Festival des 3 Continents 2009
La vie est un mensonge
Rencontre avec Matias Piñeiro, l’unique représentant du cinéma latino-américain dans la compétition 2009 .
Minoritaire dans une programmation plus tournée vers l’Asie cette année, Todos Mienten, le second long métrage du jeune réalisateur argentin Matias Piñeiro, n’est pourtant pas passé inaperçu. Cette fiction qui au premier abord développe une trame simple (le quotidien d’une bande de jeunes argentins isolés dans une maison de campagne) brille par la modernité et la vitalité de sa mise en scène. Mais la complexité croissante du récit intrigue tout autant et a parfois laissé le spectateur partagé entre engouement et perplexité.
Todos Mienten, c’est l’histoire d’un groupe de jeunes, filles et garçons, réunis dans une maison de campagne, coupés de la civilisation, sans téléphones portables ni ordinateurs. L’une d’entre eux, Helena, écrit un roman, d’autres manigancent un trafic de tableaux, tous vont et viennent, complotent les uns contre les autres, les filles contre les garçons…Et la narration d’Helena vient progressivement se mêler à la réalité de la vie du groupe, liant le présent de deux des personnages au passé de l’Argentine et aux deux figures historiques et politiques du pays qu’ont été Domingo Faustino Sarmiento et Juan Manuel de Rosas.
Matias Piñeiro fait se superposer les trames avec le sens de l’humour et de l’intrigue. La mise en scène minimaliste contraste avec la densité des dialogues et des mouvements. Les plans-séquences tranchent avec les personnages qui passent et repassent à travers eux et les dialogues hors champ qui les remplissent. Le spectateur observe, écoute, suit ou essaie de suivre, entraîné malgré lui dans un complot où le mensonge semble la meilleure clé pour s’en sortir.
Fragil : Todos Mienten intègre dans son intrigue une œuvre de Domingo Faustino Sarmiento, un homme politique du XIXéme siècle emblématique de l’histoire de l’Argentine, qui avait déjà été à la base de votre premier long métrage El hombre robado. Pourquoi cette fascination pour Sarmiento ? Volonté didactique ou démarche esthétique ?
Au même titre que Borges, Sarmiento a été un génie national. On le connaît surtout pour son action politique et éducative. Il est le fondateur du système scolaire argentin et est enseigné comme le « maître des classes » en Argentine. Mais on connaît moins l’homme de lettres, et c’est cet aspect là que je voulais dévoiler. Il est le premier à avoir fait de sa pensée une œuvre littéraire. Ses textes, même basés sur le réel, sont pleins de fiction, et c’est un bon matériel car Sarmiento est une figure très mobile, très instable et très controversée, il a donc une grande adaptabilité. De plus, la contradiction représentée par la pensée de Sarmiento, qui oppose civilisation et barbarie, est encore un sujet sensible aujourd’hui en Argentine.
Je crois que le mensonge est plus humain que la vérité et qu’il faut d’abord passer par lui pour accéder à la vérité
Fragil : Le film repose également sur le thème du mensonge et du jeu, dont la règle semble finalement être « Que le meilleur menteur gagne ». Est-ce qu’on doit y voir une apologie du mensonge ? N’est-ce pas une vision un peu pessimiste des rapports humains ?
Non, en fait le mensonge est pour moi une activité d’invention, un lieu de création : il est plus ouvert que la vérité, il crée et ne tue pas, il ouvre aux champs des possibles. Il donne une existence à un monde parallèle ou la création est facilitée. Je crois que le mensonge est plus humain que la vérité et qu’il faut d’abord passer par lui pour accéder à la vérité. Je préfère aller vers la vérité par le chemin indirect du mensonge et me méfier de l’idée de croire qu’on détient la vérité.
Fragil : Les rôles féminins sont très forts, c’est Helena qui mène le jeu. Les filles sont complices entre elles et manipulent les hommes, elles les droguent, ou profitent de leur naïveté. Pourquoi cette image de femmes fatales ?
(rire) On peut voir ça comme ça, je ne m’en étais pas vraiment rendu compte. En réalité, les filles qui jouent sont des amies à moi. J’étais donc plus proche d’elles que des hommes et j’ai pu davantage travailler leurs personnages. Je voulais leur donner une force qu’en général elles n’ont pas, du moins dans l’idée qu’on a d’elles traditionnellement en les voyant comme simples sujets d’amour. Je trouve leur complicité jolie. Les femmes ici « mangent les hommes », cela donne un nouvel équilibre à la narration.
Fragil : Complot, mensonges, drogue, alcool, sexualité sous-jacente, voilà une jeunesse pas très « catholique ». Vous dîtes souvent refuser l’idée d’un cinéma moralisateur. Est-ce que cela participe de l’anti-moralisme de votre cinéma ?
Oui, je crois que trop de gens vont au cinéma comme on va à l’Eglise, dans l’attente d’une vérité toute faite. On n’aime pas tellement le doute. Certains me posent la question : « Mais quelle vision de l’amour veux-tu faire passer ? » Je n’ai pas de message à faire passer, pas de définition préconçue de l’amour. C’est l’ambiguïté, la contradiction de l’humain qui m’intéresse.
Fragil : Un fond d’anti-moralisme doublé d’une forme anti-conformiste, est-ce la clé de votre modernité, qu’on salué les directeurs de la programmation du festival ?
C’est sûr que c’est un film rapide, baroque, qui se différencie d’un récit traditionnel par sa forme, et c’est peut être là que je me différencie des autres. La structure est mystérieuse, plus paranoïaque, surprenante, mais le film reste un film narratif avec un début, un développement et une fin. Je suis attaché à la forme mais pas au point d’être en marge et de tomber dans l’excès de la forme. Je profite de l’espace dont je dispose qui, si minime paraît-il, n’est finalement pas si petit et crée peu à peu l’action. Je crois qu’au bout d’un moment la forme fait le fond.
Je n’ai pas de message à faire passer, pas de définition préconçue de l’amour. C’est l’ambiguïté, la contradiction de l’humain qui m’intéresse.
Fragil : Une narration, oui, mais avec des trames qui s’entremêlent, des dialogues qui se superposent, des figures qui se croisent…Cela demande une forte attention du spectateur, voire une participation active, n’avez-vous pas peur qu’il « décroche » ?
C’est justement contre le risque qu’il « décroche » que j’instaure cette relation avec le spectateur. Je le fais complice de l’intrigue, et par-là même, il devient personnage, acteur du film. Je veux qu’il puisse développer une réflexion personnelle sur le film, que le film parle personnellement et non « massivement », il doit intégrer le spectateur qui doit se donner aux choses. J’ai pu observer que les jeunes étaient plus sensibles à ça que les personnes plus âgées, qui se prêtent moins au jeu et qui souvent me disent qu’elles n’ont pas compris. Mais cette réaction est la même en Argentine, au Chili, au Japon ou à Nantes.
Fragil : Les directeurs de la programmation, Jean-Philippe Tessé et Jérôme Baron, ont expliqué la faible présence du cinéma latino-américain cette année dans la programmation par la « pauvreté » des films produits cette année en Amérique latine. Etes-vous d’accord avec ça et comment l’expliquez-vous ?
Concernant l’Argentine, il y a eu un « boom » de la production cinématographique il y a une dizaine d’année, avec lequel le cinéma argentin a connu un âge d’or. Il se peut qu’il y ait aujourd’hui une retombée. Quant au cinéma latino-américain en général, je crois qu’il y a un défaut chez les nouveaux cinéastes, c’est qu’ils sont trop attentifs à ce que désire l’Occident, ou ce qu’ils croient que celui-ci désire, et font leur cinéma pour répondre à une demande. Ils se complaisent dans un cinéma « attendu », qui n’étonne plus les étrangers, lesquels cherchent justement à être surpris.
Fragil : Avez-vous d’autres projets en cours ?
Oui, je prépare un moyen métrage qui devrait sortir au mois de janvier. J’ai changé d’ « obsession », c’est sur Shakespeare cette fois. Mais je travaille toujours dans la continuité, avec le même groupe de personnes. C’est peut-être un essai, ou une partie d’un prochain long métrage…
Elsa Briand
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