Valk ou la rouille dans tous ses sens.
Nantes est une ville qui se dit culturelle au sein de laquelle un certain nombre d’artistes s’expriment tout au long de l’année. Mais est-ce pour autant toujours simple pour les artistes nantais de se faire entendre et montrer leurs arts ? Afin d’illustrer cette question, Fragil’ vous propose de découvrir ou redécouvrir Valk, photographe nantaise à travers son exposition du moment : « Que fer ?  » Rencontre.
Avant d’aborder votre exposition du moment, votre actualité, pouvez-vous nous parler de vos précédentes expériences ?
L’année dernière j’ai fait ma première exposition, la première qui soit vraiment construite, suite à un défi lancé par des personnes que je ne connaissais pas trop. Ça fait des années que je fais de la photo, qu’on sait que j’en fais, qu’on en voit de temps en temps au niveau des artistes avec qui je travaille. J’ai fait des affiches pour Matthieu Bouchet, Science 89, ...
Mais je ne faisais pas d’exposition sur ce que je pouvais faire moi. Ça s’est fait de fil en aiguille. Je me suis rendue compte que le sujet le plus récurrent dans mon travail c’était la rouille que je pratique depuis longtemps et donc ça a été très facile de rassembler une trentaine de photos sur le sujet sur les années qui étaient passées. La première exposition c’était dix ans de rouille. Celle-ci c’est un an. Mais il n’y a pas une seule photo identique à celle de l’année dernière. Evidemment l’orientation des photos va être différente dans chaque lieu. Les photos n’ont pas de titres comme habituellement. Le but est que les personnes puissent se projeter dedans, projeter leur univers, se raconter. Moi, j’en fais autant, je me raconte des histoires et pour moi les photos ont des liens les unes avec les autres. Elles ont des histoires que je ne raconte pas parce que ce sont les miennes et que ce qui m’intéresse c’est de connaître celles des autres en fait.
Elles ont des histoires que je ne raconte pas parce que ce sont les miennes et que ce qui m'intéresse c'est de connaître celles des autres en fait
Comment avez-vous choisi ce lieu ; le Masque qui est un bar nantais ?
Je ne choisis que des lieux que j’aime bien en fait. Je connais le Masque depuis longtemps. Je m’y suis installée le 1er décembre pour l’exposition. Il y avait aussi le Versailles (25, Rue Adolphe Moitié) qui est quasiment mon Q.G. C’était un peu facile de commencer par là. Je me suis dit que je ne prenais pas trop de risques. Ça s’est super bien passé. Après il y a eu le café le Havre (4 rue Hermitage). Il y a de grands murs blancs donc c’était génial pour une deuxième exposition. Ça s’est arrêté là parce qu’en fait comme je fais le choix de ne pas protéger les photos, elles meurent et l’exposition meurt au bout de 2, 3, 4 mois grand maximum.
Pourquoi ce choix ?
Au départ c’était sur un plan esthétique, c’est-à-dire que je ne supporte pas les reflets sur les photos. Quand je vais voir une exposition c’est pas pour voir des reflets. Je pars du principe que j’ai envie que les gens voient mes photos. Ensuite, je me suis également dis que ça allait dans le sens de ce que je faisais puisque je bosse sur la rouille, et donc sur la non permanence des choses, sur l’usure du temps, les marques.
Comme l’exposition passe particulièrement dans les bars, il y a de la nicotine qui vient dessus, il y a le soleil, ... et tout cela abîme les photos.
L’année dernière, j’avais vraiment choisi un papier dessin exprès pour le trouble que ça peut provoquer. Certaines personnes se demandaient si c’étaient des dessins ou des photos. Du coup elles avaient vraiment vieilli très très vite puisque le papier était de moins bonne qualité. Celles-ci ont l’air de tenir un peu mieux. Ça a l’air de bien se passer. Le mois prochain je serais au Cascabel (1 rue Kervégan).
Comment réagit le public face à vos photographies ?
Je n’en ai pas vraiment eu beaucoup de critiques. Peut être que les gens n’osent pas non plus. Ce n’est pas facile de faire des critiques sur ce que fait quelqu’un. Cela demande beaucoup de courage. J’en ai eu 2 ou 3 qui étaient de l’ordre du « je n’arrive pas à rentrer dans tes photos ». Ce qui s’entend complètement. Moi la première, l’autre jour j’ai fait le test. Je me suis dit que j’allais regarder mes photos en oubliant le fait que j’aimais bien la rouille et effectivement ça peut tout à fait ne pas parler.
Ce n’est ni du concret, ni de l’abstrait, ce n’est pas de la photo vraiment, c’est de la photo quand même. Donc je comprends qu’on ne puisse pas rentrer dedans. Comme je viens souvent ici, je repère vite les gens que je ne connais pas et je peux voir leurs réactions. Je fais ma petite souris régulièrement parce que j’aime bien. Le mieux c’est quand les personnes se rapprochent au point de toucher les photos, n’osent pas trop et commencent à toucher le papier et se rendent compte que c’est peut être de la photo. J’adore les voir faire ce geste là.
Vous avez donc un rapport à l’art différent ? Vous ne mettez pas de limite, de distance ?
Quand c’est toucher pour toucher, ça ne me gène pas du tout. Par contre quand je vois quelqu’un se vautrer sur le mur et appuyer sa tête négligemment dessus, ça me pose plus de problèmes parce que ce n’est pas le même rapport à l’image. Après la personne n’a peut-être pas pris conscience qu’il y avait une exposition.
C’est une manière de faire vivre l’œuvre et c’est cela qui me plait dans mon travail. Mais peut être que dans 5 ans je ferai un truc où là ça sera : « attention pas toucher ». Pourquoi pas, les choses ne sont pas figées. Mais pour le moment, ce qui m’intéresse c’est le travail de la rouille et c’est le travail du temps. Toutes ces choses là, toutes ces nuances...
Quel a été votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené à penser la photo de cette manière ?
Le premier choc ça a été la prise de conscience de la beauté de ce qui m’entourait adolescente. C’était quand même assez puissant et c’est resté gravé. Après j’ai eu un appareil photo, j’ai commencé à déclencher et puis ça m’a intéressée. J’ai eu la chance de tomber sur une personne qui m’a vraiment poussé à réfléchir sur ce que je faisais en me disant que c’était intéressant.
Mon rêve était de rentrer aux beaux arts. Mais au lieu d’intégrer après le bac cette école, j’ai fait des études de langue. Après ça je me suis dit que j’allais retenter ma chance. En plus je faisais pleins de choses : la peinture sur soie, la fabrication de bijoux,... J’y suis allée avec un bagage d’artisane, ce qui est censé n’être pas bon du tout pour entrer aux beaux arts. Je suis rentrée et je suis ressortie aussitôt. Je n’y suis restée qu’un an.
Pourquoi n’être restée qu’une année ?
Je suis rentrée à 22, 23 ans donc je savais déjà que je voulais faire de la photo, et je m’attendais à trop de choses qui ne sont pas les beaux arts donc ça n’a pas fonctionné. Si, il y a des choses qui ont bien marché avec des professeurs, des découvertes super mais ils m’ont vite fait comprendre que passer une deuxième année serait du gâchis, que ce n’était peut être pas la peine d’insister.
Après j’ai bossé dans une boutique de photos, et j’ai mis le pied à l’étrier pour une compagnie de théâtre. Je suis devenue attachée de production, donc à bosser pour des artistes. J’ai continué à faire pleins de photos sur les spectacles, des choses comme ça et aussi des photos pour moi au fur et à mesure de la vie.
Pour être photographe, vous pensez qu’il faut un œil ? Est-ce que ça s’apprend ?
Je pense qu’on peut tout faire. Je pense qu’on peut n’avoir aucun talent et faire de magnifiques photos, parfaitement cadrées, ça provoque un effet. On peut également avoir du talent et faire n’importe quoi en terme de cadrage et s’en foutre des règles. C’est même important à un moment d’envoyer balader les règles pour pouvoir passer à autre chose, trouver sa propre personnalité et ça parlera ou non à d’autres personnes. Mais il y a l’idéal et l’idéal c’est d’avoir les deux : avoir un œil et apprendre la technique mais même sans s’en rendre compte.
Quelle est votre technique ? Comment choisissez vous vos sujets ?
Pour ce qui est de la rouille en particulier, en fait j’ai toujours mon appareil sur moi donc je ne la cherche pas. Si ce n’est que mon œil s’exerce tout le temps, mais pas que pour la rouille d’ailleurs. Il voit un truc, il fait oh c’est intéressant. La rouille, elle peut être en bas de chez moi comme à l’autre bout du monde.
Après en terme de technique de prise de vue, je me suis rendue compte à force, mais c’est peut être le passage au numérique qui fait ça, que j’ai tendance à éviter le plein soleil. Mais quand il est là et que je sais que je ne vais pas repasser dans le coin, je la fais quand même et dans ces cas là je les prends sous exposées de manière à saturer les couleurs. Après je les retravaille sous photoshop. Je m’éclate sur l’ordinateur à rendre vraiment ce que j’ai vu. Elles ne sont pas trafiquées, c’est-à-dire que les couleurs ne sont pas changées par contre elles sont retravaillées parce que sinon elles seraient grisounnes. Elles ont été prises d’une manière qui ne laisse pas le choix, elles doivent être retravaillées. Si je les prenais autrement, les blancs seraient cramés, le numérique a ce défaut là. Je préfère un noir bouché qu’un blanc absent. Techniquement ça donne ça.
Vous préférez travailler en numérique ou en argentique ?
En terme de qualité, l’argentique est pour l’instant encore supérieur au numérique, me semble-t-il. Ne serait-ce que pour une histoire de profondeur dans les couleurs. Après il y a des contingences matérielles qui font que c’est difficile. En couleurs, si on n’a pas son propre laboratoire (ce qui coûte relativement cher), il faut faire appel à un tireur professionnel, sur des papiers professionnels et là ce n’est pas ce prix là que je vendrais les photos, ça serait minimum 10 fois plus. Moi je fais le choix pour l’instant, et j’espère pouvoir garder ce choix là, d’un art accessible et donc je gère tout du début à la fin. En terme de confort le numérique est un plus, vraiment.
Nantes est une ville assez ouverte à ce genre d’exposition photographique ou est-ce que c’est difficile d’exposer pour les artistes ?
Ça dépend de ce que cherchent les artistes. S’ils cherchent des galeries, il y en a quelques unes mais par rapport au nombre d’artistes présents, c’est limité. Les lieux d’exposition en eux-même par contre c’est la croix et la bannière. La Mairie a perdu pas mal de lieux dans ses mouvements de locaux. Elle a fait des choix ou subit des contraintes, je ne sais pas, mais toujours est-il qu’il y a de moins en moins de lieux d’exposition en dehors des canaux bar, galerie, ... à Nantes. Il y a plusieurs lieux d’exposition uniquement dédiés à cela qui ont disparu malheureusement. Il y a énormément de demandes : entre les peintres et les photographes, c’est à peu près les mêmes lieux. Moi je me suis dit que j’allais au plus court : dans des endroits que je connais, que j’aime bien et si on m’y accepte tant mieux. Du coup c’est intéressant parce que c’est un public qui vient sans s’attendre forcément à voir une exposition et qui réagit quand même fortement.
Comment sont composées vos photos ?
Pour cette exposition, ce sont les photos où j’ai vraiment l’impression d’agir. Là c’est quasiment proche de la nature morte sur le principe. C’est dire que ça existe tel quel dans la nature et qu’il suffit de s’arrêter et de prendre le temps de contempler. Je ne peux pas dire sur quelle base a été faite chaque photo sinon ça perd son charme. C’est généralement très banal, quelque chose qu’on croise au coin de la rue. Il y a des choses qui sont moins banales, qui sont moins faciles à voir régulièrement.
Avant je disais directement ce que c’était et du coup je n’avais pas en face le répondant de ce que la personne imaginait. Aujourd’hui je ne l’ai pas forcément beaucoup plus mais ça casse moins le jeu.
Pouvez vous nous en dire un peu plus sur vos prochains projets ?
Comme je ne suis pas sûre de les mener au bout, je ne m’avance pas trop. J’ai des idées. Je pense qu’un jour dans ma vie, je ferai un boulot autour des escargots. C’est une bestiole que j’aime beaucoup. J’ai commencé à prendre des photos de cela. Après je veux voir ce que j’en fais. Si c’est juste pour prendre des escargots cela n’a aucun intérêt. Ce qui m’intéresse aussi c’est la symbolique autour des escargots, c’est aussi cette histoire du temps. Je suis en train de chercher. Je ne sais pas.
Je pars du principe que si cela ne se fait pas c’est que ce n’était pas le bon moment. J’aime bien le côté magique de l’histoire. Il paraît que je suis un peu barrée aussi ! (Rires).
C’est la réputation des artistes non ? d’avoir un autre regard sur le monde et par là même sembler décalé.
Je ne me qualifie pas d’artiste personnellement. J’ai un regard dont je suis consciente. J’ai appris à intégrer cette notion-là et que ce n’était ni bien ni mal mais que je l’avais. Par contre pour moi la notion d’artiste est donnée par les autres à quelqu’un ou non. Mais se proclamer artiste, non ! Certains le font, mais ce n’est pas mon propos.
Qualifieriez vous vos photos d’œuvres d’art ?
Pour moi c’est une notion différente. Ce sont des œuvres à mon sens. C’est aussi par un processus choisi. Elles sont limitées à 30 exemplaires. La photo on peut en faire autant qu’on veut mais du coup leur valeur, tout ça, ... Donc je les ai limité à 30 exemplaires. Quand on arrivera à 30, voilà ça sera fini. C’est ce qui socialement les définit comme œuvre d’art.
Est-ce que vos photos vivent seules ou est-ce que vous estimez qu’elles font partie d’un ensemble ?
Question intéressante, heu... Quand je les prends, généralement, elles vivent seules. Quand je fais la démarche d’en faire une exposition, je me rends compte que certaines ont des liens très forts les unes avec les autres et que finalement elles se répondent. Il y a des mises en place très simplistes sur le principe de la couleur. Il y en a d’autres qui fonctionnent en couple : il y a la femelle (elle) et le mâle (lui) qui se répondent énormément. Il y a aussi, les liens, les obstructions : les difficultés de l’amour. J’aime bien faire résonner ces éléments ensembles. Après ce n’est pas systématiquement le cas.
Vous ne vivez pas seulement de votre art, y voyez vous un handicap ?
Non cela me permet d’être complètement libre de ce que je fais et de ne pas répondre à des travaux de commandes. J’avoue avoir un immense respect pour ceux qui d’une part en vivent et d’autre part arrivent à faire des travaux de commandes qui correspondent vraiment à ce qu’attend la personne . Cela serait peut être l’étape suivante, je ne sais pas. J’ai vraiment besoin de liberté. On verra ce que l’avenir me réserve...
Propos recueillis par Julie Parpaillon et Céline Quéro
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