
MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE NANTES
Wifredo Lam, artiste métissé : entre modernisme occidental et tradition africaine
Jusqu’au 29 aoà »t, le musée des Beaux-Arts de Nantes met à l’honneur Wifredo Lam, artiste multiple, mort en 1982, et injustement oublié pendant des années. Tour d’horizon de cette belle rétrospective en compagnie de Blandine Chavanne, directrice du musée et co-commissaire de l’exposition.
Artiste inclassable, mélangeant les styles, n’appartenant à aucune école, Wifredo Lam est un électron libre dans la grande famille des artistes du vingtième siècle. C’est notamment une des raisons de sa quasi-absence des musées français. Trop difficile à classer. En effet, depuis 1983 et l’hommage organisé par le musée d’art moderne de Paris, Lam n’avait jusqu’alors pas eu de rétrospective digne de ce nom. Cet artiste atypique est nimbé de mystères... est-il plutôt surréaliste ? Cubiste ? Proche des arts primitifs ? L’œuvre de Wifredo Lam c’est à la fois tout cela mais surtout pas que ! C’est ce que tente de nous faire comprendre la soixantaine d’œuvres – issues de collections privées et publiques européennes – rassemblées pour l’occasion : peintures, illustrations, dessins (fusain, craie blanche, sanguine) et céramiques attendent le visiteur pour un "Voyage[s] entre caraïbes et avant-gardes" (titre officiel de l’exposition).
L’apprentissage en Espagne
Né à Cuba en 1902, d’un père chinois et d’une mère d’ascendance africano-hispanique, l’œuvre de Lam est portée depuis ses débuts par ce métissage. Il fréquente l’école des Beaux-Arts de La Havane de 1918 à 1923. Après obtention d’une bourse, il embarque pour l’Espagne et suit, à Madrid, les cours de Fernando Sotomayor, directeur du Prado (et maître de Salvador Dali). Il se familiarise alors avec le patrimoine artistique européen en visitant diverses expositions ; il est très vite attiré par tous ceux qui dénoncent les tyrannies : Goya, Bosch, Brueghel l’ancien, Le Greco... Lam se sent proche de ces artistes révoltés et contestataires. C’est à Barcelone en 1928 que le déclic a lieu : “il découvre pour la première fois des sculptures africaines qui inspireront son travail à venir” relève Blandine Chavanne. En 1929, il épouse Eva Piris dont il a un fils ; en 1931, ils meurent tous les deux de la tuberculose. Tout artiste à sa part d’ombre et de souffrance, pour Wifredo Lam, cette épreuve douloureuse sera un choc ; il va alors se jeter à corps perdu dans la peinture pour surmonter cela. Aux douleurs personnelles s’ajoutent les drames de l’Histoire : en 1936, la guerre d’Espagne débute, Lam réalise des affiches pour les Républicains et participe à la défense de Madrid.
Des rencontres déterminantes en France
À Paris, où il séjourne de 1938 à 1940, sa carrière prend un véritable tournant. Il y rencontre Picasso – qui restera un de ses maîtres jusqu’à la fin – Braque, Éluard, Miro ou encore Leiris. En côtoyant ces grands hommes, il se tourne alors vers le cubisme, qu’il assimile, puis qu’il revisite pour enfin s’en éloigner et créer son propre style, si particulier et reconnaissable entre tous. Ses toiles se peuplent de créatures hybrides, envahis d’enchevêtrements végétaux, de déesses, de femmes-cheval. Il devient en parallèle grand collectionneur d’art primitif. En 1940, il séjourne à la Villa Air-Bell à Marseille où il sympathise avec André Breton. "Cette rencontre le libère du réalisme issu du cubisme et lui donne une impulsion nouvelle" explique Blandine Chavanne. Breton lui propose d’illustrer son dernier recueil de poésie, "Fata Morgana", et l’intègre au groupe surréaliste. Ce dernier lui fait également découvrir l’art océanien et lui permet de "donner une dimension mythique, magique et onirique à son œuvre". La pratique de l’automatisme mental lui donne la possibilité de plonger dans son inconscient, de faire remonter et de libérer des croyances enterrées depuis son départ de La Havane. Il se rappelle, ainsi, qu’enfant, il avait été témoin de cérémonies magico-religieuses afro-cubaines chez sa marraine. Il s’imprègne petit à petit des esprits de la nature, de la faune et de la flore.
"Wifredo Lam est toujours dans l'évocation, jamais dans l'illustration"
La Martinique d’Aimé Césaire
En 1941, Lam fuit l’occupation allemande comme de nombreux artistes et intellectuels. À Fort-de-France, il rencontre le chantre de la "négritude", Aimé Césaire. "Ils ont en commun d’avoir voyagé en Europe et de revenir avec une vision distanciée par rapport à leur héritage" rappelle Blandine Chavanne. Césaire écrit de lui : "W. Lam ne regarde pas. Il sent. Il sent le long de son corps maigre et de ses branches vibrantes passer riche de défis, la grande sève tropicale (…) Lam est celui qui rappelle le monde moderne à la terreur et à la ferveur premières". Ses origines africaines se libèrent et ses toiles foisonnent de cet héritage si riche.
Cuba, le retour aux sources
En août 1941, Wifredo Lam accoste à La Havane et y retrouve enfin ses racines ; son œuvre prend alors tout son sens. Révolté par la misère des Noirs sous le régime de Batista, ses toiles deviennent des armes qui dénoncent et contestent. Il peint le drame de son pays en faisant revivre les mythologies d’une population brimée et asservie. Inspiré et bien entouré, Lam travaille avec acharnement. Si son œuvre la plus connue, "La Jungle", exposée en 1944 à New York, fait scandale, elle est achetée par le MoMA dès 1945. Lam peint désormais dans une liberté absolue. Il se plaît à représenter les divinités de la Santeria (appelées Orishas), intermédiaires entre Dieu et les humains ; ces demi-dieux – personnification de la nature et veillant au bon accomplissement de chaque destinée humaine – sont identifiés par un trait de caractère et des couleurs précises. Lam les interprète telles des hybridations mi-hommes, mi-femmes, mi-animaux, aux visages en losange ou en demi-lune... Il fait de ces différentes divinités religieuses et statuettes africaines une synthèse formelle : il a en effet l’art de rapprocher toutes les croyances et de métisser les religions. "Il est toujours dans l’évocation, jamais dans l’illustration" souligne la conservatrice du musée. Et c’est là toute la force de Wifredo Lam : intégrer et créer tel un alchimiste, doublé d’un passeur, un nouveau langage pictural, riche de plusieurs héritages et affranchi de ses antécédents.
Delphine Blanchard
Crédits photos
Toile 1 : Madame Lumumba. 1938. Gouache sur papier. © Conseil Général (Espace culturel Multimedia – Pavillon Bougenot)
Toile 2 : Tête [Canaïma]. 1947. Huile sur papier marouflé sur toile. © S.D.O. Wifredo Lam
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