
DÉBAT SOLIDARITÉ
Qui est l’homo-économicus de crise ?
Rencontre avec Gilles Lazuech, sociologue
Gilles Lazuech est sociologue, spécialiste des solidarités générationnelles. Pour lui, l’homo économicus de crise — ni plus individuel ni plus solidaire — doit surtout composer avec un quotidien aux mutations rapides et complexes.
Dessiner les contours de l’individu en crise — cet « homo économicus » — revient à s’intéresser notamment aux usages de l’argent. Gilles Lazuech, auteur du remarqué L’argent du quotidien en 2012, indique quelques tendances. Si les allers-retours entre l’économie de marché et les systèmes alternatifs représentent une tendance prégnante, il faut aussi voir le rôle de la famille dans les mutations économiques. La manière d’utiliser l’argent est une histoire de génération. Les aînés, inscrits dans ce que le sociologue nomme « le système argent », feront prévaloir un argent « calculé en fonction des projets plus ou moins lointains ». En assurant un maintien des conditions de vie ou un certain héritage familial. Pour les jeunes, l’équation est différente. Plus d’instabilité dans l’emploi et une inscription moindre dans une logique de long-terme induisent des comportements tout aussi rationnels, mais moins formalisés. Décryptage de l’individu économique.
Fragil : En ces temps de crise, remarque-t-on un comportement allant plus vers l’épargne ou la consommation ?
Gilles Lazuech : Il n’y pas de schéma général du comportement des individus. Cela dépend de l’état de la famille, selon s’ils sont affectés par la crise ou non. S’il n’y a pas de changement au sein du foyer au niveau de la situation financière, les ménages joueront la carte de la prudence et créeront une épargne de précaution. Mais on n’observera pas de tendance majeure à l’épargne. Si le foyer est légèrement touché par la crise économique, il jouera sur cette épargne ou essaiera de la maintenir pour des événements inattendus. Cependant, en général, les individus ne puisent pas beaucoup dans leur épargne. Si les individus observent une baisse sensible de leurs revenus, ils préféreront réduire leur budget. Par exemple une réduction des vacances (une semaine au lieu de deux), ou une modification de l’alimentation en consommant moins de viande ou de fromage et en se réorientant vers les premiers prix discount. Au lieu d’acheter du neuf, ils se tourneront vers le marché de l’occasion, les choix des produits au supermarché iront vers les promotions, la tendance à prendre des cartes de fidélité pour avoir des points sur la carte et bénéficier d’avantages augmentera. Ou tout simplement, au lieu de changer de vêtements, on essayera de les garder plus longtemps. On renouvellera en cas de nécessité, et moins par notion de plaisir, le réel changement est plutôt là je pense ; le budget sera plus suivi qu’avant. Mais on remarquera quand même une réelle baisse de la consommation globale, d’un point de vue macroéconomique.
Il n’y pas de schéma général du comportement des individus, cela dépend de l’état de la famille selon s’ils sont affectés par la crise ou non
Fragil : Quelles sont les dépenses qui occupent la plus grande place dans les dépenses familiales ?
Gilles Lazuech : Le budget le plus important reste le logement. Il faut payer un loyer ou rembourser un emprunt, en général. C’est un des points du budget qu’on ne peut pas éviter : les individus sont obligés de payer pour leur logement sinon ils se retrouvent à la rue. Si le foyer est confronté à de réels problèmes d’argent, ils trouveront des solutions à court terme. Par exemple, retarder le paiement de certaines factures, régler plus tard la cantine scolaire, ou négocier avec le bailleur pour payer plus tard. Mais il n’y a pas de réelles solutions sur le long terme, on ne sait pas comment les choses vont évoluer, il peut toujours y avoir des imprévus au niveau des dépenses.
Fragil : Quelles différences avec les dépenses des foyers avant la crise ? Est-ce qu’il y a eu une réorganisation des budgets des foyers ? Le budget pour les vêtements, par exemple, a-t-il chuté ?
Gilles Lazuech : Cela dépend encore du type de ménage. S’il y a une légère baisse de leurs revenus, l’impact est léger, il n’y aura pas de réelle réorganisation du budget, on fera juste attention. S’il y a une baisse de l’augmentation du revenu, par exemple une personne dans une entreprise qui aurait vu son salaire augmenter régulièrement, celle-là va continuer à consommer de la même façon. Enfin, s’il y a un réel effondrement du revenu, les individus doivent réagir très vite, pour réorganiser leur budget et trouver des solutions, mais on ne remarque pas de schéma type. Ces personnes qui sont touchées directement par la crise, c’est ce qu’on pourrait appeler les « nouveaux pauvres ».
Je pense qu’il n’y a pas vraiment de comportement individuel ou solidaire. Chacun essaie de se débrouiller par lui-même
Fragil : Pensez-vous qu’en cette période de crise, le citoyen aille plus vers un comportement individuel ou plutôt vers un comportement solidaire ?
Gilles Lazuech : Je pense qu’il n’y a pas vraiment de comportement individuel ou solidaire. Chacun essaie de se débrouiller par lui-même. La solidarité est renvoyée à celle procurée par l’État. En revanche, on observe dans le cas des familles que les individus sont plus solidaires avec les jeunes à l’intérieur de la famille. Il n’y a donc pas de réel changement d’un point de vue solidaire, entre la crise et « l’avant-crise ». Les individus n’ont pas plus tendance à adopter un comportement individualiste, ni vers un comportement solidaire. Au fond, « l’homo-économicus » de crise c’est nous. Nous, individus affectés par des problèmes de budget et de consommation, dans une société en plein changement, essayant de comprendre ce monde qui nous entoure.
Betty Quiniou et Camille Moreau
Crédit photos :
Photo Bannière : Par s.letur
Photo Centre : Par PublicDomainPictures
Portrait de Gilles Lazuech : Par Bérénice Kesteloot
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