
20ème Festival du cinéma espagnol 2010
"La perdida" : Une génération manquante en Argentine
Propos recueillis lors de la cosmorencontre avec Enrique Gabriel le Samedi 20 mars
La perdida, documentaire très pertinent coréalisé par Javier Angulo et Enrique Gabriel, tente d’expliquer les raisons de la décadence de l’Argentine après 20 ans de démocratie. Elle serait due à la perte d’une génération d’intellectuels et de scientifiques ayant dà » fuir Argentine. Bien que le film ne prenne aucun parti pris politique, il amène les gens à se demander quelle serait la situation de l’Argentine sans l’exil de ses têtes pensantes.
La perdida est né d’une association entre un cinéaste argentin vivant en Europe depuis les années soixante-dix et un journaliste Espagnol. L’un, Enrique Gabriel, a regardé la crise économique Argentine de 2001 depuis l’Europe devant sa télévision, l’autre, Javier Angulo, a vécu les événements sur place. Tous deux se sont posés la même question : mais pourquoi cette décadence ? C’est après une longue série d’investigations sur l’Histoire de l’Argentine qu’ Enrique Gabriel et Javier Angulo se sont aperçus qu’il y avait une génération manquante en Argentine. Une absence qui peut expliquer la difficulté de l’Argentine à évoluer après 20 ans de démocratie. La thèse exprimée dans le film est donc très originale. Une multitude de films évoquent les disparus politiques, mais aucun ne s’intéresse à la perte qualitative dont à été victime l’Argentine suite à l’exil de nombreux intellectuels et scientifiques.
A quoi ressemblerait l’Argentine si elle n’avait pas été dépossédée de cette brillante génération
Le plus difficile n’est pas d’obtenir la démocratie mais de la conserver
Le film se construit autour de douze protagonistes ayant réussi leur vie dans leur pays d’adoption qui témoignent de leur passé et évoquent les raisons pour lesquelles ils ont émigré. Les personnes interviewées sont des scientifiques et intellectuels qui parlent de leurs expériences professionnelles. D’après Enrique Gabriel, « ils n’ont pas la nostalgie de l’enfance, mais de la perte ». Une question persiste alors : à quoi ressemblerait l’Argentine si elle n’avait pas été dépossédée de cette brillante génération ?
Des difficultés de diffusion
Aucun festival d’Argentine n’a retenu la perdida. Et bien qu’il ait été montré lors du festival de San Sebastian, il n a pas plu aux responsables argentins du jury. Enrique Gabriel pense que cette réticence est due à une sorte d’amertume que ressentent les Argentins restés au pays envers ceux qui l’ont fuit, ou l’ont abandonné. Une sorte de revanche à prendre. Le plus frustrant selon lui, c’est de pouvoir diffuser le film devant un public nantais très intéressé, sans pouvoir le montrer au peuple argentin. Les deux réalisateurs espèrent tout de même le diffuser dans deux salles à Buenos Aires. Le film pourrait aussi se propager via le réseau universitaire argentin. L’espoir réside donc dans les jeunes générations d’étudiants argentins. Pourquoi ne pas envisager, dans le futur, une thèse sur ce sujet ?
La non-reconnaissance des exilés après le retour à la démocratie.
Bien que la démocratie soit en place depuis une vingtaine d’années en Argentine, le degré de corruption est encore élevé, il n y a aucune garantie de stabilité de la démocratie : « Le plus difficile n’est pas d’obtenir la démocratie mais de la conserver ». Des injustices économiques et politiques persistent. D’ailleurs, lors du retour à la démocratie, les exilés de retour au pays n’ont reçu aucune aide des autorités, comme si on les avait oubliés. Dans le documentaire, un des protagonistes, écrivain, se rend au club d’écriture dont il faisait partie, huit ans après, pour demander à voir un des responsables. La seule chose qu’on lui répond, c’est qu’il a huit ans de retard sur ses cotisations. Cette anecdote évoque bien le manque d’intérêt, voire le déni qu’opposent les autorités aux intellectuels et scientifiques exilés. Paradoxalement, beaucoup d’Argentins se considèrent comme des exilés et ressentent parfois des difficultés identitaires. D’ailleurs, les Argentins, très attachés à leurs ancêtres européens, ont tous des origines diverses et possèdent souvent plusieurs passeports.
Violence et logique ne font pas bon ménage
Dans le documentaire, aucun des protagonistes n’appartient à un parti politique, aucun n’est un activiste, ce sont tous des pacifiques, voire des pacifistes. D’après Enrique Gabriel, « nous ne sommes pas tous des Jean Moulin », tout le monde n’est pas fait pour se révolter. Alors pourquoi la plupart de ces intellectuels interrogés ont-ils été torturés ? Il n y a aucune logique à cela. Peut-être les régimes dictatoriaux considèrent-ils le fait de « penser » comme un danger, un crime ? En tout cas, ce qui est certain c’est que « la violence et la logique sont incompatibles »
« L’Argentine n’a pas l’exclusivité de la mémoire historique » soutient Enrique Gabriel. Outre la thèse de la génération manquante en Argentine, ce film concerne au fond beaucoup de pays ayant subit un régime dictatorial. Une question se pose dès lors : « Comment passer la page, si on ne l’a pas lue » ? Faut-il tourner autour du sujet, sans mettre le doigt là où cela fait mal ou bien faut-il tourner le dos à l’Histoire pour un échec garanti.
Antoine Bernier
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