
PORTRAIT
Waga 3000 : « Continuer le combat  »
Festival Casa Palabres
Du 19 octobre au 24 novembre dernier, les cultures Africaines débarquaient à Nantes à l’occasion du festival Casa Palabres. Le 10 novembre, une soirée à l’Altercafé et l’occasion pour Fragil de découvrir un mélange étonnant entre hip-hop, électro, musique traditionnelle burkinabè et textes indignés. Leur nom ? Waga 3000.
Depuis 2008, l’association Casa Africa Nantes œuvre pour la promotion des cultures africaines, en organisant divers événements. Un des événements majeurs de l’association est le festival Casa Palabres. Cette édition 2012 s’étalait du 19 octobre au 24 novembre dernier. Conférences, expositions, concerts, etc. Pendant cinq semaines, Nantes est à l’heure africaine. L’association veut montrer une image différente du continent africain. On découvre ainsi un continent de création. Focus sur une des découvertes de Fragil pendant ce festival. Waga 3000, ce sont deux MCs burkinabès : Art Melody et Joey le Soldat. Des instrus entre électro et musique traditionnelle, des textes engagés rappés aussi bien en français qu’en mooré ou en dioula, les deux rappeurs s’inspirent de ce qui se fait un peu partout dans le monde mais n’en oublient pas leurs racines. Invités par l’association Casa Africa, ils se produisent le 10 novembre dernier pour un show entre combat pour l’indépendance et amour de la scène et du public. Rencontre avec Art Melody et Joey le Soldat avant qu’ils ne montent sur scène.
« Le hip-hop notre choix »
Engagés. C’est certainement l’adjectif qui correspond le plus aux textes des deux MCs burkinabès. Et on le comprend dès qu’ils nous expliquent d’où vient ce nom Waga 3000. Le Burkina Faso est divisé en deux : d’un côté la pauvreté, de l’autre une extrême richesse. Même schéma à Ouagadougou, la capitale burkinabèe, où on nomme Waga 2000 le quartier bourgeois. « Bienvenue chez nous Ouaga 3000, l’univers de la misère. » Originaires des quartiers pauvres, ils ont choisi de détourner ce terme comme une dénonciation d’une société à deux vitesses : « Ils ont vendu nos destins pour des festins. » Des textes qui abordent « le vécu quotidien des burkinabés, l’Afrique en général, le côté politique entre l’Occident et l’Afrique. », explique Joey le Soldat.
Leur inspiration ? L'idéologie des leaders indépendants. Thomas Sankara, Norbert Zongo
Leur inspiration ? L’idéologie des leaders indépendants. Thomas Sankara, Norbert Zongo. De grands noms, des combattants qui ont voulu l’indépendance réelle de l’Afrique, et ont payé de leur vie pour ça. Parler d’eux, oui mais Waga 3000 se focalise sur leur idéologie avant tout, pas seulement sur des noms. Pas question de trop polémiquer sur ces figures pour Art Melody. Pour lui, beaucoup trop de gens utilisent ces grands noms, sans respecter leurs idées : « Nous, on veut garder l’idéologie de ces gens là, mais on ne veut pas se servir de leur nom pour se faire un drapeau. » Mais continuer ce combat inachevé n’est pas du goût de tous au Burkina.
Et au Burkina Faso, c’est comment ?
A la sortie de son deuxième album, Zound Zandé en 2011, Art Melody ne passe pas inaperçu aux yeux du gouvernement. Les militaires lui tombent dessus, mais pour le MC, rien de grave. Tout est question de choix : « Tu choisis de faire un truc, et soit tu le fais, soit tu retournes ta veste. » Soucis avec les hommes en treillis, mais aussi faible médiatisation, les deux burkinabès ont choisi leur camp. Les médias trouvent les MCs trop revendicateurs, leurs textes trop à l’encontre du gouvernement. Les médiatiser serait une prise de risque inutile pour les journalistes. Pas d’intervention télévisée, pas de passage radiophonique, et donc peu de scènes au Burkina. Mais ça ne les empêche pas d’avoir un public - aussi réduit soit-il - qui les soutient, et leur permet de faire un petit concert à droite à gauche. Art Melody et Joey le Soldat ne se voilent pas la face, leur musique n’est pas commerciale : « Les gens voudront plutôt de la variété, de la musique où ils pourront bien se saouler la gueule. » S’ils doivent se positionner par rapport à la scène hip-hop burkinabé, les deux MCs estiment être « peut-être les seuls à Ouaga à faire ce truc. » Peut-être que dans le passé, des rappeurs ont dénoncé, dit des choses. Mais actuellement, peu de rap engagé, beaucoup plus de rap bling-bling. Ils considèrent que beaucoup ont retourné leurs vestes pour avoir une vitrine médiatique, pour vivre de leur musique. Waga 3000, eux, assument jusqu’au bout.
Pas de place pour ceux qui ont des choses à dire au Waga Hip-hop Festival
Pourtant, vue de loin, la scène hip-hop burkinabèe semble plutôt active. Un gros festival hip-hop se tient à Ouagadougou tous les ans : Waga Hip Hop. Selon les médias, « Véritable tremplin du bouillonnant vivier artistique des cultures urbaines du continent noir », « Le Waga Hip Hop s’est imposé comme un rendez-vous incontournable pour les acteurs du mouvement » ou encore « une décennie que le festival burkinabè Waga Hip Hop s’efforce de promouvoir en Afrique le hip-hop et la culture dans son ensemble. » Mais Art Melody et Joey le soldat ne sont pas du même avis : « C’est le truc le plus nul qu’il y ait chez nous. » Selon eux, le festival était bien à ses débuts, mais il n’y a pas de renouveau. Mais toujours les mêmes invités, d’année en année, ceux qui remplissent les caisses. Pas de place pour la génération montante. Pas de place pour ceux qui ont des choses à dire. En parallèle, c’est en France que le groupe tourne fréquemment. Ils regrettent que leur musique ne soit pas entendue par les principaux intéressés, mais ne baissent pas les bras pour autant : « Personne n’est prophète chez lui. Si on peut valoriser ce qu’on fait ailleurs, tant mieux. »
Des ghettos de Ouagadougou à Waga 3000
Amateurs de hip-hop depuis leur jeunesse, l’un comme l’autre se mettent progressivement à écrire leurs premiers textes, chacun de leur côté. En 2008, le réalisateur bordelais Nicolas Guibert vient tourner un documentaire sur la vie quotidienne des burkinabès : Tamani. C’est à ce moment là qu’il découvre Art Melody, qui chante dans le film et a droit à un portrait d’une dizaine de minutes. L’année suivante, le documentaire est retenu au festival Festpaco. Nicolas Guibert revient pour l’occasion, avec son association Tentacule R, et un beatmaker bordelais Redrum. Ils en profitent pour enregistrer le premier album de Art Melody, mixé et sorti à leur retour en France. En 2010, il joue sa première tournée en France et enregistre son deuxième album Zound Zandé dans la foulée, qui sortira en 2011. En parallèle, Art Melody et Joey le Soldat se rencontrent et travaillent ensemble sur les morceaux de Art Melody sur scène. Mais pour lui, ils ne formaient pas réellement un groupe par ce travail. C’est alors qu’ils rencontrent DJ Form, un deuxième beatmaker, avec qui ils commencent à travailler sur des instrus plus électro. Les deux accolytes deviennent alors un groupe Waga 3000 et sortent leur album éponyme en avril 2012. Joey, quant à lui, vient de sortir son premier album solo La parole est mon arme en septembre 2012, dans lequel on retrouve également de nombreuses références aux martyrs qu’il admire pour leur idéologie.
Textes et photos : Bérénice Kesteloot
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