Goldoni à l’opéra
"Le Monde de la Lune" : quand la magie des voix transcende le théâtre...
Angers-Nantes Opéra
En programmant "Le Monde de la Lune" de Joseph Haydn, Angers Nantes Opéra vient d’offrir un éclatant moment de bonheur et de nous prouver, une nouvelle fois, combien l’opéra est un espace de vie et d’émotions profondes et vraies.
Le livret de cette oeuvre, créée en 1777, s’inspire d’une pièce du dramaturge vénitien Carlo Goldoni, dont les textes de théâtre ont nourri de nombreux autres compositeurs. Puisant aux sources de la commedia dell’arte, l’auteur italien exploite toutes les possibilités offertes par le masque, pour mieux traquer la vérité. Ainsi, ce ’monde de la lune’ ,mystification faite par le faux astrologue Eccletico pour berner Buonafede, à des fins amoureuses, se révèle-t-il un monde de tous les possibles. Ce n’est pas un hasard, en plein XVIIIème siècle, que le valet Cecco se travestisse en empereur dans ce monde utopique et idéalisé (on pense à l’île des esclaves de Marivaux). L’initiation du naïf Buonafede le conduit à plus de tolérance et à accepter des mariages qu’il ne pouvait concevoir. S’agissant d’une comédie d’un des maîtres du genre, la direction d’acteurs est ici essentielle. C’est précisément un comédien, Yoshi Oïda, qui signe la mise en scène.
L’importance du théâtre
Cet artiste, au parcours très riche, a travaillé de nombreuses années avec Peter Brook et a notamment été l’un des protagonistes du fascinant Mahabarata en 1987. On trouve des traces de cette collaboration ici avec des éléments d’un théâtre en train de se faire et de se construire sous nos yeux, pour mieux affirmer le plaisir du jeu. La première image est très belle : tous les artistes sont alignés,durant l’ouverture, et écoutent la musique avant d’entrer dans leurs personnages. On croit voir une troupe. Le rythme du spectacle est frénétique et il y a des instants d’une grande poésie, grâce aussi aux lumières irréelles de Françoise Michel et aux costumes parfois surréalistes de Antoine Kruk : l’apesanteur est suggéré par des ballons suspendus aux vêtements argentés des supposés habitants de la lune.
Le rythme du spectacle est frénétique et il y a des instants d'une grande poésie
Un discret hommage à Marcel Marceau
Yoshi Oïda s’est assuré la collaboration de la chorégraphe Caroline Marcadé, qui pratique avec les comédiens un exaltant travail sur le corps. La création qu’elle a effectuée avec les interprètes nous rappelle que l’opéra est un art total. Deux comédiens-danseurs, Vincent Choppin et Samuel Vittoz, complètent l’action avec raffinement et sensibilité. Successivement vieillard et jeune fille, figures lunaires, amant et maîtresse, ils incarnent ces figures avec beaucoup de grâce et de poésie, sans basculer dans la caricature. Prolongements de la musique et des voix, leurs présences nous rappellent ce ’théâtre du silence’, le mimodrame, défendu par Marcel Marceau, récemment disparu.
Le miracle des voix
La distribution réunie est homogène et les frissons qui parcourent la salle, à certains moments, sont sensibles. La voix humaine exerce un vrai pouvoir et la partition contient des pages particulièrement vibrantes. Pascale Beaudin fait des vocalises aériennes de sa voix suave et toujours émouvante. Simon Edwards interprète Ecclético avec virtuosité, grâce et souplesse. Le baryton Nigel Smith prête son timbre riche à Buonafede et la mezzo Louise Callinan, qui était une des trois dames dans le film la flûte enchantée de Kenneth Branagh est étourdissante en Lisetta. Mathias Vidal, qui a déjà chanté le rôle de Cecco à Nice et à Reims, réussit l’improbable transformation du valet en empereur de la lune, dans une interprétation touchante, avec une riche palette expressive. Tous ces artistes contribuent à un kaléidoscope de couleurs et d’énergies, subtilement dirigé par Jean François Verdier. Ce spectacle, produit avec l’opéra de Rennes, sera repris à Luxembourg la saison prochaine : on ne peut que s’en réjouir et souhaiter d’autres représentations.
Christophe Gervot
Photos Laurent Guizard
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses