
Festival SOY 2008
Chris Corsano, Mick Flower, et l’extase de l’abandon
Entretien avec Chris Corsano et Mick Flower, novembre 2008
Le mois dernier, au Festival SOY, plus d’une centaine d’auditeurs plein d’espoir se pressaient dans un petit bar du coin pour assister à une extatique performance entre Chris Corsano, prodige de la batterie originaire de la Nouvelle Angleterre, et Mick Flower, gourou du drone britannique. Fragil ne pouvait pas manquer l’occasion de leur poser quelques questions. Retrouvez cet article en version anglaise.
Peut-être faut-il féliciter d’un tel succès les Nantais, capables de mobiliser des foules pour le genre de concert qui n’attirerait normalement qu’un petit cercle d’aficionados de l’expérimentation et de l’improvisation. Mais peut-être en faut-il féliciter Corsano et Flower eux-mêmes, qui, avec The Radiant Mirror, leur premier LP, ont concocté quelque chose qui n’est pas éloigné d’un cross-over. Leur instrumentation est simple : une batterie, un sac plein d’objets incongrus (des bols tibétains, quelques bâtons, quelques vêtements, une corde de guitare et son pont), et un instrument indien assez rare, qui sonne comme un sitar sous stéroïdes électroniques. Et pourtant, presque par magie, Corsano et Flower arrivent à condenser les plus hautes envolées de l’euphorie humaine en une seule onde sonore, s’étirant et palpitant à l’infini.
Corsano et Flower arrivent à condenser les plus hautes envolées de l’euphorie humaine en une seule onde sonore, s’étirant et palpitant à l’infini.
Fragil : Quand et comment avez-vous commencé à jouer ensemble ? Était-ce avec le Vibracathedral Orchestra, ou votre amitié musicale est-elle plus ancienne ? À quelles autres occasions avez-vous joué ensemble ?
Chris Corsano : Notre duo date de juin 2005, d’un concert qu’on avait demandé à Mick de faire à Leeds. C’est donc lui la tête pensante. Nous avions déjà joué deux fois en 2004 au sein d’un bien plus grand ensemble, quand Paul Flaherty et moi collaborions avec le Vibracathedral Orchestra. Plus tard, en 2005, j’ai joué plusieurs fois en tant qu’invité dans le Vibracathedral Orchestra (un concert par-ci, une jam par-là), mais je n’en ai jamais été membre à part entière.
Qu’est-ce qu’un banjo japonais, et comment en joue-t-on ?
Mick Flower : C’est un instrument indien, quelque chose entre le tympanon et l’autoharp – il a dix-sept cordes. Le mien est électrique, avec des micros et une finition sunburst.
Quand on écoute The Radiant Mirror, entend-on seulement un banjo japonais et une batterie, ou bien ajoutez-vous d’autre instruments (ou objets) à l’équation ?
Mick Flower : Oui, c’est juste un banjo japonais et une batterie. Il y a aussi un tampura électronique qui bourdonne tout le temps, mais on ne peut l’entendre que lorsqu’on joue doucement.
L’idée était simplement d’appuyer sur le bouton [rec], de jouer pendant un moment, et de s’occuper de corriger et modifier certaines choses plus tard.
Écoutiez-vous beaucoup de musique indienne lorsque vous avez enregistré The Radiant Mirror ? Si oui, quel genre ? Vouliez-vous consciemment renvoyer à ces influences ?
Chris Corsano : J’écoutais alors et j’écoute toujours E. Gayathri, Shruti Sadolikar, Nikhil Banerjee, Bismillah Khan, Debashish Bhattacharya, Veena Sahasrabuddhe, Alla Rakha, Zakir Hussain, et aussi un peu de musique du Pakistan (en particulier Nusrat Fateh, Ali Khan et Aziz Mian). Je ne dirais pas que nous faisons consciemment l’effort d’émuler ou d’adapter ces influences, mais nous ne les renions pas non plus.
Quel genre de “planification” avez-vous établi quand vous avez décidé d’enregistrer l’album ? Avez-vous décidé en amont de certains éléments stylistiques ou structurels, ou bien vous laissiez-vous simplement porter par l’inspiration ? J’imagine que je suis simplement en train de vous demander de décrire un peu votre processus de travail…
Chris Corsano : Je crois que l’idée était simplement d’appuyer sur le bouton [rec], de jouer pendant un moment, et de s’occuper de corriger et modifier certaines choses plus tard. Ce que nous faisons est toujours improvisé, bien que les instruments et les accordages que nous utilisons soient toujours à peu près les mêmes. Il reste encore un tas de trucs à faire au sein de ce cadre.
Comment le projet évolue-t-il quand vous jouez live, en fonction des lieux, des auditoires, des états d’esprit ? Y a-t-il des éléments qui restent les mêmes dans toutes les performances de Corsano et Flower, exceptés Corsano et Flower eux-mêmes ?
Chris Corsano : Je dirais que les choses changent beaucoup. Rien que lors des concerts que nous avons fait récemment (Aalst, Nantes, Paris), la longueur, la structure, la dynamique des différents sets était très différente.
“Free” et ce genre d’étiquettes sont juste des raccourcis, auxquels je ne me raccroche pas trop.
Quels ont été les défis que vous avez relevé pour enregistrer votre album ? Qu’avez-vous appris de cette expérience ? Avez-vous beaucoup changé votre approche ?
Chris Corsano : Je n’ai pas le sentiment d’avoir travaillé différemment avec Mick. Fondamentalement, je réagis à ce qu’il fait, tout en essayant d’apporter ma touche personnelle. Si ce que je fais avec Mick sonne différemment de mes autres projets, eh bien, je dirais qu’il faut en créditer Mick, dont le son est unique.
Qu’est-ce que la liberté, en musique, signifie pour vous ? Je ne parle pas de la liberté dans un sens très précis, je pense juste à cet espace ouvert que vous vous efforcez de cultiver quand vous décidez de jouer ou d’enregistrer ensemble. “Libre”, “free” est un mot pas mal utilisé en critique musicale, mais il est finalement aussi ambigu dans ce contexte que dans le contexte politique. Ça m’intéresse de savoir ce que vous en pensez, surtout qu’on utilise généralement ce mot quand on parle de vous.
Chris Corsano : Tu as raison, c’est vraiment ambigu. On peut considérer que cela renvoie à l’émancipation de contraintes comme des structures ou des partitions prédéfinies (ce que nous faisons), ou bien à l’émancipation d’une pulsation constante (ce que nous faisons parfois, mais pas tout le temps), ou bien encore à l’idée d’une ouverture d’esprit quant à la forme que peut prendre la musique. En fait, “free” et ce genre d’étiquettes sont juste des raccourcis, auxquels je ne me raccroche pas trop.
Retrouvez cet article en version anglaise.
Propos recueillis par Emilie Friedlander
Traduction : Sophie Pécaud
Photos : Hrvoje Goluza
À écouter :
Chris Corsano/Mick Flower Duo, The Radiant Mirror, Textile Records, 2008.
Liens :
Myspace de Chris Corsano
Site du Vibracathedral Orchestra
Site de Textile Records
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