CARNET DE FESTIVAL
L’art brut selon Gustave Kervern et Benoît Delépine
On les attendait de pied ferme à La Roche-sur-Yon, rebaptisé pour l’occasion Groland-sur-Yon. Retenu sur le tournage du prochain film de Pierre Salvadori, Gustave Kervern n’a finalement pas pu venir mais son comparse Benoît Delépine, lui, était bel et bien présent durant tout le festival. Au programme : rétrospective de leurs films et carte blanche aux films qu’ils aiment. Immersion au pays de Michael Kael contre la World Film Company.
Cinq films à leur palmarès : Aaltra, Avida, Louise-Michel, Mammuth et Le Grand Soir. Cinq films depuis 2004.
Un rythme ultra régulier : un tous les deux ans. À quatre mains toujours. Et malgré l’aspect foutraque, en total lâcher prise, les deux loustics bossent, et dur ! Benoît Delépine explique : « Ce qui nous fait le plus plaisir c’est quand on nous dit : « mais tout cela c’est de l’improvisation. » Alors que non ! Tout est hyper écrit mais si ça paraît naturel, on a gagné notre pari. » Cet aspect improvisation c’est le secret du casting. Côté acteurs professionnels : des déjantés à leur image, citons Yolande Moreau, Albert Dupontel, Bouli Lanners, Matthieu Kassovitz… « Matthieu Kassovitz, c’est lui qui nous a lancé. Il a produit notre deuxième film, Avida, alors que personne ne croyait à ce projet. Alors sa présence dans Louise-Michel, c’est un clin d’œil. »
Faire jouer des non-acteurs
À côté de ces pointures, Kervern et Délépine croient au jeu des non-acteurs. Miss Ming en tête, poétesse-plasticienne handicapée, que l’on retrouve, en personnage secondaire, dans leurs trois derniers films. À quand Miss Ming en premier rôle ? « Bientôt. Mais pas chez nous. Yolande Moreau est en train de réaliser un film et son actrice principale, c’est elle. Et nous, notre prochain défi sera de ne faire jouer que des non-acteurs mais ça risque de prendre du temps pour convaincre des producteurs. » Et pourtant, leurs films sont connus et reconnus, mais ils effraient encore. « Dans Louise-Michel, on parle d’une réalité que j’ai vécu près de chez moi, à Angoulême. La fin d’une usine textile. Et pour parler du truc concrètement, et bien on a fait jouer les ouvrières. Alors forcément la colère, elles l’ont vécu, l’ont ressenti dans leur chair, normal qu’à l’écran, ça transparaisse. Ça complique forcément les choses de tourner avec des gens dont ce n’est pas le métier mais ça donne une telle fraîcheur et une telle force. »
Ça donne aussi un cinéma engagé. Un art brut. Comme Dubuffet et Chaissac peignaient leurs toiles avec toute leur naïveté mais surtout leur sincérité. En mettant à mal tous les codes de la bienséance. Parce que l’art est fait pour bousculer. Et basculer dans une autre dimension. Une dimension qui peut paraître surréaliste et un peu folle. Alors que le propos est tellement concret. Prenez Mammuth, ce type un peu rustaud qui part sur les routes à la recherche de ses points retraite. Dénonciation du système. Prenez Le Grand Soir, et ses punks à chien, qui refusent la société de consommation. Dénonciation du système. Alors si la forme est décalée, le fond, lui, est bien réel. Une réalité du quotidien. Une réalité des petites gens qui se battent comme ils peuvent, avec leurs petits moyens.
Les films amis
Kervern et Delépine : deux trublions qui jouent avec la caméra mais jamais avec les sentiments
Des gens qui se battent avec leurs petits moyens, on les retrouve aussi dans les « films amis » comme aime à dire Delépine. Ces films qui ont jalonné son parcours et celui de Kervern. Des films qu’il a bien voulu amener avec lui au FIF. L’âge d’or de Bunuel, Mais ne nous délivrez pas du mal de Séria, La vie de bohème de Kaurismäki… et puis Passe Montagne de Jean-François Stévenin. Ce dernier a même bien voulu faire le déplacement pour une conversation autour de ce grand film, réalisé en 1978 avec un Jacques Villeret touchant dans le rôle principal. L’amitié entre deux hommes que tout oppose mais qui se retrouvent embarqués dans une aventure humaine commune. Un peu comme Kervern et Delépine dans Aaltra qui, devenus invalides, sillonnent les routes en fauteuils roulants. Une filiation certaine entre les deux hommes. Stévenin explique : « Comme les films de Kervern et Delépine, ça a l’air improvisé mais, en effet, le scénario est fouillé. Même quand on fait jouer les habitants du village, on les dirige quand même. C’est Villeret, ce génie, qui avait trouvé la façon de faire. Pendant tout le tournage, il s’était mis en retrait, un peu méprisant, je trouvais ça un peu limite mais en fait, c’était sa technique. Quand il a fallu jouer la scène de l’engueulade, les mecs, ils étaient vraiment en colère contre lui. Facile. Mais tout cela, il l’avait réfléchi. » Ou l’art de faire jouer des amateurs comme des pro. De l’authenticité, rien que de l’authenticité. Dans le regard porté sur autrui. Comme dans les messages véhiculés dans les films. Le cinéma comme arme. L’art pour dénoncer. Kervern et Delépine : deux trublions qui jouent avec la caméra mais jamais avec les sentiments.
Delphine Blanchard
À lire pour aller plus loin : De Groland au Grand Soir. Entretien avec Benoît Delépine et Gustave Kervern par Hervé Aubron et Emmanuel Burdeau. Éditions Capricci.
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