Bande dessinée
Schuiten et Peeters : des nouvelles du monde obscur
Rencontre avec F. Schuiten et B. Peeters
Grands représentants de la BD francophone, inventeurs créatifs d’un monde parallèle au nôtre illustré par le fameux cycle des Cités obscures, François Schuiten (dessin) et Benoît Peeters (scénario) étaient à Nantes dans le cadre du festival Les Utopiales afin de présenter et signer leur dernier album La Théorie du Grain de Sable qui vient ajouter une nouvelle pierre à l’édifice des Cités. L’occasion de nous le présenter et de leur demander comment tout cela a commencé.
En pleine séance de dédicaces, l’un dessinant, l’autre signant, F. Schuiten et B. Peeters ont répondu en souriant à mes questions, sans trop ralentir le flux des amateurs venus faire dédicacer leurs exemplaires des Cités obscures. Pour les deux auteurs qui se connaissaient déjà de longue date, le cycle des Cités est une aventure qui remonte au début des années 80 et qui ne cesse depuis de prendre de l’ampleur, en termes d’albums mais aussi de sites web ou d’événements qui lui sont consacrés. Certains albums, tel le Guide des Cités, permettent même au non initié muni de son guide de voyage de s’orienter dans cet univers à part entière.
Pourtant, l’idée du cycle et de cet univers composé de cités à l’architecture et au mode d’organisation spécifique était-elle présente dès le départ ? Selon F. Schuiten, « Non, il n’y a pas eu de vision globale au début. Le premier album a été "Les Murailles de Samaris", puis La fièvre d’Urbicande, et là une cohérence, une certaine unité est apparue entre les albums. J’aime l’idée de découvrir en même temps que l’on fait. »
Les deux auteurs privilégient le plaisir de l’invention, de la découverte et des surprises à chaque album pour le lecteur. C’est par exemple avec l’Archiviste, ouvrage qui tient plus du livre illustré que de la BD, que s’est développée la notion de lieux de passage entre le monde obscur et le monde réel, incarnés pour les auteurs par la station de métro Arts et Métiers à Paris ou la maison Autrique (architecte V. Horta) à Bruxelles. Depuis, nombre de lecteurs recherchent et proposent eux-mêmes des passages. [1]
Bruxelles, ville modèle
On l’aura compris, chaque album contient des références, architecturales ou bien à travers des personnages, avec le nôtre tout en développant une histoire originale servie par un dessin fouillé au graphisme et à la poésie indéniables. « Le point de départ est toujours une histoire, puis la ville vient donner du corps, une dramatisation, un climat », insiste F. Schuiten. C’est là que Bruxelles intervient comme matrice pour les Cités obscures parce qu’elle est « composite, imparfaite, et idéale pour des recompositions mentales et graphiques ». Son double obscur se nomme Brüsel et connaît aussi des travaux fous [2] qui la métamorphosent. Brüsel incarne bien ce mélange d’ancien (maisons 1900) et d’éléments futuristes que l’on retrouve dans bien des albums (tours gigantesques, moyens de transports privés aériens).
Le point de départ est toujours une histoire, puis la ville vient donner du corps, une dramatisation, un climat
Pour F. Schuiten et B. Peeters les villes sont importantes, comme modèle d’organisation de la société notamment, mais ce qui est vraiment au centre des albums, c’est le fantastique, cette irruption de l’insolite, de l’étrange, au cœur du quotidien. L’Enfant penchée mais également le dernier né, la Théorie du Grain de Sable, en sont une bonne illustration. Dans ce dernier, toute une série d’événements inexplicables viennent perturber la vie des habitants de Brüsel. Le fil conducteur en est « le dérèglement du quotidien et son amplification, jusqu’à ce que cet univers fantastique trouve sa propre justification », précise B. Peeters. Un dérèglement incarné par la couleur blanche de plus en plus présente dans un album en noir et … beige. « Et il y aura encore plus de blanc dans le second album », sourit F. Schuiten.
De la BD non standard
Nous voulons sortir du carcan que représente souvent la série en BD, cela peut être satisfaisant pour le lecteur mais c’est monotone pour les auteurs. Chaque album correspond à un enjeu différent et à un format différent
Question couleurs justement, on peut noter que les auteurs passent allégrement du noir et blanc, façon gravure, à la couleur, souvent pastel. Question format également, pas de règles, on passe du format portrait classique, au format paysage, et de la taille d’album courante à des dimensions hors normes. « Nous voulons sortir du carcan que représente souvent la série en BD, cela peut être satisfaisant pour le lecteur mais c’est monotone pour les auteurs. Chaque album correspond à un enjeu différent et à un format différent » D’où les différentes techniques de narration mises en œuvre, l’usage de la photographie intégrée à l’histoire (L’enfant penchée) ou de l’illustration, qui font que plusieurs albums ne peuvent être considérés comme des Bd à proprement parler.
Avec les Cités obscures, F. Schuiten et B. Peeters invitent le lecteur à entrer dans un monde qui possède sa propre géographie, proche du nôtre et différent à la fois, permettant ainsi les jeux de miroirs, souvent déformants, trompeurs, mais aussi révélateurs. Le lecteur peut chercher à en découvrir les portes d’accès, seul, « il n’existe pas de voyage organisé vers les Cités », plaisantent les deux auteurs.
Emilie Le Moal
[1] urbicande.be : site des Cités obscures.
[2] Cf. album Brüsel
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