
New Weird America
“Sit down, tune in, drop out” : une soirée avec Tom Carter et GHQ
Tom Carter + GHQ, Café Grimault, Nantes, 21 mars 2008
À peine nos oreilles étaient-elles reposées des performances étourdissantes de Sunburned Hand of the Man et de Jackie O’Motherfucker au Festival Soy de l’automne dernier, que le son extatique de l’underground psychédélique américain était de retour à Nantes, vendredi 21 mars, avec Tom Carter et GHQ - cette fois, cependant, sous une figure plus paisible.
Vendredi 21 mars, Nantes. Le café Grimault, petit bar de style “saloon américain” du quai de Versailles, est plein à craquer bien avant 20 heures. Ce n’est pourtant qu’à 21 heures que Tom Carter (Austin, Texas) et deux membres du trio new-yorkais GHQ (Marcia Basset et Steve Gunn) se mettent à table et commencent à picorer leur salade en devisant, sourds au vacarme d’un public de plus en plus impatient. Le décalage de deux heures entre l’heure annoncée et l’entrée en scène de Carter donne le ton de la soirée – Carter et GHQ nous offrent une musique patiente, posée, une exaltation sonique accessible à ceux-là seuls qui sont prêts à s’asseoir, respirer, écouter et s’abandonner aux bienfaits d’un petit voyage hallucinatoire.
Tom Carter : des airs fugitifs
Hypnotique, oui. Répétitif, statique, minimal, non. L’affiche de la soirée organisée par l’association Yamoy, qui qualifie la musique de Tom Carter (Kranky) de “drone psyché”, est peut-être un peu réductrice. Loin de créer une musique fondée sur la répétition de notes statiques (de drones, au sens traditionnel du terme), le guitariste texan, véritable sorcier, brode une tapisserie riche de sons surnaturels et d’inflexions mélodiques fugitives. Sa démarche, basée sur l’improvisation, repose sur la superposition de sons mis en boucles, réverbérés et retardés – un procédé sans doute facilité par l’amas de pédales, mixeurs et hauts-parleurs qui repose à ses pieds.
Au cœur de la musique de Tom Carter gît une fascination pour les possibilités acoustiques de la guitare.
Au cœur de la musique de Tom Carter gît une fascination pour les possibilités acoustiques de la guitare – non pas instrument unique, à voix unique, mais multitude de voix, toutes prêtes à être découvertes moyennant un peu de bricolage. Le champ sonore tendu, hypersensible créé par l’utilisation de nombreuses pédales et artifices électroniques lui permet d’expérimenter diverses techniques de jeu – à certains moments, il “joue” de sa guitare en ne battant qu’un doigt sur les cordes tout près du chevalet, à d’autres, en frappant le corps de son instrument avec sa main gauche ou, aux moments les plus calmes, en abandonnant sa main droite et en ne plaçant que ses doigts sur les frettes. Le résultat : une multitude de sons, du wah-wah au souffle d’un nourrisson, du violon chinois aux cloches. Une diversité si surprenante que l’auditeur ne peut s’empêcher de se demander si Christina Carter (sa collaboratrice de longue date au sein des détonants Charalambides) ne se cache pas quelque part dans les coulisses.
Loin d’être vaines, les explorations électroacoustiques de Carter enrichissent véritablement son discours mélodique. Son but est moins de nous montrer ce qu’il arrive à tirer de son instrument que ce qu’un son donné peut faire. Le résultat est un contrepoint hallucinatoire d’échos et de mélodies fugitives, une musique qui rebondit dans les coins de la pièce avant de se dissoudre dans l’air.
GHQ : “Chacun d’entre eux était plusieurs”
Suivent Marcia Basset et Steve Gunn de GHQ (Three Lobed), cette fois sans leur collaborateur Pete Nolan. Bassett (Double Leapords, Hototogisu, Zaimph), le visage caché par une abondante chevelure blonde, introduit un bourdon semblable à celui d’un râga sur un alto déglingué, pendant que Gunn (Magik Markers, Moongang) tire de sa guitare électro-acoustique quelques notes scintillantes. Ils sont new-yorkais, certes, mais leur musique est aussi éloignée de ce pays de métros, de lumières flamboyantes, de bodegas de 24 heures et de Dow Joneses que nous autres le sommes, ici, de ce côté de l’Atlantique – et peut-être plus encore. Pour reprendre le titre de leur dernier album, Crystal Healing (2007), leur musique s’insinue dans les deux pièces du café comme un encens médicinal entêtant, apportant avec lui les muscs et les fragrances de pays aussi lointains et sauvages que l’Extrême-Orient et le Sud profond, les Appalaches et la Perse.
Ici, comme dans la musique de Tom Carter, la réverbération et le delay règnent en maîtres absolus.
Ici, comme dans la musique de Tom Carter, la réverbération et le delay règnent en maîtres absolus. L’instrumentation de GHQ (alto et guitare, guitare et guitare, guitare et voix) est faussement minimale ; la distorsion, procédé magique, démultiplie à l’infini leurs instruments. Basset, serrant fort son alto contre son torse, provoque un tremblement presque surnaturel du bois de son archet – en résulte un son indien, le son d’un sitar, non, d’une douzaine de sitars jouant simultanément. Ses motifs mélodiques cycliques, restreints à un nombre limité de notes (un des principes fondateurs du râga indien), évoquent l’Extrême-Orient, tandis que le picking de Gunn nous transporte dans un tout autre univers : John Fahey parcourant l’Orient, tissant les mélodies locales dans une ode au pays qu’il aime, et baissant son chapeau, en passant, à Sir Richard Bishop et à sa guitare espagnole.
Dans le jeu de Gunn, il y a un son que l’on ne peut appeler autrement qu’américain ; pas “américain” au sens de l’Amérique actuelle, mais “américain” au sens d’une Amérique d’autrefois, sauvage, fertile et rude. Et bien qu’on ne puisse saisir les histoires que Gunn raconte quand il attrape son micro, on entend, surgissant de sa voix, les fantômes des bluesmen d’avant-guerre. Magnifique.
Comme beaucoup d’autres artistes qui tombent sous la catégorie un peu pêle-mêle de “New Weird America”, Tom Carter et GHQ fournissent un remède maison à la vie occidentale moderne. Et même si l’on ne peut pas trop dire où leur musique nous transporte, quand elle nous transporte, on peut être sûr que ce n’est pas ici. Oh non, pas ici.
Emilie Friedlander
Photos : Bill T Miller
A écouter :
Tom Carter, Monument, Wholly Other, 2004.
GHQ, Crystal Healing, Three Lobed, 2007.
GHQ, Pyramid Merchandise/Blue Silence (EP), Three Lobed, 2007.
GHQ, Heavy Elements, Three Lobed, 2006.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses