
Rock noise paléolithique
Le bruit des choses qui s’écroulent : 13 minutes avec Grey Skull
Grey Skull, Les Instants Chavirés, Paris, 4 avril 2008
Vendredi 4 avril. Grey Skull, trio noise du Western Massachusetts, fait 7 heures de route entre Amsterdam et Paris pour un concert aux Instants Chavirés qui durera à peine 13 minutes. Un peu bref, oui. Mais un tour de force pour un groupe qui dépense tant d’énergie sur scène qu’il ne peut promettre que “de jouer jusqu’à ce [qu’il] n’en [puisse] plus”. Compte-rendu d’un assaut sonique qui ne pouvait finir que par… un effondrement.
Quand George Myers, Dan Cashman et Jeff Hartford de Grey Skull (Breaking World Records) entrent en scène, on voit tout de suite qu’il y a quelque chose qui cloche. D’abord, leurs instruments ne sont pas accordés — en tout cas pas de manière à produire quelque chose qui mériterait le nom de rock ’n’ roll. Et puis, quelques cordes de la guitare de Cashman et de la basse de Myers sont cassées – sans doute les retombées de leur dernière session thrash au Pays-Bas, mais tout de même un peu troublant à voir au début d’un concert. Enfin, plus troublant encore, la cymbale de Hartford semble avoir été écrasée par une voiture. Ou, du moins, fracassée par une batte de base-ball jusqu’à ce qu’elle ressemble plus à une fleur fanée qu’à un objet destiné à produire des sons.
Une performance à base de son… Heavy Metal
Dès les premiers drones épais de la basse de Myers, le public se trouve confronté à quelque chose qui ressemble plus à une caricature d’un concert qu’à un concert en soi. Pas n’importe quel concert, mais le plus gras, le plus brut, le plus ridicule des concerts de "Heavy Metal" que l’on puisse imaginer. Myers et Cashman agitent leurs instruments de haut en bas, plongés dans l’extase d’un solo virtuose à la Black Sabbath – seulement, chez eux, on n’entend aucun riff, aucun solo. Hartford pousse quelques grognements sauvages puis plonge dans son "headbanging" si caractéristique, ses longs cheveux châtains se balançant à une violence telle qu’ils pourraient mettre un enfant au tapis. Pourtant, il n’y a aucune pulsation sur laquelle il puisse se caler. Oui, il y a vraiment quelque chose qui cloche sur cette scène.
Oui, il y a vraiment quelque chose qui cloche sur cette scène.
Les singeries qui suivent tiennent moins de la performance musicale que d’une performance théâtrale dont les effets secondaires sont musicaux. Myers triture un enchevêtrement de mixeurs et de pédales reliées à sa basse, tel un savant fou qui peaufinerait sa machine destinée à détruire la planète ; les sons qui en résultent sont aléatoires, parfois stridents. Cashman, sorte d’ado troglodyte à guitare, nous berce de ses habituels bafouillements inintelligibles, ponctués de quelques injurieux "Fuck you !" Jeff Hartford, lui, pénètre la masse sonore dissonante de son martèlement symétrique, tel une sorte de Barney Flintstone hard rock qui aurait perdu son sens de l’humour. Alors que les sons produits par la guitare de Cashman et la basse de Myers menacent de faire du hors-piste, sa raclée mécanique donne une structure et une raison à la cacophonie générale – tout bien considéré, sa batterie reste l’instrument le plus mélodique de l’ensemble.
Il y a quelque chose remarquablement paléolithique dans la musique de Grey Skull, quelque chose de pré-verbal, de pré-musical, presque. Trois hommes des cavernes reçoivent en cadeau une guitare, une basse et une batterie, accompagnés d’un message décrivant sommairement ce que sont le rock et comment se déroule un concert de rock. Convaincus que cela pourrait être une façon de s’attirer la faveur des dieux, ils tentent de recréer le "rock ’n’ roll" sans jamais l’avoir entendu.
Un son qui pourrait briser une guitare en deux…
En plus de mettre à mal les notions traditionnelles de mélodie et de rythme, les performances irrévérencieuses de Grey Skull malmènent le culte parfois voué aux instruments. Les trois compères sont connus pour balancer leur matériel dans tous les sens. Myers et Cashman jettent régulièrement leurs "noisemakers", comme des enfants hyperactifs qui ont subitement perdu tout intérêt dans la petite voiture avec laquelle ils jouaient un instant auparavant. Un jeu d’enfant… mais beaucoup plus dangereux : ce soir-là, aux Instants Chavirés, Myers attrape un mixeur et laisse tomber sa basse… du haut de la scène ! L’instrument, littéralement cassé en deux, devra faire l’affaire pour le concert du lendemain, à Anvers ; Grey Skull voyage léger.
L'instrument, littéralement cassé en deux, devra faire l'affaire pour le concert du lendemain, à Anvers ; Grey Skull voyage léger.
En guise de bouquet final, Dan Cashman grimpe sur un ampli, puis plonge dans la foule, provoquant une véritable explosion de pogos et de hurlements. Son travail accompli, il remonte sur scène et s’effondre d’épuisement. Au-dessus du feedback final, une voix retentit du fond de la salle : "Y en a marre de ces conneries. Tu pourrais pas jouer des Beatles ?" Une injure du même acabit que l’injure que constitue les 13 minutes du set de Grey Skull, mais aussi le genre de réaction que le groupe cherche à provoquer. Vous n’entendrez rien qui ressemble aux Beatles, à un concert de Greyskull, mais vous aurez certainement une idée de ce qu’aurait été la musique des Beatles si le groupe était né à Stonehenge, en l’an 2200 avant notre ère. Oogachaka.
Emilie Friedlander
A écouter :
Soft Spot, Breaking World Records, 2008.
Dan Cashman et George Myers ne sont pas seulement musiciens, ils sont aussi Djs professionnels et co-fondateurs de leur propre label indépendant, Breaking World Records.
Bloc-Notes
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