
ÉVÉNEMENT
Corps à corps avec Sophie
Du 15 au 17 février se déroulaient au Lieu Unique, à Nantes, les treizièmes Rencontres de Sophie. Pendant un weekend, s’entrecroisaient conférences, tables rondes et abécédaires, sur le thème classique - néanmoins passionnant - du corps. Sous tous ses aspects. Retour sur l’événement, rencontre avec Guillaume Durand, et une question : qu’est-ce que le corps ?
Treize ans. Cela fait donc treize ans que Guillaume Durand et ses compères-philosophes ont créé l’association Philosophia. Avec un but : tenter, non pas de populariser, mais de rendre accessible la philosophie, de la partager. « J’avais surtout envie de montrer que cela pouvait être un plaisir de faire de la philosophie », nous explique Guillaume Durand. L’objectif a été, et est resté de proposer des évènements accessibles, et le plus souvent gratuits, autour de la philosophie. Cette action prend aujourd’hui plusieurs formes : un partenariat avec le Lieu Unique donc, mais avec le centre pénitencier également, en plus de la création d’une université populaire, un partenariat avec l’Opéra Nantes-Angers, avec le Katorza... Une multitude d’actions qui visent, sur le long terme, une présence durable de l’association Philosophia sur la ville de Nantes. Objectif en passe de se concrétiser : l’affluence aux Rencontres de Sophie a été multipliée par dix en treize années d’existence. Cinq mille personnes se partageaient cette année encore les bancs du Grand Atelier au LU.
J'avais surtout envie de montrer que cela pouvait être un plaisir de faire de la philosophie
Mais le but reste également de montrer la philosophie comme un « plaisir », montrer qu’elle n’est pas réservée à une élite, qu’elle n’est surtout pas moralisatrice, ni abstraite. Mais il ne s’agit pas, au contraire, de la réduire pour la rendre accessible. « C’est une forme de vulgarisation. Mais une vulgarisation honnête, exigeante, ce n’est pas une réduction. Nous n’essayons pas de simplifier la philosophie pendant les conférences », continue Gillaume Durand. Accessibilité qui se traduit également par les conférences que donnent les membres de l’association dans un lycée nantais. « Il faut essayer de faire le lien entre le monde philosophique, ce qu’il comprend de chercheurs, d’écrivains, d’universitaires... et ce qu’on appelle le grand public. Mais c’est aussi montrer et affirmer le rôle de la philosophie dans les débats sociétaux et politiques d’aujourd’hui. Chaque année, on essaye d’aborder des thèmes en rapport avec l’actualité, qui concernent le monde philosophique et les philosophes, mais aussi la société. Dans le but de montrer que la philosophie peut éclairer des questions vives de sociétés et peut permettre la discussion, le débat. »
Il n’est pourtant pas question pour Les Rencontres de Sophie d’une prise quelconque de position. Philosophiquement et idéologiquement, les conférences se doivent d’être, sinon objectives, pour le moins exhaustives sur le sujet qu’elles abordent. C’est aussi le but de l’abécédaire : une lettre de l’alphabet, un mot, en rapport avec cette année le corps, qui lui correspond. Pour le conférencier, c’est vingt minutes pour réussir à faire comprendre la notion de façon globale, mais aussi la plus complète possible. Nous retrouvons cette année H comme Habillement, N comme Narcisse inversé ou Z comme Zizi, pussy and rock’n roll, preuve des trésors d’imagination dont il a fallu faire preuve pour trouver tous ces titres.
Z comme Zizi, pussy and rock'n roll
Arrive donc la question du corps, qui doit répondre à toutes ces exigences. Un caractère philosophique certain, mais dans l’actualité ? « On en parle beaucoup en ce moment, surtout à propos de la Procréation Médicale Assistée (PMA), de la Gestation Pour Autrui (GPA), des avancées médicales et technologiques, et donc de l’éthique médicale, autour de la sexualité également ». Le corps est donc un choix se justifiant totalement. L’exhaustivité est également présente : des conférences sur la danse, le sport, l’identité sexuelle, le corps politique, philosophique (chez Saint Augustin, Nietzsche ou Descartes) permettent ce tour d’horizon assez global de la notion de corps, en philosophie, mais aussi, dans l’optique d’un débat sociétal actuel.
Arrive donc, le vendredi 15 février, l’ouverture de ces Rencontres de Sophie. Éric Fiat, docteur en philosophie, spécialiste de l’éthique médicale notamment, a la lourde tache de prononcer la conférence inaugurale de ces treizièmes Rencontres. En choisissant, non pas le corps seul, mais le thème de sa relation avec l’âme. Pendant une heure, avec un brio étonnant, une clarté incroyable et un vrai humour, Éric Fiat nous montre vraiment à quel point cela peut être un « plaisir » encore une fois, de faire de la philosophie. Le problème, posé par cette question de la relation entre le corps est l’âme, est source de nombreux débats dans l’histoire de la philosophie. Pour les dualistes, comme Platon ou Descartes, j’ai un corps. Celui-ci est détaché de mon âme, ce sont deux parties distinctes et, pour les dualistes, le corps est même dévalorisé par rapport à l’âme. Pour Éric Fiat, « c’est un peu comme le mariage entre un prince et une roturière, entre l’âme et le corps ». Pour les monistes, courant opposé, je suis mon corps. On ne voit de moi que mon corps, il me définit et définit ma place dans le monde. Il est pour les monistes impossible de séparer l’âme et le corps.
Un brio étonnant, une clarté incroyable et un vrai humour
De ce débat complexe, historique comme philosophique, Éric Fiat pose, comme avec l’exemple du mariage, des exemples et des expériences simples qui montrent et prouvent l’existence et la légitimité de ce débat. L’anorexie, le simple fait d’être malade ou en bonne santé, un des mythes platoniciens, sont des exemples simples et compréhensibles. Et c’est par ce procédé que l’on aperçoit, en plus du plaisir philosophique, la notion d’une matière accessible, abordée d’une manière complexe, mais aussi pédagogique, par les Rencontres de Sophie. Éric Fiat terminera ce débat en montrant qu’il est « urgent de ne pas choisir » entre l’être et l’avoir du corps. Comme le dit Pascal, « L’Homme a ses allées et venues. » Il est spirituel et physique, il n’est ni un ange sans corps ni une bête qui n’est qu’un corps, il navigue par ses comportements entre une spiritualité presque divine et une bestialité apparente.
Les Rencontres de Sophie sont donc, depuis treize ans, une formidable ouverture sur le monde philosophique. En créant un lien entre le monde de la recherche philosophique et le public, en proposant un réel contenu, mais aussi une forme de discours pédagogique et accessible, l’association Philosophia arrive à remplir son objectif d’implantation de la philosophie dans le débat sociétal.
Simon Auffret
Dessin : Gregoire Aissani
Image centrale : CC, Dierk Schaefer
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