau et l’a rendue beaucoup plus ludique. À cela s’ajoute des considérations économiques : depuis plusieurs années les Français ont le sentiment que leur niveau de vie se dégrade, et c’est vrai, le pouvoir d’achat diminue. Ces formes de consommation permettent justement de trouver une parade : quand vous vendez des produits d’occasion, quand vous mettez en location des produits qui vous appartiennent, vous récupérez du pouvoir d’achat. Le troisième levier est sans doute la dimension de responsabilité des consommateurs, c’est-à-dire qu’ils cherchent à donner du sens à leur consommation. Très souvent les gens qui font ce genre de choses, au delà de faire des économies, disent que c’est bien pour l’environnement, que c’est une manière plus responsable de consommer, qui par ailleurs permet d’entretenir du lien social. C’est une forme plus humanisée de consommation puisqu’on va entrer en relation avec autrui. Cela redonne un peu de sens à la consommation au delà de son caractère strictement utilitariste et individuel.
Fragil : Le but principal de ces nouveaux modes de consommation serait plus de créer des liens entre particuliers ou une forme de réaction à la crise ?
c'est une forme plus humanisée de consommation
P.M. : C’est vraiment un cocktail, chaque individu est différent. Nous avons fait une étude sur un vaste échantillon de consommateurs, il semblerait qu’en fait c’est la combinaison de tout cela qui permet le développement de ce phénomène : ne pas avoir peur de la technologie, au contraire y trouver un certain plaisir, avoir le besoin et l’envie d’économiser et puis on trouve que c’est plus « sympa » et plus responsable. Sinon on trouve des groupuscules de partisans de la décroissance qui font vraiment cela de manière combattante, mais qui ne sont pas les plus nombreux. Ils ont cependant un rôle très important puisque ce sont les pionniers, ils permettent au processus d’avancer. Mais aujourd’hui on a sans doute dépassé le cercle des militants.
Fragil : Nous nous sommes intéressés au site « lamachineduvoisin.fr », pour vous ce site rentre-t-il dans le cadre de la consommation collaborative ?
P.M. : Oui bien sûr, c’est une forme très marquée de la consommation collaborative, et vous voyez bien qu’il doit y avoir des motifs économiques et sociologiques ainsi que l’envie de faire un geste pour l’environnement. Tout cela est relativement inexplicable, avec des pondérations différentes d’un individu à l’autre. Ces différentes motivations entrent en symbiose et donnent sa puissance au mouvement actuellement.
Fragil : Le terme consommation collaborative n’est-il pas un peu compliqué à appréhender pour le consommateur ?
P.M. : Personnellement je n’utilise pas tellement ce terme là, nous parlons de consommation émergente qui est un terme beaucoup plus neutre. Mais il se passe quelque chose, à la fois en intensité et en diversité, et il faut bien trouver un terme pour désigner ce mouvement. C’est peut-être un peu « jargonnant », avec un côté militant, mais ça ne me gène pas plus que cela. Les mots sont importants, mais le plus important c’est le phénomène que l’on décrit derrière.
Fragil : Vous êtes co-directeur de l’Observatoire Société et Consommation, pouvez-vous nous expliquer son but ?
P.M. : L’ObSoCo, c’est deux choses : une société d’études et de conseils, et une association. Le point commun entre les deux, c’est cette conviction qu’il se passe quelque chose, que le modèle de consommation est en train de muter au delà des filières marchandes qui sont impactées. Notre objectif est d’arriver à observer tout cela, mesurer si possible et puis convaincre des acteurs publiques et privés qu’il faut prendre conscience de ce qu’il se passe et s’adapter à cela. L’association est un réseau de chercheurs qui travaillent dans leur coin et se réunissent une fois par mois pour échanger leurs vues, et construire ensemble une représentation et une interprétation de ce qui est en train de se passer. Nous avons décidé d’organiser un colloque l’année prochaine pour commencer à livrer le fruit de nos réflexions collectives.
Fragil : Avez-vous réussi à convaincre les pouvoirs publiques et les entreprises privées de changer leurs méthode ?
P.M. : C’est compliqué... Par exemple, le Ministère de l’économie avait lancé un appel d’offre sur ce thème de la consommation collaborative. Nous étions finalistes pour décrocher cette étude, et les choses se sont bloquées, depuis le mois de novembre nous n’avons plus de nouvelles. Peut-être qu’ils n’ont plus d’argent et que ce sujet n’est plus prioritaire. Je pousse fortement depuis quelques temps l’idée de faire passer la garantie sur les produits à dix ans, parce que l’idée derrière tout cela, c’est de trouver un mode de consommation qui permette de concilier croissance et environnement. L’enjeu est majeur, il faut répondre à l’impératif écologique.
il faut répondre à l'impératif écologique
Fragil : Comment les collectivités réagissent face à ces enjeux importants ?
P.M. : Je ne suis pas convaincu que les pouvoirs publics aient pris pleine conscience de tout ce qu’il se joue en la matière. Pour eux, c’est plus difficile d’appréhender des choses qui leur échappent. Par exemple, toute cette économie qui se crée autour de la consommation collaborative échappe à l’impôt, échappe à la TVA et crée une concurrence quelque part déloyale par rapport aux autres secteurs d’activité. Par contre, pour les entreprises privées c’est différent : même si certaines s’y intéressent et commencent à prendre des dispositions, il faut qu’il y ait de la rentabilité à la clé, sinon ce n’est pas possible.
Fragil : Est-ce un mode de consommation voué à se généraliser, voire à remplacer l’actuel ?
P.M. : Non, évitons les excès. Je dirais que c’est un mode de consommation qui est appelé à continuer de se développer, et à influencer le cœur de l’économie marchande qui va devoir s’intégrer, mais ça ne fera pas disparaître des manières de consommer qui sont aujourd’hui dominantes.
Propos recueillis par Valentin Perrois
Crédits photos : Photo de bannière : Stanjourdan
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