
BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN
À Rennes, l’art investit la ville et les artistes interrogent l’avenir...
“Ce qui vient”, c’est le titre plein de promesses que les Ateliers de Rennes ont choisi pour la deuxième édition de la biennale d’art contemporain qui a lieu aux quatre coins de la ville jusqu’au 18 juillet. Ceux qui sont venus ? Ce sont cinquante artistes internationaux, peu connus du grand public, invités à créer des pièces uniques dans huit lieux de la ville.
Un long week-end férié, une envie de m’évader et découvrir de nouvelles choses, un article élogieux dans Beaux-Arts magazine, et ma décision est prise : en route vers Rennes ! La biennale d’art contemporain – organisée par un mécène privé, saluons cette initiative, c’est si rare – est l’occasion de se balader dans les ruelles historiques de la cité tout en parcourant les expositions disséminées au cœur de la ville. Avant de se pencher précisément sur les œuvres, revenons sur les thèmes évoqués par “Ce qui vient” : les relations entre l’art, l’économie et l’entreprise mais aussi notre relation avec l’avenir. “Ce qui vient interroge demain dans cette oscillation entre l’angoisse de l’incertitude et les promesses de la liberté. Elle sonde nos espoirs, nos désirs et nos peurs" selon Raphaële Jeune, commissaire de l’exposition. Des sujets qui, au premier abord, pourraient rebuter mais n’ayez crainte et cédez à l’envie de vous y plonger, des perles artistiques vous y attendent.
Dans le détail, la biennale ouvre quatre axes de réflexion, comme autant de chapitres pour organiser la lecture des œuvres :
ce qui vient à nous : l’incertitude de l’avenir et les outils que nous forgeons pour y remédier
ce qui devient, ce qui revient : la marche du progrès ou l’éternel retour du présent
ce qui survient : l’événement, le hasard, la catastrophe…
ce qui vient de nous : la possibilité d’agir
En route donc à la découverte des lieux accueillant les œuvres...
Escale n° 1 : le Couvent des Jacobins
Point névralgique de la biennale – et pour se mettre dans l’ambiance immédiatement – commençons notre périple par le Couvent des Jacobins, en plein cœur du vieux Rennes, qui accueille sur 1500 m2, 34 des 50 artistes présents. C’est, en plus, l’occasion de profiter de ce lieu historique pour la dernière fois, avant sa transformation en Centre des congrès l’année prochaine.
Dès l’entrée dans la cour intérieure, le calme et la sérénité prennent le dessus sur le tumulte de la ville (les terrasses des bars foisonnent à deux pas de là). Passé le porche d’accueil, bienvenue dans le monde du conceptuel et de la réflexion artistique. Mais n’ayez pas peur, tout va bien se passer... à condition d’ouvrir l’œil ! Par exemple, ne passez pas à côté du distributeur situé dès l’entrée sans y jeter un regard ; il cache bien des choses... c’est l’œuvre de Thierry Boutonnier, intitulée "Frech Egg Vending Machine", un distributeur automatique détourné de son usage actuel pour proposer ici la distribution d’œufs frais. Se pose au visiteur une seule alternative possible : acheter un œuf et le voir se casser irrémédiablement dans sa chute. Cette démarche lui permet de dénoncer – par mimétisme ou par intervention – les comportements et les contradictions de notre mode de vie capitaliste.
Avancez ensuite vers l’installation “Skatefloors” du duo allemand Barking Dogs United, composée de skateboards qui recouvrent entièrement le sol d’une coursive du Couvent ; ici l’art est à portée de main (voire de pied !), puisque l’œuvre est praticable par le public. Ce terrain instable impose au visiteur une démarche hésitante et précautionneuse. Cette installation nous évoque alors les risques que l’on prend lorsqu’on va de l’avant, lorsqu’on traverse un passage incertain et que le corps est entièrement occupé à garder l’équilibre. Continuez au fil des coursives, pléthore d’œuvres vous tendent les bras, prenez le temps de vous en imprégner, de tourner autour ; l’ambiance du Couvent est parfaite pour cela.
Et là, au détour du cloître, laissez-vous surprendre par l’installation magistrale du canadien Michel de Broin. "Révolution" s’inspire de l’escalier hélicoïdal. En formant un nœud, l’escalier en métal déconstruit la symbolique de l’ascension verticale qui lui est normalement associée. Ici l’escalier permet d’entrer dans un cycle infini de révolutions, où tout ce qui monte tend à redescendre au rythme des évolutions et transformations. Vous pouvez l’emprunter, attention au vertige, il fait plus de cinq mètres de hauteur, et éprouvez physiquement l’idée d’un éternel retour, d’une boucle du temps.
Juste un peu plus loin, retrouvez l’œuvre marquante de Mario Merz, artiste majeur mort en 2003 et représentant de l’Arte Povera, "Che fare ?", constituée d’un néon dans une poissonnière en métal. Que faire ? Avec cette question ouverte, l’œuvre nous projette dans notre futur proche, nous incitant à réfléchir sur l’avenir et la manière dont il se construira. Impossible de vous parler de tous les artistes présents au Couvent, ils sont nombreux et tous plus talentueux les uns que les autres, alors terminons par l’installation de Barbara Noiret (photographies et messages sonores). En résidence chez un fabricant de crêpes industrielles, elle aborde la relation que les salariés entretiennent avec la notion d’avenir et la notion de rêve dans leur quotidien. Une installation percutante qui clôture magnifiquement cette escapade au Couvent des Jacobins.
Ce terrain instable impose au visiteur une démarche hésitante et précautionneuse ; il évoque les risques que l’on prend lorsqu’on va de l’avant, lorsqu'on traverse un passage incertain et que le corps est entièrement occupé à garder l’équilibre.
Escale n° 2 : La Criée
À peine sortie du Couvent, direction les anciennes halles de Rennes où se tient le marché aux poissons ; juste à côté, franchissez le seuil de La Criée, ne vous laissez pas impressionner par les détonations qui se font entendre... le centre d’art contemporain accueille l’œuvre magistrale de Damien Marchal, "plasticien-sonore" rennais.
"Garbage Truck Bomb" (ou le bombardier du pauvre), c’est un camion-poubelle réalisé à l’échelle 1 dans lequel est dissimulé un détonateur GSM cellulaire. Celui-ci est relié à l’autoradio : actionné, il déclenche une déflagration sonore assourdissante. Cette création auditive et visuelle donne à ressentir l’onde de choc violente d’une explosion. Et c’est nous, spectateur, qui déclenchons ou non le système via un SMS qui nous est envoyé (à la seule condition de laisser son numéro à l’accueil de La Criée). Le message en est simple : “Vous venez de recevoir les coordonnées du camion piégé situé à Rennes, vous avez la possibilité d’activer la mise à feu du dispositif au…”. À nous alors d’actionner ou non... tout ceci nous rend brusquement complice d’un réseau secret terroriste et cette implication est lourde de sens.
Personnellement, je n’ai pas su quoi faire : répondre au texto signifie participer à cet acte terroriste violent (certes virtuel, mais quand même. Dans le contexte du lieu, je peux vous dire que ça vous fait réfléchir !) mais ne pas répondre c’est refuser que l’œuvre existe et donne à voir cette dénonciation percutante qui peut se résumer à "à quel moment devient-on complice". Alors à vous de voir, faites-vous votre propre opinion mais, dans tous les cas, courez voir cette installation d’une grande intelligence.
Escale n° 3 : le musée des Beaux-Arts
Après la petite marche le long des quais qui vous aura mené jusqu’aux portes du musée, entrez à l’intérieur et découvrez le patio. Yona Friedman y a installé un vaste filet, accroché au plafond, où les visiteurs sont invités à déposer des objets qu’ils estiment pouvoir être, dans le futur, des marqueurs de notre époque. Architecte, l’artiste développe ainsi son projet de "Musée du XXIe siècle" et son concept d’ "architecture mobile" selon lequel habitat et urbanisme doivent être pensés d’une part par leurs utilisateurs et d’autre part en intégrant l’imprévisibilité du comportement futur de l’usager. Ici l’œuvre prend tout son sens par l’intervention du public qui dépose ses objets personnels.
Que faire ? Avec cette question ouverte, l’œuvre nous projette dans notre futur proche, nous incitant à réfléchir sur l’avenir et la manière dont il se construira.
Escale n ° 4 : le 40mcube
À la sortie du musée, prenez à droite et continuez le long des quais, à quelques mètres de là, vous tomberez sur le 40mcube, lieu d’exposition d’art contemporain bien connu des Rennais. À l’occasion de la biennale, il est investi par l’artiste parisienne Emmanuelle Lainé.
L’exposition "Ingenium" est pensée comme un cabinet de curiosité contemporain présentant des sculptures aux formes inspirées d’objets scientifiques et ayant donné lieu à des recherches de matériaux spécifiques (métal, grès, résine, velours…) Œuvre difficile à cerner, prenez le temps de vous en imprégner et ne perdez pas confiance, au bout d’un petit moment, tout fait sens... Le déploiement et la mise en scène de ces éléments dans l’espace créent un univers fictionnel imbriqué dans l’histoire, la science et l’archéologie. Une vraie curiosité...
Il est l’heure pour moi de vous laisser... mais en très bonne compagnie ; de nombreux artistes vous attendent encore un peu partout dans la ville. Alors entre deux verres à la terrasse des bars, n’hésitez pas à aller faire un tour au Triangle, à l’école régionale des Beaux-Arts, au Centre culturel Colombier, au Grand Corbel et également dans les rues de la ville où des œuvres, intégrées à l’espace public, vous feront de l’œil. Bonne immersion artistique...
Delphine Blanchard
Crédits photos :
Œuvre 1 : Barking Dogs United, "Skatefloor", 2008-2010. Photo Yann Peucat / Atelier Puzzle
Œuvre 2 : Michel de Broin, "Révolution", 2010. Photo Yann Peucat / Atelier Puzzle
Œuvre 3 : Barbara Noiret, "Pause", 2010. Photo Yann Peucat / Atelier Puzzle
Œuvre 4 : Damien Marchal, "Garbage Truck Bomb (ou le bombardier du pauvre)", 2010. Photo Yann Peucat / Atelier Puzzle
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